Oh, que je l'attendais, celui-là. Comme un gosse qui attend, fébrile, le lever du soleil pour foncer déballer ses cadeaux. La prime jeunesse est passée, des poils et des barbes ont poussé, mais l'annonce de la sortie de "The Reverses", troisième album studio des fantastiques Terra Tenebrosa, m'aura fait renouer avec cette excitation que je ne pensais plus ressentir. Surtout au vu de la qualité de leurs précédents méfaits, proprement exceptionnels : un
"The Tunnels" ritualiste à l'extrême, complexe et torturé, un
"The Purging" cauchemardesque et sinueux, soutenu par une section rythmique épileptique. Objets violents non identifiés, juste mélange de la personnalité de Breach coupée au Sludge, à la Noise, et saucée d'un Black Metal aux relents expérimentaux, la musique de Terra Tenebrosa est un choc aussi bien esthétique que sonore, sur disque comme en concert.
Et surtout, point que je réitère à chaque chronique, Terra Tenebrosa est bien l'un des seuls groupes à ne pas rendre le port de masques complètement ridicule. En fait, ils collent aussi bien à leur envie de s'émanciper de leur filiation avec Breach en mettant en avant la musique et pas les personnes (même si le spectre du groupe s'est fait plus ou moins discret sur les réalisations du trio), qu'avec leur souhait de proposer quelque chose d'étrange, de torturé, qui ne ressemblerait à rien d'autre - un
'continent obscur", si l'on traduisait leur nom.
"Next Terra Tenebrosa album will be more violent... And ugly.", annonçait ainsi le frontman peu après la sortie de l'EP
"V.I.T.R.I.O.L.". Et ce n'était pas une promesse en l'air. Une signature chez Debemur Morti (qui est en train de se constituer un
roster assez ultime) plus tard, quelques (longs) mois d'attente, une pochette (dans la stricte tradition du combo), une date de sortie, et le premier extrait est diffusé. "The End Is Mine To Ride". Titre clippé (de façon ridicule, quel dommage au vu de la réussite qu'était
"At the Foot of the Tree) qui annonçait la couleur de la galette : noire de jais. Une production gonflée aux amphétamines, une voix très typée (j'entends encore Ikea rigoler), nettement moins modifiée que par le passé, une simplicité formelle mais une force de frappe incroyable. Soufflé, impressionné par un tel changement (même si ces notes lancinantes en arrière-plan rappellent les plus belles heures d'un "Probing the Abyss"), mais également un peu effrayé par ce que l'album entier pouvait nous réserver. Si ce premier extrait explose, en terme d'efficacité, tous ses aînés, il s'essoufflait au bout de quelques écoutes. Et, malheureusement, "The Reverses" souffre du même symptôme. En cherchant la violence, Terra Tenebrosa montre des crocs noircis, au détriment de ce qui faisait son véritable intérêt : sa complexité, sa profondeur, sa folie. Entendons nous bien, ce n'est pas un disque
"meh". Par contre, c'est très clairement un disque "mais".
Les bonnes idées et les explosions de terreur ne suffisent pas à faire oublier la simplification formelle qu'a opéré le groupe. Les compositions sont beaucoup plus structurées... Mais beaucoup moins variées. De "Ghost At The End Of The Rope" jusqu'à "Marmorisation", le rythme est relativement lent, les roulements de batterie à donner le tournis ont été résumés à des percussions simplistes sur les fûts, l'ensemble se fait plus rampant, moins prenant, et surtout très répétitif. Les premières écoutes voient l'auditeur être captivé par ce déluge d'arpèges venimeux, les suivantes finissent immanquablement par lasser. "Where Shadows Have Teeth", malgré ses éclats de voix cauchemardesques et un final schizophrène à base de souffle rauque et de piano désaccordé, finit par donner mal au crâne à force de poncer la même section rythmique. En vérité, la variété de tempo des précédents opus a laissé la place à un métronome qui ne dévie jamais du
clic imposé par son aiguille. Bridé. Forcé de rentrer dans une partition. Un comble pour un groupe qui s'était fait la spécialité de sortir des sentiers battus. Vous l'aurez compris, les parties "violentes" à base de guitares et de hurlements ne sont pas ce qui tirent "The Reverses" vers le haut du panier. Ce qui sauve véritablement le disque, ce sont les incursions vers les terres plus expérimentales : elles étaient omniprésentes aussi bien sur
"The Purging" que sur
"The Tunnels". Sur ce dernier méfait, elles sont résumées à quelques brèves explosions, des petits détours au milieu d'un océan trop structuré, trop établi, ne laissant que peu de place à la folie.
