Pensées Nocturnes - Douce Fange
Chronique
Pensées Nocturnes Douce Fange
Quasiment trois ans jour pour jour après le très réussi
« Grand Guignol Orchestra » Vaerohn est de retour avec le septième album de son projet avant-gardiste, dont le rythme de croisière est désormais enfin trouvé tout comme l’équilibre musical fort présent dorénavant, et qui prouve que malgré ce côté bordélique apparent la musique proposée y est bien plus fine qu’on ne pourrait le croire. Si celle-ci a mis le temps pour être cohérente de bout en bout ce nouveau chapitre va confirmer que les bonnes choses entendues sur son prédécesseur n’étaient pas un feu de paille, et cela en osant même aller plus loin dans le délire et les mélanges divers sans pour autant y perdre en attractivité. Car montrant que la fête foraine et le folklore balkanique sont toujours présents, son créateur va oser ajouter en plus des ambiances franchouillardes et du sud-ouest nous faire faire un voyage dans le temps avec des versions très personnelles de classiques de la variété française.
Démarrant sous les meilleurs auspices avec l’introduction « Viens tâter d’mon Carrousel » on y entend justement les manèges et animations en tous genres ainsi qu’un coq qui s’égosille au milieu d’une fanfare fortement avinée, et dont l’air joué n’est pas sans rappeler celui de la mythique émission « Strip-Tease ». Une fois cela terminé c’est parti pour un « Quel sale Bourreau » de gala où le clavier désaccordé (aidé par une grosse basse massive) nous embarque sur un tempo lent et rampant façon barnum et bandas d’où émerge du saxophone surprenant mais en totale harmonie avec le reste. Laissant le côté électrique sur le côté le combo nous livre une plage (tout comme celles qui vont suivre) où les instruments à vents et voix de chanteurs de rue vont prendre une place prépondérante, sans pour autant que la violence et le grand-guignolesque en soient exclus… comme on peut le retrouver dans la foulée via le brutal et barré « PN mais Costaud ! ». Plus radical de base ce morceau est le mélange parfait des deux opposés musicaux de l’entité où le classicisme entendu depuis ses débuts reste calibré mais efficace et sans excès, tout ça avant de partir dans tous les sens mais sans renier ses fondamentaux et y perdre en accroche globale. Car à partir de « Saignant et à Poings » on oscille entre le carnaval des fous et le train-fantôme qui rôde dans les parages, via un mélange d’orgue de barbarie et d’accordéon totalement alambiqué et où l’on se surprend à entendre l’air de « Padam Padam » d’Edith Piaf dans une version de pilier de bar après une nuit de beuverie. Cohérent et n’en faisant jamais trop ce titre est le premier acte d’une suite d’autres à venir du même acabit juste après le court interlude (« Charmant Charnier »), et tout d’abord via le déglingué « Le Tango du Vieuloniste » où l’on se voit emporté en pleine Argentine et sa musique nationale. Résonnant de l’âme de Carlos Gardel le son traditionnel du géant sud-américain émerge au milieu d’un chaos typiquement Black Metal plus présent et qui se retrouve également de suite sur l’étonnant « Fin Défunt », qui nous embarque ici en Europe de l’est via des ambiances slaves et ashkénazes où les chœurs et les violons sont de sortie, en se mêlant à un tabassage qui sait se fait entendre.
Et alors qu’on pensait avoir tout entendu en matière de surprises ce long-format va continuer à en offrir de belles, en premier lieu avec « La Semaine Sanglante » qui après un départ à la lead guitare plaintive nous balance un bon melting-pot de tout ce qui a été joué depuis le début, tout en renforçant le côté carnaval festif et agréable. Le pompon arrive sur la conclusion sous le charmant nom de « Gnole, Torgnoles et Roubignoles » où après la môme de Belleville c’est au tour de Lucienne Delyle d’être mise à l’honneur via son intemporel « Mon amant de Saint-Jean » (et largement au-dessus de la version de Patrick Bruel), dont le charme suranné est oublié ici et remplacé par une fiesta de fin de nuit où tout le monde chante sans avoir décuvé entièrement. Cela offre de fait un grand bazar organisé où chacun est à sa place au milieu des poivrots et des vapeurs de vinasse bon-marché où l’on s’imagine presque déambuler dans la fameuse salle du bar-tabac de la rue des Martyrs. Servant de parfaite conclusion à un disque personnel et original de bout en bout cette ultime composition offre un hommage sincère à ces chanteuses qui ont marqué leur époque, de par le réalisme cru des paroles et l’âme mise par chacune d’elles dans leurs mots au vécu sans pareil, et où l’agressivité s’efface au profit d’un rendu unique et surtout nostalgique.
Il est effectivement difficile de rester de marbre devant cette œuvre à la maturité artistique ô combien visible et qui est la meilleure sortie à ce jour par son géniteur où alcool, charcuterie et festivités populaires créent un vrai bon moment de fraternité à la densité constante. Mettant l’électricité légèrement en retrait au profit d’instruments traditionnels à la présence plus marquée, la bande reste encore aujourd’hui un véritable omni (Objet Musical Non-Identifié) dans le paysage national et on ne peut qu’applaudir des deux mains d’oser cela, qu’on n’aime ou pas le rendu proposé. Autant dire que comme d’habitude tout cela ne laissera nullement indifférent, les fans adoreront et les autres détesteront mais ça n’est pas cela le plus important vu que les mecs n’ont d’autre but que de se faire plaisir et de délivrer la bonne parole en mode je-m’en-foutisme qui renverront autant dans les cabarets douteux de Pigalle que vers les troquets miteux à la Antoine Blondin (et son singe en hiver) ou encore les salles de concerts crasseuses qui jalonnent la butte Montmartre et ses alentours. Que du jouissif en somme et aidé en cela par un très bon moment de franche camaraderie en toute simplicité entre guinguette et bal musette, qui s’appréciera tranquillement en sifflant un bon verre de rouge ou se rabattant sur de la cochonaille qui ravira les carnivores et autres habitués du bon goût, où les végans et autres donneurs de leçons n’auront pas leur place.
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