Déliquescence. J'aime ce mot. Rien qu'à le susurrer, je me sens fondre. Dé-li-que-scen-ce : il me fait penser à « délice », « liquide », « sens », « essence », au plaisir qu'il y a à se laisser aller, mentalement, à sentir son esprit se déliter, son humeur devenir une flaque, progressivement, comme une caresse qui enlève le corps. Dé-li-que-scen-ce : un mantra dans lequel s'oublier, où l'horreur de se voir devenir une mare laisse place au confort du néant et de ses milles sentiments entremêlés.
Déliquescence. J'aime ce mot. Il va bien à
Cloak of Skies, cet album où Drug Honkey, après nous avoir martelé (
Death Dub) et fait suer toutes nos eaux (la fournaise
Ghost in the Fire), nous fait devenir une nappe aqueuse, jaune comme l'or, comme notre peau. Les Ricains, bien que marqués par des groupes tels que Godflesh ou Disembowelment, n'ont jamais sorti deux fois le même album, prenant comme seul parti un parcours marqué par un esthétisme de plus en plus poussé. Une chose qui explose à notre visage d'entrée, tant la bande laisse ici transpirer les mélodies, avec un « The Oblivion of an Opiate Nod » comme point d'orgue où une guitare esseulée égrène ses notes. Une ambiance de recueillement jusqu'alors inconnue de sa part, montrant que ce nouveau longue-durée, ambitieux, ne souhaite pas conquérir uniquement à coups de béliers entre musique industrielle et doom / death.
Mais, à la façon d'un
Ævangelist, Drug Honkey n'abandonne jamais ce qui le définit : cette manière de baigner dans la terreur avec bonheur, comme une entité inhumaine trouvant de la douceur dans les châtiments. Au premier abord assez transparent,
Cloak of Skies se révèle rapidement tuant sur bien des moments, les mélodies laissant voir leur beauté vénéneuse derrière un traitement des plus sales, fait de couches de bruits, voix silhouettant des échos plaintifs, production volontairement brouillonne, brumeuse, presque atmosphérique. « Sickening Wasteoid » ou encore le morceau-titre (sur lequel interviennent Bruce Lamont – Yakuza, Bloodiest ou encore Correction House – et son saxophone éthéré) sont de bons exemples de cette morbidité subtile, où la richesse des arrangements devient le symbole d'un fruit trop mûr au bord de la putréfaction. Transformé, Drug Honkey prend le rôle de maître des transformations, passant de la démonstration de force (« Outlet of Hatred », composition semblant sortir de ce que les nineties ont fait de plus métallique et transgenre) à la décomposition toxique, le décor devenant un maelstrom de délectations et tortures mélangées faisant fondre le cerveau.
Déliquescence. J'aime ce mot. « Je l'aime parce qu'il est quelque chose de plus mystérieusement attirant que la beauté : la divine pourriture. La pourriture en qui réside la chaleur éternelle de vie, en qui s'élabora l'éternel renouvellement des métamorphoses » comme disait Octave Mirbeau dans son roman
Le Jardin des supplices. Une citation qui va merveilleusement à
Cloak of Skies, à sa pochette signée Paolo Girardi, à son minimalisme fiévreux, à ses répétitions langoureuses, à sa corrosion séduisante, à sa lourdeur physique nous enlaçant comme une couette avant de, toujours dans une impression de délicatesse malgré une violence apparente, nous dépecer et nous dissoudre. Pourtant, dans ce monde de perfection corrompue, tout n'est pas parfait : certes époustouflante en elle-même, la version de « Pool of Failure » mixée par Justin Broadrick tranche avec le reste, donnant un corps ferme à des notes qui n'en finissaient plus de couler dans sa version d'origine. Un changement de ton qui casse l'engourdissement dans lequel Drug Honkey nous mettait auparavant.
Un détail mais, dans une œuvre qui fait autant sienne une certaine alchimie, qui a son importance. Drug Honkey se révèle très doué et un peu maladroit sur
Cloak of Skies, à la fois à la hauteur de son envie de sublimer son style – toujours sans exact équivalent – et parfois trop timoré. Aussi facile d'approche qu'exigeant pour qui voudra percer et apprécier ses mystères, cet album n'en reste pas moins un succès, de la part d'une formation décidément trop méconnue. Et décidément trop rare.
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