Deftones - Ohms
Chronique
Deftones Ohms
Pour qui a été adolescent et jeune adulte durant les années quatre vingt dix, il y avait de quoi s’enthousiasmer d’un point de vue musical à cette époque tant cette décennie fut riche, que ce soit au niveau de l’underground qu’au niveau de l’overground. Il s’y est passé tellement de choses que je reste particulièrement attaché à cette décennie pour beaucoup de genres musicaux, et je ne vais pas m’étendre sur le sujet car cela risquerait d’étendre indéfiniment cette chronique. Et c’est ainsi que durant la seconde partie de cette décennie, l’ont vit l’émergence d’un nouveau courant musical, le néo metal, qui avait un peu pris les devants après l’éclosion et la mise en retrait de la scène grunge. Et c’est ainsi que l’on pouvait découvrir les clips de ces nouvelles sensations lors de l’émission best of trash - admirez la faute assumée ou pas - de la chaîne M6, et qui rappellera de bons souvenirs à ceux de ma génération, à commencer par Korn puis rapidement Deftones, Coal Chamber et tant d’autres. Mais, déjà, à l’époque de Adrenaline et Around the Fur, Deftones se distinguait au sein de cette vague par une certaine singularité, ce qui allait se confirmer avec le magistral White Pony sorti il y a vingt ans et qui reste pour moi leur chef d’œuvre. Et puis, nos routes ne se sont plus vraiment croisées, étant passé à d’autres choses, si ce n’est une certaine curiosité lors de la sortie de Koi No Yokan, premier disque écouté depuis White Pony et je fus agréablement surpris à l’époque mais sans pour autant jeter une oreille sur Gore.
Et puis en cette année deux mille vingt, il y a eu les vingt ans de White Pony et, à la fin de l’été, un premier single annonçant un peu avec surprise la sortie d’un nouvel album, avec le titre Ohms, qui a été dévoilé, et dont la mélodie vocale me rappelle un peu la chanson Mudride de Mudhoney. Et là je fus bien surpris, comme si je retrouvais le groupe qui m’avait plu il y a une vingtaine d’années, le retour de Terry Date derrière les manettes étant sans doute un signe du destin. Évidemment, je me méfie toujours un peu des singles en avant première, surtout cette année, car l’on est souvent déçu lorsque l’on écoute l’album dans son entièreté. Ce ne fut pas le cas pour ce neuvième album des Californiens. S’il y a bien d’ailleurs un groupe dont je ne pensais pas du tout m’enthousiasmer cette année, c’est bien Deftones et pourtant ce Ohms est une belle preuve de la bonne santé et de l’inspiration du groupe. Sur ces dix titres, l’on retrouve le quintet dans une forme assez étincelante, proposant une sorte de synthèse de tout ce qu’il a pu faire ces vingt dernières années avec ce melting pop d’influences et de champs musicaux explorés, entre le côté plus doucereux de Gore, les arrangements bien ficelés de Koi No Yokan, et une verve retrouvée, comparable à celle de l’album éponyme et, évidemment, des débuts, et dans ce domaine je ne peux m’empêcher de faire des parallèles avec le poney blanc.
L’on va dire que c’est assez facile d’y penser et pas seulement parce que Terry Date en est le producteur. Sur Ohms, l’on retrouve des guitares bien plus incisives et surtout une lourdeur assez importante, pour ne pas dire imposante. Stephen Carpenter a utilisé une guitare à neuf cordes et pour une fois, l’on ne peut que saluer le fait qu’il a réussi à en tirer autre chose qu’une bouillie sonore indigeste, le titre Error étant à ce titre assez significatif. Mais c’est cela qui surprend et l’on a plein de passages qui sont bien plus violents et écrasants que ce que le groupe a pu nous proposer jusqu’alors, même dans sa prime jeunesse. L’on n’est pas loin de penser par moment à leurs compatriotes de Will Haven, mais l’on ressent bien ces influences post metal aux détours de très nombreux riffs. Et c’est vraiment un régal à ce niveau, que ce soit sur le début de Urantia, le côté entêtant de The Spell of Mathematics, et, évidemment sur l’excellent Genesis qui ouvre les débats. Pour autant, il n’y a pas que des gros riffs qui tâchent sur cet album, l’on y retrouve d’ailleurs un jeu assez complet avec quelques arpèges et quelques mélodies touchantes, même s’il est vrai que le travail purement rythmique demeure bien sûr la marque de fabrique du groupe. Mais la basse de Sergio Vega n’est pas uniquement là pour appuyer ces riffs, elle respire et s’évade par moments sur ses propres sillons pour enrichir tout cela, ce qui va bien au-delà de la simplicité dans laquelle l’on pourrait ranger la musique exécutée par le quintet, à ne pas confondre avec l’efficacité qui, elle, est au rendez-vous.
