Débuté comme un petit projet sans prétention lors d'un concours au lycée, The Odious m'apparaît comme la rencontre de personnes douées avec leurs instruments qui se décident à embrasser tout un ensemble de manières de faire du Metal à l'américaine : prenons du Tech Death, ajoutons un côté Deathcore bien vénèr dans le chant et les articulations, et n'hésitons pas à foutre des louchasses de Jazz, histoire de faire péteux... Euh, je veux dire, de faire comme Scale the Summit ou Spastic Ink !
Ne vous y trompez pas : le bougre que je suis, ayant grandi dans le Prog, apprécie les groupes technico-techniques, où la simple démonstration de gros skill peut me mettre en émoi. Mais si j'ai justement lâché Scale the Summit et Spastic Ink, c'est parce que, passée la baffe, la force de frappe n'a pas tenu pour moi. J'aime la technique, mais si elle s'accompagne d'un propos.
Ainsi, les jeunes musiciens de The Odious ont rempilé après un petit split, histoire de revenir avec un son plus abouti. Et une chose est sûre, c'est que leur maturité force le respect.
S'il eût été très facile de tomber dans les traquenards du mauvais goût, notamment le côté Tech épileptique abscons d'Archspire pour faire genre « on joue à 350 bpm et on rappe dessus » ou bien aller dans le mimétisme en reprenant les ruptures élastiques et les accords curieux de Car Bomb, The Odious a fait preuve de beaucoup de réflexion. Avec « Glowjaw », notamment, on découvre un morceau qui est très bien pour appréhender la complexité du groupe, usant de guitares sèches, d'échos, de jeux de pistes et de changements dans les voix pour amplifier l'espace sonore, le tout en montée à grand renfort de synthé. Les guitares entrent dans un jeu à la fois technique mais loin d'être hermétique, alors que la progression se fait en avant, façon Jazz, en évitant les retours en arrière – et s'il y a reprise, c'est pour ajouter quelque chose, des détails, mais qui rendent les transitions pertinentes et bien huilées, à tel point que le passage au titre suivant « Hastor the Shepard Gaunt » est tout bonnement impeccable, car tout à fait invisible. Ce qui conduit à une lourdeur digne de
The Beast of Nod,
Flub ou The Schoenberg Automaton et à des passages Deathcore lorgnant du côté du dernier Irreversible Mechanism – n'oublions pas le Djent, lui aussi bien présent car, j'ai envie de dire, c'est un passage obligé désormais dans le Prog moderne mais qui s'accorde parfaitement aux multiples plans Jazzy.
Car là se noue une des nombreuses particularités de The Odious : les passages Jazz sont légion. S'ils ne se font pas par des instruments, vu que les cuivres sont absents, cette touche omniprésente du Jazz se fait dans les signatures rythmiques. Si tu prends « Repugnant », certes véritablement violent, il débute sur énormément de plans Jazz enchaînés jusqu'à un break et un plan tapping à la Gojira – ah, j'avais prévenu qu'il y avait beaucoup d'idées là-dedans ! « Vesica Piscis » est lui aussi incroyable de ce côté là : le traitement archi-doux fait place ici à des plans rythmiques et des guitares simplement époustouflantes de naturel et de complexité. C'est simple : tu ne vois rien, les mécanismes sont parfaitement dissimulés, tout a l'air comme allant de soi. Sauf que si tu décortiques un peu, tu te rends compte de la maîtrise qu'il y a derrière, et t'es pris de vertiges.
C'est désormais une donnée qui est importante pour moi, pourtant je n'y prêtais pas plus attention que ça auparavant... Lorsqu'un album de Metal Prog parvient à construire des morceaux individuellement très bons, mais s'intégrant parfaitement à l'ensemble, pour moi on est sur du tout bon. On a dans ce disque plusieurs moments : l'intro, avec « Scape » et « Repugnant », une première phase avec « Arbiter of Taste », « Glowjaw », « Hastor he Shepard Gaunt » et « Vesica Piscis », et la dernière phase après le morceau transitoire qu'est « Heavy Rethoric ». En cela, on peut rapprocher The Odious de The Dali Thundering Concept avec cette construction sans accroc qui ne laisse rien au hasard, le tout en utilisant tous les codes du Metal moderne. Puisqu'on en parle, « Heavy Rethoric » jouera à fond la carte du Deathcore et du Metalcore à renforts de breaks et se permettra des plans à la Gorod – parce que pourquoi pas ? – afin de proposer un voyage riche, intense mais quelque peu déroutant.
Eh oui, on va toucher là ce qui constitue à mes oreilles le seul défaut du groupe : on est face à des petits génies, des musiciens qui semblent savoir ce qu'ils font. Vous savez, c'est les jeunots qui ont une culture musicale folle, un talent pour l'écriture et la composition, et qui pondent quelque chose de très authentique, mais qui semble ne parler qu'à eux et leur cercle proche. Bref, même si j'ai pu dire qu'ils parviennent à éviter l'hermétisme, notamment avec des passages de pure respiration telle que « Mono no aware » au refrain entêtant et sucré au milieu de plans complexes, leur « Misuse and Malignement » pourra en larguer plus d'un, avec ces va-et-vient incessants entre leurs références multiples, certes usées avec élégance et intelligence, mais qui pourront avoir tendance à fatiguer – et donner envie de lâcher l'affaire trop tôt, avant d'arriver à ces bouées de pur plan Jazz qui ajoutent cette touche d'efficacité brute, notamment à partir de la deuxième minute de « Misuse and Malignement » et son groove bien amical et chaleureux !
Ainsi, tandis que se joue le finale envolé qu'est « Fix » et qui, comme tout bon concept album Prog qui se respecte, invite l'auditeur à jeter un regard en arrière pour considérer le chemin parcouru, j'achève l'écoute de cet album comme à chaque fois : je me retiens de vouloir le relancer. Pour plusieurs raisons, la première étant que cette richesse omniprésente peut vraiment bourrer le crâne, et que leurs intentions ne parleront qu'à des amateurs avertis qui rentreront dans leur délire, notamment avec les nombreux passages dissonants qui jalonnent le parcours. La seconde, et la plus importante, c'est qu'un disque comme ça, il se savoure.
Venu de nulle-part après la réformation d'un groupe qui a eu un petit succès d'estime, Vesica Piscis est un plaisir d'initiés : qui aime le Prog moderne sera ravi d'avoir ça entre les mains. Il décontenance, mais ne laisse pas indifférent, tout en évitant les nombreux pièges que peuvent déceler les nombreux styles qu'ils emploient. Et en évitant le piège principal de cet exercice, à savoir mixer sans que jamais ça ne prenne corps.
The Odious nous livre une production indépendante de très haute qualité qu'il serait dommage de mettre de côté. Posez-vous, et écoutez ce disque au moins deux ou trois fois avant de fixer votre avis dessus – pour moi, c'est un coup de cœur.
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