Il était fort dommage que ce qui s'impose, au fil des sorties, comme l'une des formations Grindcore les plus intéressantes de ces dernières années, soit totalement absente des pages de Thrashocore. Encore plus lorsque cette dernière se fait remarquer sur tous les plans : que ce soit par leurs prestations scéniques hallucinantes de rage et d'énergie (à en faire pâlir
les plus endurcis d'entre nous), leurs enregistrements poussant toujours plus loin les limites de l'auditeur, ou par leurs collaborations - bien plus intéressantes que les splits, finalement assez classiques sur la forme. Full of Hell, actif depuis 2009, donne une véritable leçon à tous les amateurs de musique énervée. Quand la majorité des formations purement Grind rivalisent d'énergie et de brutalité, Full of Hell injecte une dimension supplémentaire au genre: la cruauté.
Car si leur jeune âge et leurs gueules d'anges auront induit beaucoup en erreur, leur musique est tout sauf une promenade de santé. Avec une précision chirurgicale et la méthode froide d'un bourreau, le combo Américain ne cherche pas à étourdir l'auditeur sous une avalanche de blast-beats. Ce qu'il veut, c'est le torturer, le disséquer, le faire souffrir, en infusant Noise et expérimentations dans une mixture déjà bien acide. La sortie récente de leur album commun avec le duo The Body (et je vous renvoie à l'excellente chronique de "No One Deserves Happiness" pour vous démontrer que cette collaboration s'imposait naturellement) est l'occasion rêvée de nous pencher sur un autre monolithe, sorti chez Profound Lore en 2014. Un double CD réalisé avec Masami Akita, fier et notoire représentant de la Harsh Noise à la discographie plus que fournie. Par le biais de cette oeuvre, les jeunes de Full Of Hell affirment un peu plus leur volonté de repousser le Grind dans ses retranchements les plus extrêmes. Autant vous prévenir de suite, c'est une expérience dont on ne ressort pas indemne.
A l'image de cet artwork d'une sobriété absolue, l'album est un bain d'acide, rongeant les tympans et l'âme de l'auditeur dès les premières secondes. Une chute dans le vide. Le premier disque voit Merzbow se faire relativement discret, se contentant de distiller quelques nappes grésillantes au détour des breaks et des rares "pauses" qui pourraient être accordées à l'auditeur. Dès "Burst Synapse", le ton est donné : les titres sont courts, efficaces, avec cette noirceur inhérente à Full of Hell qui s'insinue dans chaque pore, chaque ouverture. Inutile de tenter de se protéger, le quatuor connaît vos faiblesses et sait se faire vicieux. Avec une indifférence totale à votre douleur ou vos suppliques (un
feeling transmis à merveille par le clip de "Blue Litmus"), les rythmiques rapides et la voix démoniaque de Dylan Walker nous mènent à la baguette. "Humming Mitter" et ses saccades épileptiques, "Thrum in the Deep" et son riffing vénéneux, "Shattered Knife" et son matraquage en forme d'incitation à frapper son prochain dans la fosse, sont autant de titres à l'efficacité décapante, qui assurent le capital "Grindcore" du premier disque.
Ils sont rejoints par des incursions plus expérimentales, par des constructions radicalement différentes des canons du genre, de l'explosion qu'est "Mute" et ses hurlements hystériques soutenus par des frappes véloces sur fond de nappe Noise jusqu'au quasi-religieux "High Fells", rappelant le côté Sludge que Full Of Hell savait déjà distiller dans ses précédents enregistrements. Ce chant habité, grave, presque possédé, cette trompette (!) qui donne l'impression d'être utilisée par un novice qui actionnerait ses clés complètement au hasard, démarrent la transition vers le second disque. Merzbow prend de plus en plus d'importance dans la collaboration, ajoutant un poids supplémentaire aux chevilles de l'auditeur. Encore engourdis par la raclée monumentale prise dans les premiers titres, on entame un chemin de croix, le paysage se fait plus abstrait, loin de la salle de torture. Notre délire enfiévré peut réellement commencer, soutenu par le tom basse aussi régulier qu'effrayant de "Ljudet Av Gud". Même si ce titre apparaît menaçant, ce "calme" avant la tempête en serait presque reposant. Vous pensiez pouvoir lécher un peu vos plaies ? Que nenni ! La cruauté de Full of Hell revient au galop pour une dernière entaille en traître sur "Fawn Heads And Unjoy", en forme de trip halluciné, par les nappes de Masami Akita, et cette trompette, entre agonie et absence totale de contrôle. Il fallait oser. Ce premier disque est éprouvant, ni plus ni moins. Il met les nerfs à rude épreuve, on en ressort engourdi, lessivé. Merzbow, qui, jusqu'à présent, donnait l'impression d'être un peu effacé, attendait en fait le moment propice pour attaquer. Et finir le travail entamé par Full Of Hell.
Le deuxième disque, intitulé "Sister Fawn" (qui aura bénéficié d'un pressage à part chez A389 Records), s'inscrit dans l’œuvre conséquent de l'artiste Japonais. La Noise, subjective en essence, est toujours compliquée à décrire. Si l'on ne peut effectivement pas isoler de structure classique ou mélodique, les cinq compositions de Masami Akita participent encore plus à l'ambiance générale de la collaboration. Elles sont une sorte de défi que l'auditeur se lancerait lui-même : Vais-je avoir la force et le courage nécessaires à aller écouter quelque chose d'encore plus extrême que ce que je viens de subir ? Vais-je avoir le masochisme nécessaire pour m'infliger une demie-heure de bruit ? A vous de voir. De "Ergot" jusqu'à "Litany Of Desire", Merzbow reste fidèle à lui même en proposant une œuvre d'art abstraite, désagréable, plus que de la musique à part entière. "Merzdrone" et sa batterie abrutissante, couplée à de grandes envolées électroniques, "Crumbling Ore" et ses larsens plaintifs, métalliques, ses sirènes perdues dans le lointain, ou encore l'insupportable "Litany Of Desire" et ses frappes en forme de pénible rituel, la galette entière est indigeste. Merzbow ne cherche pas l'harmonie, il cherche à rendre l'auditeur fou, en faisant tourner
ad nauseam les mêmes schémas et les mêmes sons de manière totalement aléatoire. Certains diront que la démarche est facile (à raison, n'importe qui vivant près d'un chantier peut se prétendre artiste de Noise). A titre personnel, je préfère vous dire que "Sister Fawn" est la conclusion logique d'une collaboration noire en essence, qui n'aura eu qu'un seul but : vous achever.
Cette chronique vous a paru longue et désagréable ? Tant mieux. Elle est à l'image de cette œuvre commune. Full Of Hell et Merzbow auront réussi à proposer, au travers de ces deux disques, une expérience musicale et artistique hors de toutes normes, dépassant toute limite. De la violence et du vice débridés du groupe Américain jusqu'aux punitions auditives du bruiteur Japonais, Profound Lore aura balancé à la face du monde apeuré et des masochistes avides un double-disque impressionnant, dans sa démarche jusque dans sa réalisation, qui vous laissera sur le carreau. A déconseiller aux âmes sensibles.
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