Comme beaucoup d'autres, je commence à peine à cicatriser de
"One Day You Will Ache Like I Ache" - quelle idée de surinfecter la plaie béante en l'écoutant encore régulièrement, aussi... Grand masochiste devant l'éternel, l'annonce d'une nouvelle collaboration entre le duo The Body et les jeunes têtes brûlées de Full Of Hell ne pouvait que me mettre en joie. Surtout aussi peu de temps après la sortie du plutôt bon
"Trumpeting Ecstasy". L'artwork halluciné, et le premier extrait dévoilé ("Earth is a Cage"), m'avaient encore un peu plus bandé : rien de transcendant (
"Ouais, ils ont simplement sous-échantillonné une compo basique"), mais les hurlements de Dylan Walker et Chip King n'avaient rien perdu de leur force, et l'effet produit restait le même.
J'aurais du retenir les conseils d'Ikea : ne jamais rien attendre de The Body, respecter ce mantra à la lettre. D'autant que le duo s'impose de plus en plus comme les mentors de Full Of Hell, surtout si l'on se base sur leur évolution musicale. Peut-être que j'espérais un retour aux choses sérieuses, à ce pourquoi j'aime tant les deux formations Américaines : la transmission d'un désespoir insondable, par la violence et le caractère inhumain des compositions chez Full Of Hell, par la beauté et les expérimentations vénéneuses chez The Body.
"Ascending a Mountain of Heavy Light" est plus lisible, plus accueillant que son aîné. Surprenant, c'est le moins que l'on puisse dire. Loin d'être mauvais, également. Mais qui me fait l'effet d'un EP de vingt minutes, rallongé avec force et sans la maîtrise des chef-d'orchestres par le stagiaire de la boîte, sans connaissance de la recette de base.
Disons que je suis moins intégralement conquis par
"Ascending a Mountain of Heavy Light" que par son aîné. The Body et Full Of Hell me semblent avoir trouvé leur vitesse de croisière, la recette pour produire un disque que les fans apprécieront, sans trop se donner de mal. De toutes façons, et quoi que puissent en dire les puristes, la Noise reste l'un des genres les plus faciles à produire - c'est y insuffler de l'âme et du
feeling qui n'est pas à la portée du premier apprenti cuisinier venu.
Non, parce que les 4 premiers titres de l'opus sont clairement bons. Ils agissent en rappel direct des plus belles heures des deux combos : l'on retrouve le sens de la minutie apporté aux arrangements, qui se superposent en couches aussi serrées qu'opaques. Si l'on fait abstraction du saxophone insupportable de l'ouverture "Light Penetrates", pénible, pataud, s'excusant presque d'exister en tant que simple caution expérimentale, je retrouve, de "Earth is a Cage" jusqu'à "Didn't the Night End", les mêmes sensations que
"One Day...". La prestation toujours impeccable du duo Chip King/Dylan Walker y est, encore une fois, pour beaucoup, mais les tricoteurs comme les acharnés de la frappe lourde ne font pas tapisserie. "The King Laid Bare", mélange abâtardi de Noise, d'Indus, de hurlements déchirant l'espace sonore recouverts par des guitares grattées sans cohérence, fait immanquablement frissonner. Le mur se construit sous nos yeux, le marteau-piqueur étant substitué par ce
hi-hat énigmatique, presque électro dans ses accélérations soudaines, que l'on retrouvera tout au long de l'opus. Le niveau reste haut, "Didn't the Night End" claudiquant péniblement jusqu'à nos oreilles, figurant la silhouette grotesque, rapiécé de la collaboration précédente par le clapotis du bord de la caisse claire que l'on ose à peine frapper. Bref, ça vit, ça souffre, ça respire bruyamment, ça suinte, c'est absolument ce que j'en attendais. Une masse sonore aussi organique que bruyante, dont l'existence même est une horreur.
Et dès la fin de la première moitié de
"Ascending a Mountain of Heavy Light", elle se dégonfle totalement. Ses géniteurs s'en désintéressent pour aller boucher les trous de leur atelier - ou organiser leur prochaine tournée en évitant soigneusement toute date française, qui sait ? La seconde moitié de
"Ascending a Mountain of Heavy Light" en serait presque pénible. Pas au point de calquer l'aussi douloureux qu'anecdotique
"Catastrophic Anonymous" de Violent Magic Orchestra, fort heureusement, mais le colmatage des brèches pour éviter que le navire prenne l'eau est un peu grossier. D'une façon générale, plus l'album avance, plus l'auditeur s'enfonce dans le n'importe quoi. "Our Love Conducted With Shields Aloft", sans aucun sens ni réel
feeling, David Bland faisant n'importe quoi sur sa batterie dans son coin pendant que ses acolytes cuisinent à la truelle sur leurs pédales d'effets; "Master's Story", incroyablement à côté de la plaque avec sa rythmique
reggaeton (!!) empruntée aux pires tubes du Top 50 - à ce niveau du disque, on en viendrait presque à penser que les deux groupes n'en ont plus rien à foutre, seule l'envie d'expédier la semaine d'enregistrement au Machines with Magnets studio est présente. Le titre de clôture, "I Did Not Want to Love You So", restant un sommet dans la facilité. Enregistrement de l'accordage des instruments à cordes ? Crise d'autisme de la part du cogneur en charge du tom basse ? Les choses ne sont pas claires, et la composition, pas convaincante pour un sou : Full Of Hell et The Body semblent avoir complètement lâché l'affaire. Et ce ne sont pas ce maigre sample vocal planqué derrière les dix-huit couches d'effets, ces cordes prévisiblement grattées à vide et ces grognements tâtonnants qui viendront me prouver le contraire.
Je suis partagé. D'un certain point de vue, The Body et Full Of Hell restent tout à fait intègre à la ligne de conduite de leurs collaborations : surprendre, sortir des sentiers battus, ne jamais rien faire de convenu. De ce côté-ci, je ne m'attendais effectivement pas à assister à un remplissage aussi éhonté qu'hors-sujet (cette rythmique
reggaeton, brrrrr...) durant les vingt dernières minutes de l'opus. Pari de surprise rempli, mais au dépens des auditeurs - si ces derniers se retrouveront en terrain connu sur l'ouverture de
"Ascending a Mountain of Heavy Light", ils risquent fort de déchanter au cours du défilement des titres. Cette collaboration fort attendue arrive, malheureusement, après un premier essai commun intégralement réussi de par sa cohérence - ce dernier essai partant malheureusement un peu trop dans tous les sens pour constituer une masse homogène qui donne envie de persévérer. Non,
"One Day..." n'était pas agréable, et l'écouter dans son intégralité relevait plus du problème mental que de la partie de plaisir - mais il était surtout magistral, dans les émotions véhiculées, dans ses attaques vicieuses, en traître, jusque dans son visuel. Ici, l'emballage est encore plus réussi, mais le contenu reste, malheureusement, un peu trop faiblard et facile pour pouvoir espérer rivaliser avec son grand frère. Dommage.
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