Gruzja - I Iść Dalej
Chronique
Gruzja I Iść Dalej
Pour une surprise, c'est une surprise. Straight outta Poland, Gruzja fait figure de véritable petit insolent de l'hyperactive scène Polonaise, en témoignent les nombreux memes postés sur leur page Facebook, se moquant tour à tour du Black Metal au sens large comme de leurs compatriotes de Behemoth ou Furia. Fort en gueule, vous dites ? Comment ça, ça vous rappelle Sektemtum qui brûlait des disques de DsO et Darkthrone pour faire rager les puristes ? Ne vous y trompez pas, contrairement aux Français, Gruzja a quelque chose à défendre, et c'est du solide - habituel chez les formations d'Europe de l'Est. S'éloignant volontairement des préoccupations et thématiques les plus prisées par le genre, Gruzja veut raconter la banlieue et tout ce qu'elle suppose. Les longues soirées estivales, sous la chaleur écrasante et la pollution, où les jeunes, un peu par nihilisme, beaucoup par désœuvrement, descendent de l'alcool bon marché jusqu'à en dégueuler, se butent à la rustine et baisent tout ce qui passe. Il faudra vous y faire, Gruzja est vulgaire, volontairement provocant, mais surtout diablement efficace.
Toute première manifestation de ce qui est manifestement un duo (si j'en crois la photographie promotionnelle hautement retouchée présente derrière la galette), "I Iść Dalej" a pris tout le monde de court. Bénéficiant des moyens de Godz Ov War, il jouit d'un habillage soigné, du visuel de couverture aussi énigmatique que séduisant jusqu'au livret en papier "luxe". Pas moyen de savoir qui se planque derrière la mise en page, ni de mettre un nom sur les musiciens, voulant rester anonymes. D'aucuns avancent les noms d'Odraza (partageant un goût prononcé pour la saleté) ou de Furia (probablement pour la voix grave rappellant celle de Nihil). Laissons les curieux spéculer, concentrons nous plutôt sur ce que Gruzja nous délivre sur cette petite demie-heure.
Il va en falloir, du courage. Puisque qu'au delà de la production clean, "I Iść Dalej" est un disque profondément vrai. Gruzja pose ses mains sales partout, le sourire aux lèvres. Plutôt que de dessiner des concepts abstraits, de sorcellerie, de satanisme ou que sais-je, Gruzja parle réel, Monsieur. "Contre l'esthétique" comme l'annonce le groupe lui-même. Moche, boîteux, oui, mais sans jamais perdre ne serait-ce qu'un chouïa de l'intensité qu'il délivre au cours des sept titres de l'opus. "I Iść Dalej" est aussi corrosif qu'intriguant. J'y retrouve les sensations purement street des rappeurs qui passent leurs morceaux à parler de la dalle et des cages d'escalier - celles qui me font aimer le style, d'ailleurs. Gruzja capture parfaitement l'essence de ces clapiers urbains, ou la population dans la dèche n'en peut plus de mourir d'ennui. Et il n'a pas besoin d'artifices cheapos pour le faire : il incarne les longs week-ends d'ennui au milieu d'une jungle de béton, le parking de la grande surface la plus proche où l'on traîne à défaut de faire quelque chose de sa vie. Clairement, ça pue le vécu, et c'est ce qui fait toute la différence.
Chaque titre de "I Iść Dalej " raconte quelque chose de différent. Les soirées défonce matérialisées par "Opuść mnie " et son rythme effréné ponctué par ce duo de voix, l'une hystérique, l'autre bien plus profonde, l'ivresse qui fait oublier le train-train quotidien sur "Manam", dont le plan presque psychédélique semble tout droit extrait d'un disque de Furia (bah alors, on se moque des copains, mais on tape chez eux quand même ?)... Et, en toute logique, les douloureux lendemains de cuite que l'on ressent dans "Iść dalej", chimère immonde de nappes Noise saccadées par une basse empruntée aux plus énervés des rappeurs Soundcloud... De l'abrutissante routine de ces périurbains désœuvrés, rendu palpable par le mid-tempo solide de "Moja Ratyzbona", jusqu'à la camaraderie avec ses frères de galère, traduite par les chœurs de hools à moitié avinés (presque Oï) de "Jego głos", "I Iść Dalej " rappellera certainement aux banlieusards d'hier et d'aujourd'hui des souvenirs - plus ou moins douloureux. Et pour ceux qui restent totalement étrangers à cet univers, Gruzja reste une formation purement Black Metal, avec les qualités que cela suppose. Elle joue vite, bien, respire le malaise et saura, j'en suis certain, toucher jusqu'au CSP+ dans sa banlieue pavillonnaire. Parce que l'ennui, la routine, les substances, les excès, sont bien loin d'être exclusifs aux précaires.
Ne parlant pas un mot de Polonais, il est fort possible que je me plante complètement au niveau de l'interprétation de ce premier album. Néanmoins, les compositions et ce qu'elles évoquent tapent tellement juste chez moi que je ne pouvais pas les laisser sous silence. Je retrouve chez Gruzja l'odeur du pot d'échappement troué, le sol qui colle dans les rayons de l'épicerie de quartier (vous savez, celle qui garde les alcools forts dans la vitrine à l'arrière du comptoir...), les après-midis passés à tromper l'ennui avec un peu de solvant et un sac en papier. Des souvenirs, un peu honteux, mais qui reviennent comme jamais à l'écoute de cet opus. Et ça, c'est fort. "I Iść Dalej" conjugue la qualité habituelle de l'alliage noir Polonais et la sincérité de ce qu'il raconte. Pas de cirque, pas d'arômes artificiels, juste l'impression d'avoir léché le sol d'un parking souterrain. Et l'album est suffisamment court pour qu'invariablement, on finisse par y revenir.
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