Depuis le virage alternatif US opéré avec
"Karmacode" (2006), on ne peut pas dire que Lacuna Coil ait oeuvré pour le changement. Des quelques expérimentations rencontrées au début de cette période, il ne reste pas grand chose aujourd'hui, faisant presque de
"Dark Adrenaline" (2012) et
"Broken Crown Halo" (2014) les successeurs directs de
"Comalies". En gros, à l'exception d'une présence plus prononcé d'effets en tous genres et d'une facheuse tendance à sonner comme un groupe de néo américain, le combo est toujours cette même machine à tubes, manquant juste d'un poil d'ambition et de profondeur pour franchir un cap. N'y voyez pas pour autant une critique de ma part car j'aime et j'écoute ce groupe pour ce qu'il est et ce qu'il fait, vu qu'il le fait très bien. Néanmoins, cela ne semblait plus convenir aux intéressés, du moins plus assez ; la moitié du line-up d'origine a d'ailleurs quitté le navire en 2 ans. Pour leur huitième album, les trois rescapés épaulé par le batteur Ryan Folden (The Agony Scene) ont décidé qu'il était temps pour eux d'avancer. Bien.
Et ce changement ne se fera pas attendre : dès l'ouverture "The House of Shame", Lacuna Coil montre un tout autre visage, résolument plus dur et nuancé qu’auparavant. Les contrastes qui ont toujours fait la force de leur musique sont ici poussés à l'extrême, avec d'un côté un Andrea qui passe aux hurlements, une base rythmique qui redouble de violence, des guitares leads moins anecdotiques et de l'autre côté une Cristina puissante, sensuelle et jouant parfois sur des vocaux à la limite de la folie. Comme son nom l'indique, "Delirium" tourne autour de sentiments antagonistes et de conflits internes, thème se prêtant à la perfection au petit jeu proposé par les Italiens. Ainsi, l'atmosphère froide et aseptisée, les rythmiques ultra syncopées et la dualité des chants plantent le décor d'un hôpital psychiatrique au sein duquel une personne se bat avec acharnement contre son propre esprit aux multiples personnalités. Cette ambiance, le groupe n'aura de cesse de l'entretenir tout au long de ces 45 minutes : au dela des compositions en elles-mêmes, le combo n'a pas lésiné sur les arrangements qui vont dans ce sens (l'intro de "The House of Shame", les choeurs de "Take Me Home" et "Ultima Ratio", les effets vocaux de "You Love Me 'Cause I Hate You", ...) et sur l'électronique, plutôt discret mais bien intégré. Vous l'aurez compris, "Delirium" ne se laissera pas apprivoiser aussi facilement que ses prédécesseurs, en tous cas il sait se montrer assez sournois et déstabilisant pour qu'il faille quelques écoutes supplémentaires pour poser un avis définitif sur son sujet.
Ce huitième album est pour moi l'oeuvre la plus réfléchie et cohérente de leur discographie où malgré leurs différences, chaque titre trouve toujours une connexion avec les autres. Le groupe a d'ailleurs pris soin de varier les dynamiques, alternant les passages lourds et syncopés et les moments plus calmes et linéaires qui font partie de leur marque de fabrique depuis le début. Si la démarche est à saluer, je reste personnellement sceptique sur la forme. Tout d'abord, ce changement se révèle finalement assez timide dans sa prise de risque. Le groupe aurait pu aller beaucoup plus loin dans la manière de structurer ses morceaux et d'utiliser le chant de Cristina ; au lieu de cela, les titres ne sortent pas du sempiternel schéma couplet/refrain/break avec la plupart du temps les couplets hurlés par Andrea et les refrains chantés par Cristina. Mais le plus dérangeant demeure pour moi le choix artistique de représentation de la violence dans ce tableau. Lacuna Coil renoue avec ses vieux démons et a malheureusement tendance à sortir toute la panoplie du vieux groupe de néo américain, des guitares hachés à l'affreux phrasé hurlé d'Andrea qui suit la rythmique. Dommage car les Italiens s'engageaient parfois sur la voie du djent (le break de "Claustrophobia", le thème principal de "Ultima Ratio"), bien plus convaincante.
Tout aussi intéressant que décevant, "Delirium" a quand même le mérite d'apporter un brin de fraîcheur à une discographie qui avait tendance à s’encroûter depuis une dizaine d'années. Si tout n'est pas mémorable et/ou spécialement de bon goût, Lacuna Coil sauve sa mise par sa capacité à produire de belles mélodies et des titres calibrés imparables, et par le charme inépuisable de la déesse Cristina dont la voix n'a rien perdu de sa puissance émotionnelle. N'attendez donc pas de réelle remise en question, mais plutôt un album correct de nos chers Italiens, juste plus violent que d'habitude.
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