Non, le terroir n'est pas l'apanage du black metal. Et heureusement des groupes tels que Brame sont là pour vous le rappeler. Puisant à la source, comme de nombreux groupes et artistes d'horizons divers, le duo préfère la finesse à l’excès afin de façonner une musique à la fois singulière et brute de décoffrage. Des petits éléments ici et là, l'ancien s'entrechoquant avec le moderne, tissent une toile de fond faite de sueur, de spleen et de couleurs ocres comme vous pouviez déjà le percevoir sur deux premières réalisations –
Tenailles (2009) et
La nuit, les charrues... (2013) – posant les fondations. En cela
Basses Terres, le dernier album en date, constitue une suite logique, la formation creusant plus profondément encore votre tombe dans la terre meuble.
Car à l'image de l'artwork – toujours aussi soigné et classieux – Brame vous fait courber l'échine avec des sonorités davantage ternes et douloureuses, brossant son univers de civilisation agraire à coups de gros pinceaux. Cet aspect est d'ailleurs renforcé ici tout comme le sentiment d'abandon, déjà fortement présent dans les précédentes œuvres, par un tempo plus lourd qui vous plombe d'entrée de jeu sur « Sanglier ». Rectiligne et poisseux, ce long format est moins varié que son prédécesseur : pas d'éclairs lumineux, de passages accrocheurs ou de rythme s'emballant. Juste un amas de couches aux tons sombres dépeignant un horizon morne où apparaissent ça et là de légères aspérités – la paire José/Serge façonnant toujours leurs compositions à la façon d'artisans jouant sur les textures. Le bourdonnement, le grésillement des guitares et les cris de Serge agissent tel un uppercut, vous laissant figé. De l'électricité flotte dans l'air installant un climat anxiogène et maladif auquel il vous sera plus difficile de vous adapter (cf. « Fourches »). Il faut dire que sous ses dehors rêches et épurés, ce
Basses Terres met du temps pour se faire appréhender. Vos nerfs sont mis à mal et vous ressentez un goût métallique tenace dans votre bouche, vous laissant traîner laborieusement à l'écoute de cet album.
Cependant Brame ne perd pas en spontanéité – ayant en tête l'image de musiciens faisant une improvisation – malgré ce tempo lent imposé de bout en bout. Une sorte de colonne vertébrale qui prend racine dans la terre et donne de l'impulsion à l'ensemble, qu'elle soit portée par les guitares et/ou les percussions. Tour à tour puissante ou cahoteuse, celle-ci donne le ton pour chaque morceaux, s’essoufflant en fin d'album, tel le battement de cœur d'un mourant, et sur laquelle viennent se greffer différents instruments et sons naturels. Si le duo y perd en richesse (peu de variations de rythme ici), il vous offre néanmoins un contraste intéressant entre le fond – les aspects toujours très instinctifs et intimistes de la musique – et la forme – ce côté plus travaillé des compositions. De même, en dépit d'une sensation d'abattement nettement prononcée, le groupe arrive à étoffer son propos par petites touches avec des influences variées – le redneck « Étrangé », le pernicieux « Fourches » ou encore le bluesy « Des feux ». Des petites oscillations bienvenues mais non salvatrices pour autant, ne faisant que mettre en relief de différentes manières le mal-être ambiant. Car c'est bien là la finalité de Brame : vous poussez dans vos derniers retranchements par une musique lente, répétitive mais extrêmement abrasive. Les longs titres fleuves vous frappent par vagues, implacables et froids, vous rongeant peu à peu de l'intérieur.
Si je préfère
La nuit, les charrues à
Basses Terres (question de ressenti), ce dernier ne laisse toutefois pas indifférent. Montrant un versant à la fois plus structuré et jusqu'au-boutiste du groupe, dans ce qu'il a de terne et décharné, cet album est plus difficile à appréhender. Exhaustif et sentencieux, il faudra vous accrocher tout au long de l'écoute. Une persévérance et une patience qui seront largement récompensées.
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