"One Day You Will Ache Like I Ache" est logique. Car il est presque naturel que des affinités se créent entre des musiciens qui partagent à la fois l'amour de l'expérimentation, et l'envie de s'affranchir des étiquettes que l'on voudrait leur coller. Full of Hell cultive, depuis ses premiers pas dans le Grindcore, cette obsession d'agression au premier degré sur l'auditeur, en infusant toujours plus de nappes de Harsh Noise dans des compositions déjà dénuées de toute forme de compassion (
"Rudiments of Mutilation", après leur collaboration avec Merzbow, reste le point culminant de leurs méfaits). The Body, déjà auteurs, il y a peu, d'un excellent (et inclassable)
"No One Deserves Happiness", se sont fait maîtres dans le mélange des genres, alternant entre visions superbes et cauchemars pesants. Rassemblez les cliques de Dylan Walker et Chip King le temps de dix titres, et vous obtiendrez ce qui s'impose comme un OVNI fascinant, bien parti pour salir les classements des sorties de l'année.
Difficile d'écrire quelque chose sur une collaboration aussi abstraite. De la même manière qu'il est difficile de l'écouter sans sourciller. Comme de passer à côté d'une scène d'accident, mettre sa conscience sous silence et laisser son regard accroché aux victimes. Ikea écrivait, au sujet du précédent The Body, qu'il valait mieux ne s'attendre à rien pour que le disque prenne toute sa dimension. Un constat que l'on peut calquer
texto à l'essence même de cette collaboration, qui donne plus à être
vécue qu'à être simplement
écoutée.
"One Day You Will Ache Like I Ache" met les nerfs à vif, trimballe l'auditeur à travers la plus magnifique et douloureuse des séances de bondage. Si l'on ne s'attend à rien, des images viennent pourtant immanquablement en tête :
Shibari à base de barbelés,
Ero-Guro musical, bande-son potentielle des délires les plus odieux d'Hideshi Hino, et j'en passe. Les quarante minutes de l’œuvre restent aussi fascinantes que répugnantes, misant plus sur la curiosité morbide comme produit d'appel que sur les potentiels élans "pop" que l'on pouvait retrouver chez le duo de Portland.
La symbiose est parfaite. On aurait pu craindre que l'un des deux groupes prenne le pas sur l'autre, comme c'est souvent le cas en présence de deux caractères bien affirmés. Il n'en est rien. La furie et la gratuité de Full of Hell épousent parfaitement la sensation de catastrophe imminente véhiculée par The Body, ce dernier s'autorisant même un rappel des superbes chants féminins qu'il aime utiliser - "Fleshworks", d'ailleurs magnifiquement clippé, qui s'impose comme la seule piste "facile" à écouter de la collaboration. En résultent des compositions traînantes, en forme d'étendues désolées (l'étonnante reprise de Léonard Cohen, "The Butcher"). Des paysages de systèmes nerveux, figurés par l'artwork tentaculaire de Bo Dar, que les chirurgiens américain s'amuseront à titiller. David Bland déroule le tapis rouge sang, arrose le bloc de blast-beats rageurs (le très immédiat "World of Hope and No Pain") et de roulements tentaculaires (l'ouverture-éponyme), comme pour contrebalancer les rythmiques souvent lentes dispensées par Lee Buford. Les guitares et les murs de Noise se confondent systématiquement, dans un vacarme assourdissant, tâché de sons de machinerie lourde, de boîtes à rythmes sous-échantillonnées ("Bottled Urn"), masse rendue encore plus étouffante par l'organe arraché de Dylan Walker et celui de Chip King, plus hystérique que jamais. La masse est homogène, scabreuse, presque chirurgicale car elle sait où cogner pour faire vraiment mal. La graisse des
drone et les percussions étouffées ne suffisent pas à anesthésier.
On écoute
"One Day You Will Ache Like I Ache" pour se faire peur, ressentir le frisson du masochiste qui sait qu'il se fait du mal et trouve la chose délicieuse. Rien de métallique, ni de mélodique, The Body et Full of Hell n'ont qu'un seul but, qui donne d'ailleurs son titre à l’œuvre. Les dix titres que comporte la version CD (les possesseurs du LP n'ont malheureusement pas pu se délecter des perles Noise que sont "Cain" et "Abel") répondent à un besoin pressant, celui de communiquer la souffrance, de punir, de la façon la plus directe possible : garder les frappes profondes et bien sèches (quoi de plus immédiat qu'une batterie ?), évacuer toute forme de mélodie (serait-ce alors pour piéger l'auditeur que "Fleshworks" a été gardé comme second titre ?) au profit de riffs qui tiennent plus du larsen que de véritables compositions, et de hurlements qui tiennent plus de la
bête que de l'animal.
"One Day You Will Ache Like I Ache" est un objet
jusqu'au-boutiste, tellement texturé, trituré, charcuté qu'il tient plus de la toile abstraite que de l'objet musical. Un véritable
happening dans chaque copie, que vous pourrez choisir d'expérimenter à l'envi. Mais êtes vous sûr d'être bien préparés ?
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