Deux albums à huit mois d'intervalle, c'est rare. Enfin, rare... Disons plutôt qu'il est difficile de rester constant dans la qualité quand on est aussi productif. Les exemples ne manquent pas, les contre-exemples sont bien plus rares. D'ordinaire méfiant, j'ai pourtant choisi d'accorder toute ma confiance à Gruzja. Une fois n'est pas coutume.
Il faut dire que ces fieffés coquins ont su me surprendre. Remontons quelques mois en arrière : le groupe sort de nulle part, aucun line-up annoncé clairement, se paie le luxe d'une signature chez Godz Ov War pour accoucher d'un disque fantastique,
"I iść dalej", une vraie madeleine de Proust (au goût amer, certes) pour les galériens ayant connu les longs week-end d'ennui au milieu d'une jungle de béton. Le temps passant, Gruzja est apparu sur quelques affiches de concert, et le mystère entourant les membres du groupe s'est évaporé. Un secret de Polichinelle pour les connaisseurs de la scène Polonaise, puisqu'on y retrouve quelques têtes connues, qui ne surprendront personne : Artur Rumiński (guitariste pour Furia depuis 2013), Stawrogin (Biesy, Massemord, Odraza, Totenmesse) ou encore le chanteur de Licho. Pareille brochette de talents ne pouvaient décemment pas proposer un disque en demie-teinte, surtout après un premier coup d'éclat aussi retentissant. Et pourtant...
Malheureusement, je dois bien reconnaître que cette dernière sortie de la joyeuse troupe n'est vraiment pas à la hauteur de l'album précédent. Ce qui ne signifie pas qu'il est intégralement mauvais, bien au contraire. Simplement, je crois que j'attendais autre chose, et surtout, une certaine
"suite logique" à l'obus précédent. Le mauvais goût reste la marque de fabrique de Gruzja (il suffit d'aller visionner le clip de "800 ZŁ" pour s'en rendre compte), mais cette fois-ci, il devient un défaut plus qu'une réelle qualité. La rage, la résignation de l'animal urbain, pris au piège dans ses clapiers de béton, a laissé place à une paresse à peine dissimulée. Cette fois-ci, le groupe s'est montré plus convaincant en matière de
memes partagés sur Facebook qu'en matière de musique.
C'est dommage, parce que ça partait quand même très, très bien. Du premier au quatrième titre, Gruzja dévoile un visage plus vicieux encore que
"I Iść Dalej ". Ces guitares qui deviennent rampantes, sinueuses, voire maladives ("800 ZŁ"), portées par un rythme soutenu, mais pas galopant et gavées de ces voix, entre le hurlement hystérique et le chant guttural piochant tantôt dans le Punk rance et le Death, n'ont eu aucun mal à me convaincre. J'y vois presque une filiation avec les regrettés Lifelover, fort dans le désespoir et la folie : les arpèges aigus quasi-dansants et le chant complètement faux de "Królowie Zwierząt", les riffs en
reverb que l'on croirait tout droit sortis de
"Dekadens"... Différent, mais pas moins efficace. Un signe de la volonté d'évolution du combo, pas décidé à nous servir du réchauffé. Qu'est ce qui pouvait mal tourner pour la suite ?
L'avantage, c'est que la transition entre l'excellente première moitié de
"Jeszcze Nie Mamy Na Was Pomysłu" et l'infiniment plus dispensable seconde partie est tranchée. "Kamera Dionizosa" fait basculer ce qui aurait pu être un album consolidant la position de force de Gruzja en marge du
Black-jeu dans le n'importe-quoi le plus complet. Qu'est ce que c'est que cet ersatz de
tribute band des Clash, qui tourne en rond pendant quatre minutes ? Ce clavier que même Jean-Michel Jarre n'aurait pas osé utiliser ? Ce chant clair qui peine à faire son effet ? Est-ce que le groupe a cherché à faire un tube de l'été ? Tant de questions qui resteront, je le crains, sans réponses. En tout cas, vous pouvez au choix faire une sieste ou descendre du wagon, parce que la fin du voyage est tout, sauf intéressante. Le duo "Masz Zrozumieć"/"Niedostatkiem W Piękny Rejs", qui fait tourner sensiblement le même roulement en boucle sur des nappes qui abrutissent tant elles se répètent, supplice renforcé par un abominable Bontempi qui soutient des chœurs sans saveur sur le second titre; "Grues" change un peu, oui, puisque le titre semble avoir été trouvé en raclant le fond de la cuvette de la Coldwave : une jolie boîte à rythmes bien datée, un chant tantôt aux fraises, tantôt dans les choux, des cordes que l'on fait simplement sonner à vide... Si le but était de faire chier le monde (le titre de l'album signifie
"Nous n'avons pas encore d'idées pour vous", après tout), c'est réussi. Et ce n'est pas le dernier titre qui viendra sauver la galette, puisque le naufrage se poursuit pendant près de neuf minutes (dont trente secondes de silence total), première moitié agréablement féroce, mais qui bascule, encore une fois, dans l'apathie la plus totale avec cet échantillon de Post-Rock qui essaye très fort d'être mélancolique. Sauf que pour composer quelque chose qui touche, il faut avoir des choses à dire, à faire ressentir. Ici, c'est le vide absolu.
Pour être honnête, je ne comprends toujours pas ce qui a pu pousser Gruzja à mettre en boite ces cinq derniers titre, à leur faire passer le contrôle qualité, et à être convaincus que ça allait nous plaire. De ce point de vue, c'est complètement raté. Par contre, si la petite bande a voulu rester fidèle à sa ligne de conduite, celle de faire chier le monde en prenant toutes nos attentes à revers, effectivement, le contrat est rempli. Je ne peux pas dire que je suis déçu, puisque les quatre premiers titres de
"Jeszcze Nie Mamy Na Was Pomysłu" sont franchement excellents, plus sombres, plus matures que ce que l'on pouvait trouver sur
"I Iść Dalej". Seraient-ils sortis seuls, sur un EP, que Gruzja s'imposait comme une future valeur sûre de la scène Black Polak. Mais garnie de ce qui sonne comme de la récréation de studio, la galette se retrouve boursouflée, tirant inutilement en longueur, gâchant presque son démarrage sur les chapeaux de roue. Bien dommage...
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