Si le retour à une certaine intensité est l’un des faits marquants de ce Ohms, ce serait bien réducteur de le limiter à cela. Deftones fait toujours aussi bien cette balance - « balance, balance, balance …» - entre moments chargés et d’autres bien plus éthérés et où les influences propres à un The Cure, au shoegaze et à la pop prennent également les devants. Cela se confirme sur des titres plus apaisés, comme sur la très maritime Pompeji, et l’on retrouve cette trame à la fois mélancolique et nostalgique, comme regarder le temps défiler sur une plage lors d’une soirée de fin d’été, où l’on sait que les beaux jours sont derrière soi. C’est d’ailleurs ce qui a toujours fait la force et tout l’intérêt de Deftones; de naviguer entre lumière et obscurité, entre Eros et Thanatos. Il y a toujours cette confusion de sentiments très humains dans leur musique qui la rend très humaine, dans cette complexité et ce côté cyclothymique, où la rage côtoie la poésie, où l’envie de relever la tête est tout autant bousculée par cette volonté de se confiner chez soi, de se recroqueviller comme pour mieux se protéger de ses propres fêlures. Et je dois avouer que c’est cette bivalence, ce côté à la fois rustaud et fragile qui fait tout l’intérêt de cet album. En cela, outre la qualité d’écriture de ces dix titres, ce sont tous ces éléments et ces arrangements qui donnent une plus grande profondeur à cet album. Ohms fourmille de petits détails qui se dévoilent au fur et à mesure des écoutes, je recommande d’ailleurs une écoute au casque tant l’on se fait rapidement happer par ces multiples couches.
À ce petit jeu, l’on ne peut que saluer tout le travail d’orfèvre effectué par Frank Delgado avec ses nappes de claviers et tous les samples qui enrichissent chaque titre. Il suffit souvent de fermer les yeux pour être pris dans ces sonorités, le plus souvent analogiques, très délicates et bien jaugées, qui ne prennent pas les devants, mais qui sont présentes en constituant un contre point parfait à la pesanteur des guitares. Je pense notamment au titre Urantia, mais c’est sur l’entièreté du disque qu’il faut saluer ce travail, surtout que cela reste assez souvent discret et qu’il sait se mettre en retrait quand l’ambiance l’exige. J’aime bien aussi cette dichotomie entre couplets où cela martèle et ces refrains poignants plus mélodiques que l’on retrouve assez fréquemment sur cet album. Je sais que c’est très classique, fait et refait des millions de fois, mais cela fonctionne toujours aussi bien chez Deftones. L’on sent bien la cohésion chez le quintet et ça transpire l’envie de bien faire à tous les niveaux. Et quand je parle à tous les niveaux, j’y inclue bien évidemment le chant. Notre gros Chino - copyright Angleterre - est vraiment excellent sur cet album en touchant à tout ou presque, entre son chant forcé qui nous renvoie aux débuts du groupe, et son chant angélique et tellement bourré d’émotion. Oui, parce que tout ce que l’on aime chez lui est présent ici, cette faculté à haranguer les foules tout autant présente que celle de te mettre le petit coup derrière la tête en se mettant à nu. Il est en pleine forme sur cet album au même titre que ses acolytes et cela fait plaisir à entendre.
Ohms c’est donc tout ceci: un bel album qui tient toutes ses promesses. Un album qui peut nous faire penser au passé du groupe mais qui en même temps va de l’avant avec cette lourdeur re-trouvée, cette verve que l’on pensait perdue avec Gore, mais aussi cette facette un peu triste et tourmentée. S’il y a une forme de syncrétisme musical aussi bien dans ce que Deftones a pu faire depuis un quart de siècle que dans les multiples influences et univers musicaux qui s’entrecroisent ici, c’est purement un album de Deftones, et même un grand album. J’ai préféré laisser passer l’enthousiasme de sa découverte pour me retrouver finalement à le réécouter très fréquemment avec toujours autant de plaisir et d’y découvrir une bien plus grande profondeur que ce que le côté accessible et direct m’avait laissé penser aux premiers abords. Pour ainsi dire, je le trouve presque au niveau de White Pony, et sans doute que la charte graphique et les quelques signes du temps n’y sont pas étrangers. En tout cas, c’est une des belles surprises de cette année deux mille vingt, avec aucun temps morts, ni même de remplissage de la part des Américains, qui n’en finissent pas de surprendre au fil du temps et qui laissent bien de leurs contemporains très loin derrière eux en terme de musicalité, d’inspiration et de classe, tout simplement.
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