Tous les amateurs de Bloodlet le savent,
Three Humid Nights In The Cypress Trees est l’album de la discorde, le vilain petit canard sur lequel tout le monde s’accorde unanimement à cracher, une déception particulièrement amère pour tous ceux qui à l’époque se sont naturellement pâmés d’admiration devant ces monstres de noirceur que sont les excellents
Entheogen et
The Seraphim Fall. Si deux décennies se sont écoulées depuis la sortie de ce troisième album et que de l’eau à évidemment coulé sous les ponts, force est pourtant d’admettre que
Three Humid Nights In The Cypress Trees est encore aujourd’hui le maillon faible d’une discographie pourtant quasi-parfaite...
Sorti en 2002 sur Victory Records à une époque où le label de Chicago commençait sa diversification en terres Emocore (Atreyu, Thursday, Taking Back Sunday, The Reunion Show...),
Three Humid Nights In The Cypress Trees voit Bloodlet quitter le Studio Z d’Orlando pour se rendre dans l’un des temples de la musique Noise. C’est en effet au Electrical Audio de Chicago et sous la houlette de son patron Steve Albini (Big Black, Rapemen, Shellac, producteur de Nirvana, Pixies, The Jesus Lizard...) que le groupe floridien va enregistrer ce troisième album. Moins épaisse et opaque que celle choisit par Bloodlet sur son prédécesseur, la production de monsieur Albini, plus équilibrée mais non dénuée de caractère, conserve également cette abrasivité et ce côté particulièrement menaçant sans chercher néanmoins à étouffer l’auditeur comme c’est le cas sur le très dense
The Seraphim Fall. De fait, et vous l’aurez probablement déjà compris à ce stade de ma chronique, la production de Steve Albini n’est clairement pas la raison de ce désamour évoqué un petit peu plus haut...
Tout comme il n’y a dans le fond pas grand chose à reprocher à ces douze nouvelles compositions qui reprennent peu ou prou le chemin de ce Hardcore hybride teinté de Sludge et de Metal. Sans grande surprise,
Three Humid Nights In The Cypress Trees renoue effectivement avec cette musique sombre et torturée menée sur fond de séquences mid-tempos tortueuses, écrasantes et syncopées (toujours ces mêmes accointances Jazz évidentes) sur lesquelles viennent se poser les hurlements rugueux, dérangés et malsains d’un Scott Angelacos toujours bien en voix (enfin, dans ce registre en tout cas). De "Learn To Fly: Ascent" à "The Way Of The Leeches" en passant par "I Have Such A Hard Time Making New Friends", "Holy Rollin' Homicide" , "Learn To Fly: Descent" ou "Three Humid Nights In The Cypress Trees", on va retrouver à peu de chose près tous ce qui fait de Bloodlet un groupe aussi particulier, certes rattaché à la scène Hardcore mais en même temps très proche d’autres univers à commencer en effet par le Sludge pour cette lourdeur poisseuse et ces atmosphères moites et viciées qui vous collent littéralement à la peau sur chaque titre. De ces riffs vicieux, torturés et sombres à cette dynamique rampante et sournoise en passant par ces constructions rythmiques tordues et alambiquées, ce chant âpre et fatigué et même ces brèves incartades dans l’univers du Rap avec le titre "Worms", rien n’a vraiment changé dans la formule employée ici par Bloodlet.
Alors, d’où vient exactement le souci sur ce
Three Humid Nights In The Cypress Trees ? Eh bien essentiellement de l’arrivée surprenante de ce chant clair que personne n’avait jusque-là réclamé et que malheureusement les auditeurs vont devoir se fader sur à peu près tous les titres de ce troisième album... Un chant clair beaucoup trop présent et qui, cerise sur le gâteau, s’avère également loin d’être parfaitement maitrisé. Si sur certains titres cela ne pose pas vraiment de problème comme par exemple sur "The Way Of The Leeches", "Learn To Fly: Descent", "The Way Of The Will", "The Way Of The Knife" et cela en grande partie parce qu’il se dégage de ces séquences quelque chose de profondément dérangé et maladif, beaucoup d’autres moments s’avèrent nettement moins convaincants. C’est le cas notamment sur "Learn To Fly: Ascent" (premier morceau et première ligne vocale de l’album - le choc), "I Have Such A Hard Time Making New Friends" et "Learn To Fly: Impact" et cette voix de de crooner assez pénible, "Vision Quest" et son refrain mélodique beaucoup trop guilleret, "Three Humid Nights In The Cypress Trees" et ce chant scandé de façon solennelle, le refrain ultra Emo de "Worms" à 0:45 puis 1:46, "Motel Surgery" à 1:02... Des passages à la technique souvent bancale et mal maitrisée et qui allègent également considérablement le propos et donc cette noirceur qui jusque-là faisait bien évidemment le sel de Bloodlet. Le coup de grâce pour les amateurs de la première heure ? Ce "The Way Of The Knife" qui conclue l’album d’une manière relativement étrange notamment à cause de ces fortes réminiscences deftoniennes (ce premier riff lourd et entêtant et cette voix ultra-saturée)... Une composition qu’à titre personnelle j’apprécie beaucoup mais qui cristallise à elle-seule tous les défauts de ce troisième et dernier album de Bloodlet.
Chercher à sortir des sentiers battus n’est jamais une mauvaise chose. Malheureusement, cela ne paie pas toujours. Avant la sortie de
Three Humid Nights In The Cypress Trees, Bloodlet était déjà un groupe largement à part au sein d’une scène Hardcore à laquelle il est toujours resté attaché malgré ses différences et autres particularités. Aussi, les Américains auraient très certainement pu se contenter de poursuivre le chemin entamé sur l’excellent
The Seraphim Fall. Le groupe a néanmoins souhaité se mettre en danger avec l’usage d’un chant clair beaucoup trop présent et assez mal maitrisé. Résultat des courses, Bloodlet s’est retrouvé à conclure sa carrière (je laisse volontairement de côté les deux EPs sortis en 2010 et 2020 qui n’ont pas fait grand bruit et qui sans chant clair ne sont pas forcément meilleurs) sur un album largement décrié à l’impact bien moindre que celui laissé par ses deux prédécesseurs... Bloodlet a effectivement ici pris un très gros risque en choisissant ce parti-pris particulièrement marqué. Un "move" audacieux que l’on peut encore saluer vingt ans après les faits mais qui malheureusement n’aura pas du tout eu l’effet escompté et aura probablement précipité la chute d’un groupe qui aura néanmoins su le temps de deux albums marquer durablement la scène Hardcore. Et cela, tout le monde ne peut pas en dire autant.
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