Vous avez pu le voir dans
ma chronique de Regarde les Hommes Tomber ou dans mon top de la décennie 2010 où j'ai placé Ustalost à la première place, mon rapport avec le Black Metal est avant tout affaire de sensations. J'ai grandi avec des OST de jeux vidéo très rythmées, orientées mélodies évocatrices et tempos porteurs et engageants, souvent avec une bonne grosse louche de Jazz Fusion. Autant dire que mes oreilles ont été éduquées en omettant l'abstraction et les pistes atmosphériques planantes et, de fait, j'ai mis énormément de temps à me lancer dans le Black Metal.
Mais si j'ai autant apprécié Ustalost ou le dernier Regarde les Hommes Tomber, c'est que ces productions Black ont su capter mon attention, à la fois par une variété rythmique mais, également, par un élément que je ne retrouve aussi puissant que dans ce genre si vaste : le sentiment de grandeur mélancolique, la froide contemplation des abîmes et la sorcellerie au cœur d'existences futiles.
Je pense, après plusieurs années, pouvoir fixer ainsi ce que j'aime dans le Black Metal, et que j'ai pu avoir avec le Blackened Death également : ces sensations précises qui me permettent de véritablement plonger dans une ambiance dépeinte avec sincérité par les tremolo picking, les larsens et la production mettant en avant une ambiance solennelle et impérieuse.
Si j'ai fait une si longue introduction, c'est bien parce que ce Dawn of Nil cible parfaitement ces critères personnels. Entièrement composé et produit par Vincent Laugier qui, avant cela, avait un projet indépendant Progressive Death / Hardcore du nom de « Terroir X Violence », cet album est d'abord sorti en 2019. C'est l'aventure d'une seule personne de l'écriture jusqu'à la création de la cover en passant par la production, qui a proposé son album à l'écoute sur Bandcamp et qui l'a diffusé sur plusieurs groupes de partage Facebook. L'album a fait son chemin, a été recommandé plusieurs fois et, des expériences multiples, il en ressortait que le son, hélas, n'était pas à la hauteur du projet. Ceci, c'était avant que ce
Culminating Ruins connaisse un remix et remaster en mai 2020, véritable copie définitive de ce qui a été un de mes coups de cœurs 2019.
J'ai découvert cet album avec le morceau « Astral Vertigo », lequel permet de complètement saisir ce qui fait du travail de Vincent Laugier une œuvre à part : outre l'utilisation d'accords dissonants, il y a ces jeux de voix et cette immensité dans la production qui apportent tout le souffle épique et mélancolique à cette musique alternant avec brio les phases rythmiques et atmosphériques. Ce premier contact m'a fait entrer dans un monde vaste et désolé, en proie à la brume des erreurs passées, où les chœurs, au lieu de souligner ce qui fut la gloire d'antan, illustrent les échecs d'une humanité arrogante, bien trop sûre de ses capacités à pouvoir affronter l'adversité, mais incapable de saisir qu'à se battre contre l'Univers, ils sont comme des fourmis qui cherchent à triompher du Soleil.
Cette ambivalence entre nostalgie et violence du cosmos froid et implacable où la Mort seule règne en puissance absolue, on la retrouve dans toutes les compositions aux couleurs mitigées, entre le bleu envahissant du ciel et de l'eau et les teintes ocres de constructions soumises aux caprices du temps. Dès l'ouverture qu'est « Nauseous Existence » on se retrouve pris dans cette alchimie entre le côté atmosphérique des pistes additionnelles et le fil conducteur des sections rythmique et mélodique, créant un mouvement hypnotique, lequel servira de base pour faire naître cette sensation désagréable d'horreur cosmique. Lorsque se lance le morceau éponyme « Culminating Ruins », la batterie se veut monstrueuse, bestiale, nous plaçant ainsi face à une forme inconcevable détruisant tout sur son passage, cependant sans haine ni passion ; ce n'est que l’œuvre naturelle du néant, la finitude de toute chose, le crépuscule d'agonie d'une ère qui se termine.
Outre par les guitares sèches menant à des instants de torpeurs de mélodies lointaines, Laugier parvient à rendre ces nuances tangibles par d'autres procédés. Ainsi « Our Crusade » impose des éléments poignants dans un riffing très Metal extrême à l'ancienne entre le Thrash et le Black, mais le tout est réalisé sous un aspect dissonant qui colle à la voix semblant venir de très loin, faisant varier les couleurs au sein de ce morceau. Je m'imagine tout à fait voguer seul sur les flots serpentant au cœur d'un territoire à l'abandon, où seules les ruines permettent de voir la folie qui a conduit à l'extinction d'un peuple misérable dans ses certitudes – cette voix étant la réminiscence d'un châtiment désormais lancinant, qui se réveille à coup de blast beats ravageurs.
Si j'ai évoqué Ustalost en introduction, ce n'est pas pour rien, car le
« Spoor of Vipers » a été pour moi une révélation, l'ouverture d'un portail vers une forme de sorcellerie musicale qui me transcende totalement. Et je dois bien avouer que, si j'ai eu du mal à me l'admettre, je ne peux que l'affirmer ici : oui, Dawn of Nil me provoque des sensations aussi fortes qu'un Ustalost. Il m'a fallu cependant plus d'écoutes pour pleinement saisir ces émotions. Déjà parce qu'en comparant les versions 2019 et 2020, on se rend compte que, oui, le remix et le remaster étaient essentiels pour que les ambiances soient les plus efficaces possibles. Mais surtout parce que les compositions sont vastes, enchevêtrées telles des structures cyclopéennes. Il semble sortir de cette masse des colonnes abominables, des architectures dépassant notre compréhension d'être humain. Sans doute mes lectures des nouvelles de Howard, auteur de « Conan le Cimmérien », m'influencent dans mon interprétation de ces titres évocateurs, mais c'est bien cela que provoque en moi cet album : il nourrit mon imaginaire, fait naître en mes tripes des sensations mitigées, mélangées dans une confusion me poussant à créer, à concevoir, à écrire. « Alienation » et « Irreversible », par leurs aspects parfois avant-garde dans cette basse dérangeante et les notes encore plus dissonantes, me subjuguent, me clouent sur place, me font frémir.
« Culminating Ruins » de Dawn of Nil, c'est avant tout une expérience, qui se complétera par plusieurs écoutes et se nourrira de la substance de notre esprit et de notre âme. C'est un trou noir aspirant notre essence la plus fugace, enflant jusqu'à nous engloutir dans le vide.
C'est le chant des abîmes et des ténèbres.
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