Pensées Nocturnes - Grand Guignol Orchestra
Chronique
Pensées Nocturnes Grand Guignol Orchestra
Depuis un peu plus d’une décennie le projet guignolesque de Vaerohn n’a cessé de diviser et de faire parler, trop barré et foutraque pour certains ou au contraire génie total pour d’autres les avis sont extrêmement partagés, signe d’un intérêt qui ne se dément pas. Fort désormais d’une discographie prolifique son créateur livre en ce début d’année le sixième volet de ses aventures au titre toujours aussi évocateur, et qui fera parler en bien comme en mal comme d’habitude. Avec sa pochette qui ne laisse que peu de places au doute quand au contenu (et apparemment influencée par « La Maison des 1000 Morts » de Rob Zombie), celui-ci va voir pendant plus de trois-quarts d’heure un assortiment de tout ce que sa tête pensante sait faire de mieux, ce qui ne fera pas avancer le schmilblick ni les points de vue, mais aura au moins l’avantage de contenter les fans pendant que les autres iront voir ailleurs ou s’occuperont différemment.
Car il n’y a rien de neuf à attendre au niveau stylistique même si on va constater que l’ensemble va être légèrement plus accessible qu’auparavant, tout en restant quand même dans un univers totalement délirant et décalé où l’on passe de la galerie des horreurs aux manèges les plus divers et variés. Après avoir été accueilli par une voix féminine qui domine un fond sonore formé d’accordéons et divers instruments folkloriques « Deux Bals Dans La Tête » fait son entrée en piste avec sa rythmique lourde (qui n’est pas sans rappeler « Je Veux Nager » du belge Arno) et ses coups de blasts au milieu d’ambiances improbables et avant une fin totalement en vrille. En plus de la couverture magnifique il faut saluer l’excellent boulot réalisé par Cäme Roy de Rat (VƆID) qui gratifie le livret d’illustrations personnalisées pour chacun des morceaux, donnant ainsi l’illusion d’acheter un vieux catalogue de spectacles, qui varie du cirque au catch en passant par le cinéma muet. D’ailleurs avec « Poil De Lune » c’est Charlie Chaplin qui est mis à l’honneur sur papier comme en musique vu que l’introduction ici n’est autre que le thème du génial « Les Temps Modernes » (sorti en 1936) qui se mélange aux ambiances slaves et aux courts moments explosifs, avant de se conclure façon cabinet de curiosités. Avant qu’un entracte n’intervienne, la première partie se finit dignement avec « L’Alpha Mal » qui met en avant un côté dansant se mêlant à un chant plaintif sur fond de train-fantôme, où l’on croit même distinguer la musique des stands de tir et des barbes à papa.
Une fois l’interlude terminé le délire général va aller crescendo entre « Les Valseuses » où la brutalité et la radicalité se mêlent à un décorum propice aux cabarets et à l’effeuillage, pour offrir un côté tentaculaire où l’on croirait voir surgir une femme à barbe au milieu de ce grand barnum. Si « Gauloises Ou Gitanes ? » et « Comptine à Boire » vont plus à l’essentiel, en laissant une place plus importante aux riffs agrémentés de nombreuses cassures de rythme, « Anis Maudit » quant à lui nous offre carrément une influence jazz très marquée. Entre trompette mise en avant et batterie à l’unisson le géniteur de tout ce gloubi-boulga va encore détonner et surprendre en y injectant des passages mordants électriques qui ne font pas tâche avec le reste, sans pour autant le dénaturer. Enfin avec le long « Triste Sade » on a affaire à deux parties distinctes, la première embarque l’auditeur dans une grande fête façon « La Piste Aux Etoiles » de Roger Lanzac (les plus vieux d’entre nous sauront ce que c’est), où se seraient joints des gitans et roms. La suite en revanche sera plus classique oscillant entre brutalité et lourdeur, avant que le tout ne se conclut par une ambiance morbide d’où résonne des notes malsaines d’un vieux piano désaccordé et d’un orgue angoissant.
Si l’on sent que son concepteur a pris de l’expérience et gère mieux ses idées qu’auparavant il faut reconnaître malgré tout que le résultat est toujours aussi difficile à appréhender, et que cela peut être une épreuve de s’enfiler toute la galette en un seul bloc vu que les compos ont parfois tendance à traîner un peu trop en longueur. Avec ses paroles bas du front dignes d’ivrognes en goguette (mais en raccord avec le concept), ce nouveau chapitre délirant de PENSEES NOCTURNES ne changera pas la donne, ni le statut de cette entité surprenante et étonnante. Cependant il faut quand même saluer la persévérance et l’originalité du concept unique en France à l’heure actuelle, qui ne passe inaperçu ni ne laisse indifférent, tant sa loufoquerie et son côté déstructuré ne se retrouvent nulle part ailleurs, ce qui en soit est déjà un très bon point.
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