Même si Combat Records a bien tenté de faire un petit peu d’esbroufe en sortant dès 1989 deux live à l’intérêt plus ou moins discutable (un album intitulé
Raw Evil: Live At The Dynamo ainsi qu’un split en compagnie de Dark Angel, Death, Faith Or Fear et Raven), il n’aura pourtant fallu qu’un an et demi à Forbidden pour revenir nous asséner une belle leçon de Thrash. Certes, on peut comprendre le besoin d’entretenir l’intérêt du public face à une concurrence absolument impitoyable qui plus est à une époque devenue petit à petit bien moins propice au Thrash mais bon, je ne suis pas certain que ces deux sorties intermédiaires aient finalement servi la cause de nos Californiens...
Quoi qu’il en soit, c’est en mars 1990 que le groupe d’Hayward va faire son véritable retour. Une reprise d’activité marquée par le départ du guitariste Glen Alvelais parti fonder Bizarro avant de rejoindre finalement Testament en 1992 et par conséquent l’arrivée du regretté Tim Calvert afin de ne pas laisser tout le boulot au talentueux Craig Locicero. Ne souhaitant pas réitérer l’exercice de l’enregistrement sous la responsabilité de messieurs Doug Caldwell et John Cuniberti, Forbidden fera appel cette fois-ci au producteur Michael Rosen (Cacophony, Death Angel, Flotsam And Jetsam, Lååz Rockit, Sadus, Testament, Vicious Rumors...) afin d’enregistrer et produire ces neuf nouvelles compositions aux célèbres Fantasy Studios de Berkeley. Côté mastering, c’est à New-York que les choses se feront sous la houlette de Howie Weinberg (Anthrax, Celtic Frost, Cro-Mags, Cyclone Temple, Danzig, Def Leppard, Leeway, Manowar, Overkill, Scorpions, Slayer...). Des décisions qui sans fondamentalement changer la donne vont tout de même apporter davantage d’attaque et de rondeurs aux compositions des Californiens. Enfin, un petit mot tout de même sur cette illustration signée une fois de plus des mains de Kent Mathieu et qui pour le coup est probablement l’une de ses œuvres les plus abouties et réussies de sa carrière musicale (pour rappel, on lui doit entre autres quelques travaux pour Artillery, Autopsy, Exhorder, Exodus, Heathen, Hexx et Possessed). Une réalisation qui aurait très bien pu servir à illustrer un film d’horreur de l’époque et qui aujourd’hui encore n’a pas pris une seule ride.
Adepte dès le départ d’un Thrash incisif et mélodique typique de la Bay Area, Forbidden n’a pas choisi avec ce deuxième album de changer son fusil d’épaule. Intitulé
Twisted Into Form, celui-ci est à vrai dire l’expression d’un groupe encore un petit peu plus à l’aise avec sa formule au point d’y inclure désormais quelques subtilités supplémentaires sans pour autant trahir ou nuancer son propos initial. En l’occurrence, c’est un virage un poil plus progressif qu’entame ici le groupe californien à travers quelques passages effectivement toujours très mélodiques (les nombreux solos qui ponctuent chaque titre de l’album ou presque et qui demeurent assurément l’un des atouts majeurs de la formation), des séquences bien souvent instrumentales de tricot toujours très techniques mais sensiblement plus tarabiscotées qu’auparavant ("Infinite" à 3:09, "Out Of Body (Out Of Mind)" à 1:23 et 1:42, "Twisted Into Form" à 2:04, "R.I.P." à 3:19, "Tossed Away" à 2:13, "One Foot In Hell" à 2:39) ainsi que quelques titres instrumentaux et acoustiques faisant ici office d’introduction ("Parting Of The Ways") ou d’interlude ("Spiral Depression"). À cela il convient également d’ajouter le chant de Russ Anderson toujours aussi solide entre chouettes envolées vocales particulièrement maitrisées comme par exemple sur "Out Of Body (Out Of Mind)" à 4:06 ou "Twisted Into Form" à 2:26 et tirades à la fibre Heavy Metal évidente. Là encore, un des grands points positifs de Forbidden...
