Aïe.
Mais pas le petit
«Aïe» qui suit la collision de l'orteil contre un pied de table. Non, le bon gros
«Aïe», franc et massif, consécutif à une bonne gamelle en biclou.
«Coagulated Bliss» est une vraie sortie de route. Même pas un album juste
moyen : fausses bonnes idées, vrai mauvais disque, ses vingt-cinq minutes dissolvent méticuleusement ce qui faisait, jusqu’à présent du moins, une bonne partie du charme de
Full of Hell. Je ne peux pas dire que c’est une surprise totale, le combo étant sur la pente descendante depuis
«Trumpeting Ecstasy» (2017). Néanmoins, après avoir creusé assez profond (
«Weeping Choir» (2019), chien-loup mais pas méchant), j’avais bon espoir de retrouver le quatuor en relative forme, surtout après
«Garden of Burning Apparitions ». Sorti en 2021, l’album était loin, très loin d’être irréprochable, mais malgré sa tronche en biais, ses quelques dents non-gâtées et son envie apparente d’en découdre (les titres purement bulldozer étant assez savoureux) le faisaient revenir, de temps à autre, sur ma platine. Ce sera tout l’inverse pour
«Coagulated Bliss », premier long-jeu de
Full of Hell chez Closed Casket Activities (sans compter leurs collaborations avec
Nothing et
Primitive Man), et première merde quasi-intégrale à leur discographie. Par où commencer ?
Commençons par l’éléphant dans la pièce, cette abominable pochette de Brian Montuori
* – le gars a beau avoir bossé pour, entre autres,
The Dillinger Escape Plan (
« Miss Machine » et « One of us is the killer »), il n’est pas à l’abri d’un loupé. Ces couleurs criardes, ce vieux biset délavé, décapité, pixelisant la tête d’un pauvre bougre qui n’avait rien demandé, ces coulures de peinture grossières… On ne pourra pas lui enlever une certaine cohérence : elle tranche radicalement avec les autres pochettes de la (riche) discographie de
Full of Hell. Un peu comme le disque qu’elle habille, finalement. Parce que
«Coagulated Bliss » s’éloigne radicalement de ce à quoi les Pennsylvaniens nous avaient habitués. Les expérimentations pas toujours heureuses étaient, jusqu’à présent, diluées à doses plus ou moins homéopathiques dans leur musique. Là, sans le timbre de voix caractéristique de Dylan Walker, j’aurais eu toutes les peines du monde à deviner qu’il s’agit des mêmes types qui nous avaient ramoné les tympans avec
«Rudiments of Mutilation» et
«Roots of Earth Are Consuming My Home» !
J’ai d’ailleurs procrastiné comme un bâtard avant de rendre ma copie : la première écoute fut si décevante que j’ai perdu toute envie de relancer le disque – et de vivre, accessoirement. L’une des chroniqueurs du disque, sur Metal Archives, explique que
« Coagulated Bliss donne l’impression de mâcher des clous, et je dis ça comme un compliment.». Pas moi. Remarque… Me taper la cloche chez Castorama, rayon quincaillerie, me paraît autrement plus agréable que de m’infliger deux écoutes consécutives de cette purge. Vingt-cinq minutes tout à fait lisses, impersonnelles, de cette production plate jusqu’à ces titres qui n’en peuvent plus de se briser dans d’incessantes et irritantes cassures de rythmes, riffs débiles sans queue ni tête, et tempo ralenti à l’extrême.
Quid du Deathgrind ? Haha, t’es mignon, retourne t’asseoir. Tout ce que t’auras, c’est un peu de Noise Rock, un peu de
Melvins, un poil de
The Jesus Lizard, et
beaucoup trop de
Converge. Ben voyons. C’est vrai qu’on avait bien besoin d’un n-ième clone de Jacob Bannon dans nos bacs à disques…
J’ai toujours cherché du bon (des excuses ?) chez
Full of Hell, même quand il commençait à faire du hors-piste – et à se vautrer. Après tout, il fait partie de mes chouchous, je suis prêt à tout lui pardonner. D’autant que je n’avais, à l'époque en tout cas, jamais croisé la route d’une formation mêlant, avec succès, Grindcore, Noise et influences toujours plus extrêmes. J’espérais naïvement pouvoir m’infliger un nouveau disque de la trempe de ses collaborations avec
Merzbow et
The Body (je parle de la première, dans ce cas précis). Un peu fou ? Surtout très con ! Le groupe s’appliquant à s’éloigner de ses racines depuis bientôt dix ans, j'étais vraiment dans le déni complet… Bravo, les gars, avec
«Coagulated Bliss», vous n'êtes plus que l'ombre de vous-mêmes.
C’est un mauvais
Full of Hell, mais surtout un mauvais disque. Vingt-cinq minutes de roue libre, qui en paraissent le double, dont un quart (!) sont dévolues à «Bleeding Horizon», poursuivant la tradition du remplissage éhonté en tartinant négligemment son Sludge de destockeur pendant six longues minutes.. Où il ne se passe strictement rien. Du bruit blanc eut été plus agréable, et certainement plus pertinent. Sans déconner, même les titres les plus violents (présents sur la seconde moitié de l’opus), n’arrivent jamais à être vraiment mordants («Vomiting Glass», «Vacuous Dose»). Comme je l’évoquais plus haut, le son très lisse, bien lustré de l’ensemble n’aide vraiment pas l’album à décoller, ou à me tirer de ma torpeur.
«Coagulated Bliss» ronronne gentiment. «Doors to Mental Agony», par exemple : ces accentuations de temps aux toms, tribalisantes sur les bords, le gros bordel final à base d’accélération bienvenue sur lit de hurlements, se retrouvent complètement étouffés par cette production arasée, passe-partout – surtout lorsqu’on la compare à celles des précédents disques,
«Garden of Burning Apparitions » mis à part. Passons rapidement sur les
featurings anecdotiques, puisque ni Ross Dolan («Gasping Dust»), ni Jacob Bannon («Malformed Ligature », évidemment le titre le plus
Converge-compatible de l’album) n’arrivent à sortir leur épingle du jeu, tant ce dernier disque nivèle par le bas. Parties bourre-pif isolées,
«Coagulated Bliss» me fait l’effet d’un patchwork bien triste, qui n’est cohérent que par son indigence. Pire encore, les incursions Noise apparaissent plus putassières que jamais, introduites au forceps dans des compositions qui n'en avaient vraiment pas besoin. Bref, pas grand chose à sauver, ni à se mettre sous la dent, pour qui garde en mémoire les débuts de
Full of Hell.
«Coagulated Bliss» est un peu l'oraison funèbre du Death/Grind si caractéristique du groupe, ensevelissant un bien beau cercueil sous un monceau de poncifs et de riffs éculés. Je ne vais pas faire semblant d'être triste, le deuil fut très court : les productions des Tennesséen de
Knoll comblent déjà largement le vide laissé par Dylan Walker et sa clique - je vous encourage d'ailleurs à vous pencher sur
"As Spoken", pur bijou sorti ce début d'année. La rupture est consommée. Si
Full of Hell se recycle dans ce genre de pignole, je me contenterai de suivre leurs pérégrinations futures de très, très loin. Si les clones de
Converge sont légion, les groupes autrement plus intéressants le sont également. Quel dommage.
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