Mon intérêt pour Elder ne date pas d’hier. Pour qui me prenez-vous ? Non, non, il remonte bien plus loin, début 2018 pour être exact quand après des années passé à esquiver volontairement ces jeunes américains pour X ou Y raisons et surtout par flemme, je me décidais enfin à jeter une oreille attentive à leur musique. Bien m’en a pris puisque je suis là aujourd’hui pour vous parler de leur dernier album en date là où Ikea n’a semble-t-il pas souhaité reprendre le clavier. Cet intérêt fraîchement suscité, je le dois à la chaîne YouTube Stoned Meadow Of Doom (que je vous encourage vivement à suivre si vous avez de quelconques accointances avec le Stoner/Doom sous toutes ses formes) avec qui j’ai découvert (entres autres) leurs homologues polonais de Weedpecker. Quel est le lien qui existe entre ces deux groupes que des dizaines de milliers de kilomètres séparent ? Et bien à en croire les nombreux commentaires laissés à l’époque sur la publication de
III, une influence évidente des Américains sur la musique des Polonais. Etant donné mon enthousiasme à l’égard de ce troisième album (chroniqué
ici, je vous le rappelle), je n’avais pas d’autre choix que de me pencher enfin sur le cas de ces jeunes américains.
Paru en juin 2017 sur Stickman Records, label allemand qui mettra d’ailleurs quelques mois plus tard la main sur les fameux Polonais de Weedpecker, ce quatrième album d’Elder intitulé
Reflections Of A Floating World arbore en guise d’artwork une œuvre particulièrement colorée signée encore une fois des mains d’Adrian Dexter, illustrateur attitré d’Elder qui a signé tous les artworks du groupe depuis ses débuts en 2006. Enfin, après une première expérience concluante fin 2014 pour l’enregistrement de
Lore, les Américains ont également repris le chemin du Sonelab Studio, toujours sous la houlette de Justin Pizzoferrato, afin de coucher sur bande les six titres de ce quatrième album. Ce dernier gratifie Elder d’une production absolument remarquable dont la limpidité va permettre de révéler toutes les nuances et les richesses de ces compositions pensées en grande intelligence.
Car si Elder ne change rien à sa trajectoire entamée depuis déjà plusieurs albums, on sent que le groupe a tout de même franchi un nouveau palier, atteignant ici une maturité qu’il n’avait encore jamais véritablement effleuré jusque-là. Un constat qui s’impose de lui-même à la découverte de ces longues compositions oscillant entre huit et treize minutes marquées indiscutablement par une fluidité tout à fait étonnante. Rien ne semble ainsi forcé, chaque idée, chaque séquence s’imbriquant ou se superposant l’une à l’autre sans le moindre heurt, sans le moindre accroc. Un naturel déconcertant qui réussit à faire oublier la durée de ces morceaux et nous invite surtout à embarquer pour un voyage à travers des paysages lunaires et désertiques aux couleurs chatoyantes et aux formes multiples et changeantes qui m’évoque sans trop savoir pourquoi les œuvres surréalistes de Salvador Dali. Un trip absolument inoubliable marqué par ces sonorités Stoner/Doom éthérées et cet amour inconditionnel pour les musiques progressives et psychédéliques des années 60 et 70 qu’Elder maîtrise ici sur le bout des doigts. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à écouter l’audacieux "Sonntag", un titre instrumental de plus de huit minutes caractérisé par une rythmique entêtante et répétitive sur laquelle vont venir se poser ces guitares bien plus libres de leurs mouvements. Un exercice que le groupe n’avait pas réitéré depuis son deuxième album et qui symbolise en quelque sorte ce paradoxe à travers lequel Elder s’exprime, cette ambivalence entre Stoner Rock répondant à un cahier des charges plutôt strict (ces guitares fuzz typiques du genre, ces accords puissants et lourds plaqués à la force d’ampli probablement estampillés Orange...) et une interprétation qui quant à elle se fait un malin plaisir à s’émanciper des standards du genre et ainsi laisser libre court à ses seules envies créatives.
Une richesse de composition qu’Elder cultive ici à travers une instrumentation dense et variée. Tout d’abord, si Nick DiSalvo demeure le seul guitariste à bord et tête pensante d’Elder, tricotant ses riffs et ses séquences plus ou moins complexes par couches superposées (riffs lourds typiquement Stoner auxquels viennent se mêler des mélodies pleines de feeling sublimées par de superbes solos tout au long de l’album), le groupe s’est tout de même adjoint les services de deux guitaristes de sessions (Michael Risberg et Michael Samos) afin d’apporter un peu plus d’épaisseur à son propos ainsi que quelques sonorités nouvelles à l’image de ce pedal steel que l’on trouve ici ou là au détour d’un morceau. Plus discret mais tout aussi important à l’identité d’Elder, ce clavier dispensé ici sporadiquement et qui, à sa manière (souvent par nappes placées en arrière-plan), va insuffler un feeling résolument 70’s en plus de nourrir le caractère vaporeux et éthéré des compositions des Américains. Une sensation subtile et agréable également renforcée par le chant légèrement en retrait de Nick DiSalvo dont les lignes mélodiques tombées du ciel nous irradient de plaisir, purement et simplement. Pour autant, ce dernier n’hésite jamais à s’effacer au profit des autres instruments, leur laissant toute la place nécessaire pour s’exprimer à leur tour et ainsi offrir à nous autre auditeur une variété de plaisirs sur lesquels il est toujours aussi agréable de revenir.
Si la discographie d’Elder ne compte aucune fausse note,
Reflections Of A Floating World en est probablement la plus belle et la plus réussie à ce jour. Un disque enthousiaste et enthousiasmant qui se bonifie au fil des écoutes, continuant de révéler lecture après lecture tous ses petits détails dont il fourmille. La réputation d’Elder n’est plus à faire et déjà à l’époque où je refusais de m’y intéresser, tous les échos sur le sujet n’étaient que dithyrambes à n’en plus finir. Ce quatrième album ne fait donc qu’asseoir cette suprématie dans le milieu du Stoner Rock psychédélique et progressif qu’il a sûrement du aider à rendre populaire et en tout cas aussi fameux et irrésistible. Une véritable petite pépite dans le genre.
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