Christs, Redeemers ou le disque-passerelle de The Body ? Celui où le duo Chip King / Lee Buford quitte les sauvageries crues de
All the Waters of the Earth Turn to Blood et commence son périple vers sa vision particulière de la beauté (qui prendra sa pleine forme avec
No One Deserves Happiness) ? Si les choses étaient aussi simples avec ce projet unique en son genre, aussi complexe qu’évident (n’est-ce pas là la marque des vrais innovateurs, défrichant des terres que l’on a pourtant l’impression d’avoir toujours connu ?), ça se saurait...
En effet, ce qui choque au départ lors d’un retour sur la discographie des Ricains est cette progression que l’on sent vers ce qui explosera sur
No One Deserves Happiness et se précisera sur
I Have Fought Against It, But I Can't Any Longer : cette mélancolie qui nait du toxique, une musique de plus en plus introspective où The Body plie les cœurs après avoir plié les corps. Pourtant, les créations en mutation constante de la formation laissent toujours une impression énigmatique à leur écoute et
Christs, Redeemers ne déroge pas à la règle. Car au-delà de cette idée qu’il est devenu avec le temps un album charnière pour le duo, d’autres ambiances, d’autres éléments, montrent qu’il est clairement réducteur de le considérer comme un simple « entre-deux ».
Imaginez arriver près d’une île, d’abord pris dans des remous à la fois tranquilles et éplorés, qui sont aussi ceux d’un vague à l’âme (« I, the Mourner of Perished Days » et ses similitudes avec ce qu’a pu composer de plus recueilli
Menace Ruine). Vous accostez alors sur une terre où tout semble ordonné et en paix. Pourtant, il y a quelque chose dans cette lumière qui paraît irréel. Quelque chose dans cette terre qui est d’une pâleur terminale, la végétation environnante ayant une teinte translucide où les formes se devinent plus qu’elles se voient avec précision. Chaque chose a une couleur de mort, les mouvements semblant statiques, dénués du chaos marquant la vitalité. L’horizon est lointain et écrasant, à la fois trop proche et inaccessible, une ligne qui a la blancheur froide de l’hiver et paraissant envahir l’espace, mettant notre existence sous cloche. Avec, au fur et à mesure de l’exploration de ces contrées insulaires, à l’intérieur, la prise de conscience que ce paysage est une résultante de ce qui nous anime, que cette mort n’est pas dans les feuilles, dans l’air, dans le ciel, mais dans le regard que l’on porte, dans nos yeux. Cette île, c’est nous.
Voilà, de façon imagée, ce que transmet
Christs, Redeemers : un passage d’un environnement létal à la cartographie d’un paysage mental. Ce pont entre l’agressivité de ce qui le précède et l’intimité de ce qui le suivra se retrouve dans ce mélange entre guitares ayant encore la sauvagerie des débuts et envolées marquant une grâce submergeant de tristesse, à l’image de « An Altar or a Grave », morceau hanté où The Body marie rythmes doom et industriels morbides avec une majesté solennelle. La voix de Chip King devient alors le liant entre ces émotions paradoxales, ballotés que nous sommes par les assauts de « Failure to Desire to Communicate » ou « Shrouded », pris par les larmes implacables de « Night of Blood in a World Without End » (
The pain of living holds no victory...). Ce cri si particulier, enfantin, naïf tant il est extrême et braillard, devient alors l’expression d’une terreur première face à tout cela, l’expression brute de l’effroi devant l’ignoble, où « Bearer of Bad Tidings » résonne comme la conclusion barbare d’une expérience faisant rêver à un rituel purificateur vécu en martyr.
Aussi saisissant que puisse être ce passage d’une terre inconnue à une autre,
Christs, Redeemers contient quelques instants où l’on perçoit que The Body commençait à se sentir étriqué dans sa forme d’alors, notamment durant « Prayers Unanswered », d’allure plus classique à l’échelle du projet. The Body ira logiquement vers plus d’intimité par la suite, avec le succès que l’on connaît, mais cet album vaut bien qu’on s’y arrête tant il s’inscrit comme une partie d’un ensemble qui, définitivement, est sans comparaison.
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