En dépit de touches effectivement plus progressives et mélodiques, le groupe n’a rien perdu de son mordant et continue ici de s’imposer comme une valeur sûre de la scène Thrash californienne. Pour ce faire il lui fallait évidemment une fois de plus du riff de qualité et à ce petit jeu-là la paire Locicero / Calvert entend bien faire étalage de tout son potentiel. Ainsi de "Infinite" à "Out Of Body (Out Of Mind)" en passant par "Step By Step", "R.I.P." et ces quelques titres plus posés que sont "Twisted Into Form", "Tossed Away" et "One Foot In Hell", les deux guitaristes s’en donnent effectivement à cœur joie (du shredd en veux-tu en voilà) avec, cerise sur la gâteau, d’innombrables solos (proposés parfois sous forme de question / réponse entre les deux guitaristes) dotés systématiquement d’un feeling à vous hérisser le poil ("Infinite" à 3:30, "Step By Step" à 2:17 et 3:29, "Twisted Into Form" à 2:02, "R.I.P." à 3:53, "Tossed Away" à 2:33, "One Foot In Hell" à 2:39). Bref, une succession de cavalcades rondement menées grâce à des riffs particulièrement bien troussés ainsi que des structures en apparence simples et évidentes mais plus complexes qu’il n’y parait, des changements de rythmes et de mélodies toujours intéressants et globalement une approche intelligente du genre et cela sans jamais manquer d’efficacité.
Ainsi, sans être profondément différent du déjà très bon
Forbidden Evil,
Twisted Into Form montre pourtant un groupe qui en l’espace d’un an et demi aura su pleinement profiter des moyens mis à sa disposition, des opportunités qui lui auront été proposées et même tourner à son avantage une situation souvent jugée compliquée (le départ d’un guitariste est effectivement rarement une bonne nouvelle) pour affiner sa formule et ainsi nous offrir un deuxième album en tout point supérieur à son prédécesseur. De cette illustration indémodable à cette production soignée et puissante (en tout cas pour l’époque) en passant évidemment par ces titres hyper efficaces et réfléchis, mélodiques mais malgré tout très incisifs, ce chant vicieux aux inclinaisons Heavy Metal solides, il n’y a en effet pas grand-chose à reprocher à Forbidden et à ce deuxième album en tout point impeccable. Sans grande surprise, c’est donc une nouvelle leçon de Thrash que nous dispense ici le groupe californien. Un disque qui trente-quatre ans après les faits a su conserver toute sa saveur et sa pertinence.
1 COMMENTAIRE(S)
26/05/2024 11:05
Efficace tout en étant précis et pointu, avec des paroles superbement écrites et un chanteur qui savait tenir la dragée haute à Rob Halford (il n'y a qu'à entendre les prestas lives de covers de Judas Priest que Forbidden faisait à l'époque, c'est vraiment bon).
Pour moi, cet album est un game changer dans la transition vers le Thrash tardif, ce Thrash beaucoup plus sombre et porté sur l'exigence de la composition, avec notamment le premier Depressive Age en ligne de mire (First Depression, c'est cet album en plus sombre, ni plus ni moins).
Et m'est avis que ce Twisted Into form a forcément dû tomber dans l'oreille d'un certain Chuck, parce qu'il y a des plans qui préfigurent Control Denied.
Parlant du saint patron, ce disque de Forbidden est un album qui me fait dire : "mais pourquoi Schuldiner n'a pas engagé Russ Anderson pour chanter dans Control Denied ? Il aurait été parfait pour donner vie à son Heavy technique et progressif".
Sur Terre 2 on aurait sans doute un "Fragile Art of Existence" totalement différent, mais également ce fameux When Machine & Man Collide - mais je divague :'D