Il est enfin arrivé. Le Fils Prodigue, la très, très attendue suite des aventures bruitistes de Full of Hell. Plus besoin de présenter la formation tant sa discographie a su mettre tout le monde d'accord en l'espace de quelques années. En plus de fédérer, le successeur du fort bon
"Trumpeting Ecstasy" quitte la confidentialité toute relative de Profound Lore pour parader, fier comme un coq, sous l'égide de l'historique écurie Relapse. Pas besoin de s'appeler Elizabeth Tessier pour sentir les astres qui s'alignent tranquillement : absolument tout était réuni pour permettre à Full Of Hell de sortir son
magnum opus. Un disque qui aurait la lourde tâche de faire la synthèse de la violence âpre des débuts (le phénoménal
"Rudiments of Mutilation") et des errances Noise/Power Electronics qui prirent, au fil des années, une place de plus en plus importante sur disque comme sur scène - leurs collaborations avec Merzbow et le colossal
"One Day..." avec The Body étant, pour moi, ce qu'ils ont fait de mieux dans le mélange des genres . Mission impossible ? Pas loin.
Mettons-nous au niveau de
"Weeping Choir", faisons dans le concis, dans l'épaisseur du buvard : c'est raté. Mais contrairement au dernier rejeton de Pig Destroyer (sorti lui aussi chez Relapse, coïncidence ?), si cette dernière fournée est restée un peu trop longtemps au soleil, elle n'est pas totalement immangeable. Malheureusement, en essayant de contenter tout le monde, cette dernière livraison appauvrit tout ce qui plaçait Full Of Hell au dessus de la mêlée.
Et on ne va pas se mentir, si la galette est à date courte au lieu de finir au fond d'une poubelle, aspergée de javel, c'est uniquement grâce au talent des trois musiciens originels de la formation. Dylan, Spencer et Dave se sont quand même rappelés qu'ils étaient là pour être efficaces, comme au bon vieux temps. Donc, quand cette fière petite équipe ne se vautre pas dans la facilité, à tartiner 5 minutes de Noise putassière pour un disque qui en fait 25, elle sursaute et nous balance de petits instants de bravoure, qui nous feraient presque oublier notre amertume, celle d'avoir cru que cet album serait purement et simplement fulgurant. Dave Bland matraque toujours ses fûts avec férocité, tout en tension et en puissance. Spencer reste un petit vicieux, tant influencé par le Death bien acide que par le Black et la musique plus déconstruite. Enfin, Dylan reste le
frontman qu'il a toujours été, toujours aussi terrifiant dans ses vocalises, constant dans l'hystérie, impressionnant, point à la ligne. Sans son intervention, certains titres, que l'on qualifiera pudiquement d'
ambitieux, auraient juste été... Pénibles, pour rester poli. Les incursions Noise, certes, mais surtout le titre "Armory of Obsidian Glass", résumant à merveille le syndrome
"Weeping Choir".
Depuis le temps que Full Of Hell s'échine à nous faire croire, à grands renfort de publicité et de
plugs sur les réseaux sociaux, que Lingua Ignota est un projet exceptionnel, et pas du tout un rip-off chiant comme la mort de Diamanda Galás, assez logique que l'affaire se termine en
featuring, annoncé en grandes pompes. Si j'ai un respect infini pour la démarche de Kristin Hayter, celle de la résilience au travers de l'art, je trouve cette collaboration à l'image de son travail en solo : complètement anecdotique. Malgré un final saisissant de beauté, où le chant féminin complète à merveille les assauts de Walker et ce riff qui oscille entre Black Metal et Screamo, les trois-quarts des quasi-sept minutes se traînent péniblement dans un espèce de Sludge apocalyptique qui sonne faux. A l'image de l'album : pour une minute de plaisir, il faut s'en fader trois de remplissage. "Angels Gather Here", l'une des deux interludes Noise de l'album, se traîne sans être intéressante, jusqu'à sa toute fin où, enfin, on relève la tête, parce que Dylan et Spencer ont eu la merveilleuse idée d'intégrer un sample de la B-O du film "Haute-Tension", morceau composé par François Eudes Chanfrault, que je trouve fantastique... Mais qui ne dure que quelques secondes. De la même manière, les compositions les plus frontales et appréciables, celles-là même qui essaient de relever un peu la sauce, sont cruellement courtes ("Haunted Arches", "Thundering Hammers"), quand elles ne se perdent pas dans des expérimentations qui n'apportent strictement rien : Que Diable fait ce saxophone sur "Ygramul the Many" ? D'une manière générale,
"Weeping Choir" est incroyablement frustrant, puisqu'il démarre et termine très fort, quand le reste de la galette évolue péniblement en vitesse de croisière. Qu'elles me paraissent loin, les saillies Powerviolence qui donnaient envie de tout saccager. Tout aussi lointain, le temps où la Noise était au service de l'aura malsaine, dérangeante, des compositions. Oui, l'album a bénéficié des soins de Kurt Ballou, oui, ça sonne bien, oui, c'est professionnel... Mais, après avoir gratté le vernis, il ne reste pas grand chose à se mettre sous la dent.
J'en vois beaucoup, sur la toile comme dans la presse, parler de
"Weeping Choir" comme du véritable
album de la maturité pour Full Of Hell. Dans un sens, ça se tient... Surtout si l'on part du postulat qu'en vieillissant, on perd la fougue et la passion inhérentes à la jeunesse pour devenir austère et chiant comme un adulte. Et c'est ce ressenti qui m'accompagne à chaque écoute de ce dernier album. Moi qui avait une affection sans bornes pour ce que Full Of Hell représentait, j'assiste, impuissant, à leur professionnalisation, et donc, à la progressive mise à mort de tout ce que j'appréciais chez eux. Tant mieux pour le groupe, je ne peux que leur souhaiter le meilleur pour la suite : après tout, ils ont cravaché pour en arriver là. Cette signature chez Relapse, ils la méritent, tout comme leur audience. Malheureusement pour moi, ce Full Of Hell nouvelle mouture ne me séduit plus. Sa durée, son apparente propreté, son manque de hargne, me frustrent au plus haut point. Quel dommage.
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