À l'image de sa musique, Oranssi Pazuzu reste toujours en mouvement. Après la parution du très bon
Värähtelijä en 2016, s'en sont suivis deux EPs l'année suivante ainsi qu'un album live du Roadburn (2019). C'est d'ailleurs lors d'une édition de ce prestigieux festival – en 2018 – que des membres du groupe vont délivrer une prestation collective avec leurs compatriotes de Dark Buddha Rising. Un projet, portant le nom de Waste of Space Orchestra, qui prendra véritablement corps avec la réalisation d'un longue durée. Cette sorte de parenthèse créative et exaltante va également faire office de catalyseur. Et, maintenant, quelle direction prendre ? Quelle impulsion donner à la formation ? En résulte le choix de rejoindre l'écurie du mastodonte Nuclear Blast pour la sortie de son nouveau long format. Comme un nouveau souffle, une envie « d'autre chose ». Une continuité logique mais qui a laissé certains fans sur la réserve. C'est donc avec beaucoup d'empressement et une pointe de crainte que s'est effectuée l'écoute du disque. Qu'allait donc nous réserver les Finlandais ?
En effet, difficile avant de se jeter sur
Mestarin Kynsi d’imaginer la suite des expérimentations des Finlandais, tant
Värähtelijä marquait, malgré quelques défauts, une sorte de sommet dans cette recherche d’une synthèse entre black metal et rock psychédélique animant la formation depuis ses débuts. Et c’est justement un pas de côté salvateur qu’effectue ce premier album pour l’écurie Nuclear Blast ! Pourtant définitivement marqué par la patte du projet (les perdus retrouveront pleinement leur sens de l’orientation avec le final « Taivaan Portti », renouant avec les explosions frôlant le krautrock de
Muukalainen Puhuu), l’essai paraît surtout exprimer une liberté créative inattendue de la part d’un groupe allant vers un label aussi réputé. Loin de capitaliser sur ses acquis pour mieux fédérer, Oranssi Pazuzu explore, cherche et, heureusement, trouve plus d’une fois lors de ces nouvelles cinquante minutes. Plongeant totalement dans un esthétisme s’éloignant de plus en plus du metal (cantonné à quelques soubresauts presque incongrus, cf. « Tyhjyyden Sakramentti » ou encore « Oikeamielisten Sali »), il s’applique désormais à peindre des ambiances rituelles et synthétiques, au sein desquelles une menace sourde. Une démarche qui, dans ses envies d’épure, ses allitérations, ses motifs étouffant de blancheur, écrasant de rythmiques totalitaires et cependant au minimalisme caressant, rappelle le défunt Sink, summum de la folie finlandaise pour qui l’a déjà écouté. Autant dire qu’il y a de quoi voir en ce coup dans le dos un exemple d’indépendance ! Mais cela en fait-il pour autant une franche réussite ?
Certes, ce long format s'en approche mais certains éléments le maintiennent encore à distance. Un fait dû notamment à la façon dont les musiciens l'ont réfléchi et composé – à double tranchant. L'effet de surprise s'estompe quelque peu ici. La formation semble vous guider à vue, laissant de côté ses coups d'éclat (comme sur
Värähtelijä) qui ponctuaient les longues pérégrinations hallucinées. Cela est d'ailleurs très frappant sur les passages metal. Tout est parfaitement mené, tout tombe là ou il faut, là où vous vous y attendez. Comme s'ils étaient là pour ornementer, apportant du rythme à un titre, en particulier lors de belles montées en puissance, et aussi davantage d'accroche (cf. « Tyhjyyden sakramentti ») – à double tranchant. Néanmoins Oranssi Pazuzu continue de vous surprendre mais autrement, comme écrit dans le précédent paragraphe. Les sonorités électroniques prennent le pas, dans la continuité des deux derniers titres du précédent album. D'où ce côté plus froid et synthétique renvoyant quelque peu à leur court format
Kevät / Värimyrsky. Par ce mélange entre modernité et ancien, avec ce son très organique, la musique revêt une aura singulière. Les musiciens vous convient à leur propre cérémonie rituelle et occulte, invoquant des forces ataviques et ce dès le titre introductif « Ilmestys ». Un monde sombre et déstabilisant ou le rythme de batterie tribal côtoie des notes de synthétiseur. Au fil de l'écoute des images se forment, d'un vortex immaculé (l'explosif « Taivaan portti ») à des personnes, sourire aux lèvres, dansant et célébrant la fin du monde à venir (la tortueuse « Uusi teknokratia » avec Korjak impérial derrière ses fûts et des chœurs haut perchés).
Mestarin kynsi dégage quelque chose de fort, voire de cinématographique, par des notes de synthé très 70's/80's (cf. la seconde partie de « Kuulen ääniä maan alta ») mais aussi par ses éléments postmodernes, en particulier sur la magnifique introduction de « Oikeamielisten sali ».
Étrange disque que
Mestarin Kynsi, innovant mais finalement prévisible, libre et pourtant cadré... Oranssi Pazuzu ne s’est pas reposé sur ses acquis, créant une œuvre qui étonne et enthousiasme, en elle-même mais aussi dans les promesses futures qu’elle contient. Le groupe donne une nouvelle fois l’impression de construire, non pas une succession d’albums forts, mais une discographie qui n’en finit plus d’évoluer, chaque rencontre ouvrant une nouvelle porte, donnant à voir une nouvelle manière de plonger dans des abysses intérieures et extérieures, l’espace comme horizon aux limites toujours invisibles. Il nous tarde de nous perdre dans la suite que la bande apportera à ce nouvel essai (on se permettra ici d’espérer que les Finlandais abandonnent définitivement le metal pur-jus à l’avenir, tant il est fascinant de les voir louvoyer autour). Mais en l’état, et malgré quelques frustrations, l’écoute de ce longue-durée paraît bien indispensable !
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