Deux ans, c’est le temps qu’il aura fallu à Bloodlet pour donner une suite à
Entheogen, premier album remarqué et surtout particulièrement remarquable qui aura d’une certaine manière permis de bousculer encore davantage les barrières d’une scène Hardcore dont les mutations vers des sonorités moins Punk et assurément plus Metal ne dataient pourtant pas de la veille. Intitulé
The Seraphim Fall, ce deuxième album voit le jour une fois encore chez Victory Records qui possédait probablement à l’époque l’un des rosters les plus intéressants (All Out War, Earth Crisis, Snapcase, Integrity...). Néanmoins, malgré ce délai relativement court laissant supposer que les choses se passaient plutôt bien du côté de Bloodlet, les gens vont vite comprendre que ce n’est pas tout à fait le cas. En effet, à l’issu de ce deuxième album, le groupe d’Orlando choisira de faire une pause à durée indéterminée après deux années particulièrement épuisantes passées sur les routes... Une situation étrange et particulièrement frustrante puisque ce nouvel album que Bloodlet ne prendra même pas la peine de défendre sur les planches est certainement le meilleur qu’il ait jamais composé...
Si l’artwork de
The Seraphim Fall s’avère d’une sobriété un brin décevante, surtout après une collaboration réussie avec monsieur Aaron Turner (Agoraphobic Nosebleed, Coalesce, Converge, Isis, Knut, Old Man Gloom, Torche et j’en passe), l’intérieur du livret propose néanmoins quelques oeuvres plutôt sympathiques que l’on doit toutes à l’artiste Shawn Garrett et qui de ce trait symptomatique des années 90 vont illustrer avec une certaine noirceur et un aspect cartoonesque évident la chute de ce séraphin évoqué dans le titre. Côté captation et restitution, l’enregistrement c’est fait une fois de plus au Studio Z d’Orlando sous la directive du producteur David Clark (qui travaillera plus tard avec des groupes tels que Neurosis, Steve Von Till ou bien encore Shrinebuilder). D’une densité qui vous colle à la peau, la production, tel un instrument à part entière, participe elle aussi activement à l’extrême lourdeur, à la fois épaisse et moite, qui va s’abattre sur l’auditeur dès les premières secondes de "Whitney". En effet, si
Entheogen n’était déjà pas d’une très grande légèreté dans sa production et dans ses atmosphères, ce n’est rien comparé à ce qui attend l’auditeur sur
The Seraphim Fall. D’une noirceur suffocante, ce deuxième album se montre d’emblée beaucoup plus dangereux et toxique que son prédécesseur qui pourtant ne prêtait pas vraiment à sourire. Entre ces guitares particulièrement abrasives et ultra-saturées, cette basse chargée soulignée par ces attaques tout en rondeurs, cette batterie naturelle aux frappes desséchées et ce chant âpre et toujours autant à bout de souffle, le corps et l’âme sont ici durement mis à mal…
Bien entendu, cette production n’est pas le seul élément attestant du degré de maturation atteint ici par Bloodlet. Si les compositions du groupe conservent en effet cette approche sinueuse et opaque qui faisait déjà le charme de son prédécesseur, on y décèle néanmoins un niveau technique plus à même de répondre aux ambitions du groupe et à cette envie viscérale d’offrir une musique sombre capable de mettre l’auditeur dans un véritable inconfort, qu’il soit physique ou émotionnel. Toujours située quelque part entre Hardcore (notamment pour son groove et ses origines premières), Sludge et Metal (pour tout le reste), la recette de Bloodlet se distingue par ces nombreuses séquences mid-tempo aux signatures rythmiques atypiques empruntées à l’univers du Jazz ("Dogman With Horns" à 1:28, "Sister Supreme" à 0:35, "Seraphim", "Sawtooth Grin" à 1:28 ou 9:16...), par ces riffs particulièrement épais et sournois qui retentissent telle une menace insidieuse ("Whitney", "Dogman With Horns", "Sister Supreme", "Shoot The Pig", "Sawtooth Grin", "Your Hours"...), par ce groove malsain qui tout en vous conduisant à l’échafaud réussira quand même à vous faire chalouper d’un petit air satisfait ("Whitney", le surprenant "Stew For The Murder Minded" qui sert ici d’interlude Rap instrumental sur fond de discussions de criminels, "Seven Hours Of Angel Food", "Sawtooth Grin"...), par ces passages tarabiscotés, dissonants ou contre-nature tout droit sortis d’imaginaires tordus et dérangés ("Dogman With Horns" à 2:09, le trip gangster de "Stew For The Murder Minded", "Sawtooth Grin" à 5:35, "Lamatations (In Tribute To Infamy)", "Your Hours" et ses trente minutes disparates...), par ces quelques accélérations qu’une fois encore on pourrait compter sur les doigts d’une seule main ("Seraphim" et ses très rapides mais également pas très intenses coups de nerfs) ou bien encore par ces quelques moments plus apaisés lors desquels Bloodlet donne l’illusion que les choses pourraient s’arranger alors qu’au fond il ne fait aucun doute que nous sommes tous foutus (cette guitare acoustique sur l’entame de "Dogman With Horns", "Your Hours" à 5:45...). Bref,
The Seraphim Fall poursuit ce chemin entamé depuis les débuts du groupe, laissant petit à petit de côté les derniers restes Hardcore qui persistaient encore (notamment ces quelques accélérations et autres séquences plus « faciles ») pour embrasser pleinement ce caractère imprévisible et psychotique déjà largement aperçu sur l’excellent
Entheogen.
Cultivant son propre univers depuis le départ, Bloodlet semble être le chainons manquant entre Neurosis et Today Is The Day, empruntant au premier cette lourdeur et ce mal de vivre et au second ce côté particulièrement vicieux et malsain. Bien entendu, le groupe d’Orlando ne s’est jamais contenté de cette place un peu inconfortable (les inévitables comparaisons) et à toujours su y amener autre chose afin de mieux se différencier. On retiendra ainsi ce putain de groove (pour parler vulgairement) qui vous attrape dès les premières accords de "Whitney" et ne vous lâche plus que lorsque les Américains relâchent leur emprise après huit minutes d’un "Your Hours" en deux parties... Album maladif, absolument dérangé et d’une sournoiserie sans pareil,
The Seraphim Fall n’est pas un album aisé dans lequel on peut espérer s’immerger et se perdre le téléphone à la main en scrollant ses fils Instragram et Facebook. Non, il s’agit là d’un album exigeant qui demande que l’on s’y abandonne totalement pour mieux en percevoir les fondements, développements et autres subtilités et au passage accepter d’y laisser une partie de soi... Car une chose est sûre, ce voyage particulièrement tourmenté que nous offre ici Bloodlet n’est pas pour les coeurs fragiles.
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