Les deux derniers titres de "The Reverses" sont ceux qui feront acheter le disque aux nostalgiques de la jeunesse de la formation suédoise. "Exuvia" voit le retour de cette voix inquiétante, masquée sous des montagnes de filtres, ces arpèges nauséeux en forme de rictus malsains affichés sur un visage aux yeux déments. Le rythme de batterie est toujours le même (ce qui en devient énervant, à la longue), mais le magma sonore qui le recouvre rappelle les plus belles heures d'un "The Compression Chamber" ou de "Through the Eyes of the Maninkari". Repêchage trop court pour sauver l'ensemble ? Non. Le dernier titre fait 17 minutes. Et croyez moi, ces 17 minutes réveillent enfin un disque un peu trop "facile". Le rythme s'accélère. Les guitares typée reviennent, accompagnées de ces riffs tordus dont seuls les suédois possèdent la clé. Les quelques descentes de toms sont marquées par un espèce de grelot fou, presque joyeux, qui renforce cette impression de démence, de rire aussi sardonique que forcé. La danse commence, menée par Cuckoo qui, enfin, montre un visage familier, celui du Diable, du Krampus qui nous avait tant marqué par le passé. "Fire Dances" est ce qu'aurait du être l'album entier : le juste mélange entre violence exacerbée pour l'occasion, et atmosphères toujours aussi prenantes et malsaines. Le titre est d'ailleurs honoré d'un Vindsval très en forme, grognant dans notre belle langue des vers aussi fous que macabre, sur un bourdonnement incessant de guitares et une batterie qui, enfin, marque l'apocalypse en frappant avec force et véhémence sur ses toms. Le titre meurt lentement sur des cordes chétives, dernières survivantes du déluge de feu qui vient de s'abattre sur leurs têtes. L'orgue sonne le glas d'un disque qui aura attendu 5 titres pour se réveiller réellement et embrasser son héritage.
"The Reverses" est un disque train-fantôme. Les premiers tours surprennent, effraient, font hurler, mais les artifices et mécanismes s'essoufflent au fil du temps. Ils auraient pu nous tromper, tant le premier titre, en forme d'introduction apocalyptique, est prenant. En simplifiant leur musique pour la rendre plus frontale, plus directe, les suédois ont certes gagné en force de frappe, mais ont perdu une grande partie de ce qui faisait leur charme : une complexité formelle et conceptuelle hors de toute norme. Quid du jeu de batterie tentaculaire d'un
"The Purging" ? Des messes désespérées et embrumées de
"The Tunnels" ? "The Reverses" cherche plus à faire peur à l'auditeur à base de
jumpscares un peu putassiers que d'essayer d'installer une ambiance aussi torturée que celle que l'on pouvait trouver sur leurs premiers essais. Entendons nous bien, "The Reverses" reste un très bon album, et peut être même la meilleure porte d'entrée qui soit dans l'univers de Terra Tenebrosa. Mais hormis le long cauchemar de la dernière piste et quelques sursauts épars, l'ensemble est un peu trop facile et trop peu profond pour capter l'attention de ceux qui attendaient un digne successeur aux deux magnifiques opus précédents. Dommage également pour les nombreux guests fièrement annoncés par le label, qui, hormis sur le dernier titre, sont complètement anecdotiques.
Allez, je ne leur en veux pas. Tout le monde peut ressentir une baisse de régime après avoir survolé l'univers de la musique extrême à chaque sortie. Gageons que Cuckoo et ses deux acolytes reviennent à quelque chose de plus ambiancé et de plus torturé dans leurs prochains enregistrements. "The Reverses" est certes au dessus du lot commun des sorties... Mais bien en dessous de ses aînés, dont l'on se souviendra comme de véritables chefs-d’œuvre.
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