Feminazgul - No Dawn For Men
Chronique
Feminazgul No Dawn For Men
Je suis conscient que le nom de Feminazgûl risque de faire sourire dans la mesure où il est la contraction des termes feminazi et nazgûl, mais je pense que les sourires vont rapidement s’estomper à l’écoute de leur musique. Pourtant cela fait réellement sens lorsque l’on se penche sur le concept même de ce duo aux thématiques féministes on ne peut plus engagées et assumées, faisant un syncrétisme avec cette thématique et celle du lore de Tolkien, dans le sens où les nazgûl, ces créatures maléfiques, étaient les ennemis des hommes. Il faudra l’entendre ici non pas en tant qu’espèce mais en tant qu’individus. Cela est d’ailleurs assez explicite dans le titre même de ce premier album, No Dawn for Men, ainsi que dans celui du premier EP sorti en deux mille dix huit et qui reprend une réplique du commandant des Orques lors de la bataille de Minas Tirith: « l’âge des hommes est terminé ». De toute manière, quoi de mieux que le black metal pour choquer les consciences et ne pas rentrer dans certains conformismes. À sa naissance en deux mille dix huit, ce projet était celui de Margaret Killjoy, année qui vit donc la sortie de l’EP The Age of Men is Over, dont on retrouve deux titres remaniés sur cet album. Elle a été rejointe par la suite par la chanteuse Laura Beach qui a donc participé à l’enregistrement de ce premier album No Dawn for Men.
Circonscrire Feminazgûl a un énième projet musical d’activistes serait leur faire complètement injure et serait même une réelle injustice, car ce premier album regorge de qualités, et pas des moindres. La première de toutes ces qualités c’est l’originalité, clairement. Ce n’est évidemment pas aisé de se singulariser dans un domaine musical, le black metal atmosphérique pour être précis, quand tout y a déjà été dit et fait, ou presque, depuis un bon quart de siècle. Et pourtant, c’est clairement le défi qu’ont relevé les deux Américaines. Évidemment, l’on va retrouver ici des points d’accroche avec des styles bien connus, je pense notamment à la vague cascadian black metal, nommément dans cette manière de traiter la guitare, plus comme une texture, avec beaucoup de réverbération dans le son, et d’agencer ses riffs, très efficaces et très tournoyants, à la manière d’un Wolves in the Throne Room. Pour autant, ce n’est pas une bouillie sonore à laquelle il faut s’attendre ici, même si le rendu est très englobant, mais nous avons bien à faire avec des riffs qui sont autant de coup de semonces et d’attaques en règle, leurs aspérités et leurs acidité renforçant cet aspect. D’ailleurs, les tempi sont volontiers rapides, même si les nuances de rythmes sont très fréquentes, au grès des changements d’atmosphères entre moments intenses et belliqueux, et d’autres plus contemplatifs et mélancoliques. Une mélancolie inhérente à celle de la Terre du Milieu et que l’on pourrait d’ailleurs rapprocher d’une autre influence évidente du duo, celle de Summoning, pas seulement pour des rapprochements thématiques, mais également pour le côté très immersif de leur musique.
En effet, s’il y a bien un trait de qualité que l’on peut donner à ce No Dawn for Men c’est cette propension à vous happer dès l’introduction de Illa, Mother of Death, pour ne plus nous lâcher pendant près de cinquante minutes, et nous emmener dans un monde fantasmagorique, dans des temps reculés. C’est là où toute l’eccéité de Feminazgûl se développe: dans ses choix de compositions, dans ses arrangements et dans la multiplicité des instruments utilisés ici. Ce que l’on va retenir à l’écoute de cette réalisation c’est la très grande maîtrise de Margaret Killjoy, pas seulement en terme de qualité d’écriture, mais, et surtout même, dans cette maestria dont elle a fait preuve tout au long de ce disque en intégrant divers instruments un peu iconoclastes pour le genre mais qui en deviennent idoines. L’on trouve ainsi, outre des claviers divers, du violon, du theremin, tous les deux joués par la multi-instrumentiste Meredith Yayanos, mais également de l’accordéon et des chœurs féminins. Tout ceci s’agence très bien et enrichit complètement la musique de Feminazgûl en lui donnant ce côté vraiment irréel et très touffu. Un des plus bel exemple serait sans doute ces chœurs angéliques entrecroisés avec ces mélopées de violons sur The Rot in the Field is Holy qui viennent en contrepoint au côté intense de ce titre. Mais tout cet album fourmille d’ornements graciles, cohérents et pertinents. Une nouvelle fois, Margaret Killjoy se distingue aussi par un travail acharné sur les moindres détails et sur une excellente production bien ample et qui rend justice à tout ceci, avec une nouvelle fois un très bon travail sur les textures, où cette brume apparente s’évapore petit à petit au fil des écoutes pour y dévoiler une grande profondeur.
Vous allez m’objecter que tout ceci c’est très beau, mais que cela pourrait donner l’impression d’une musique évidée de violence. Il est vrai que les moments extatiques et plus posés sont présents sur cet opus, comme sur le quasiment drone Forgiver, I Am Not Yours et sur le très aérien Look Not To Erebor. C’est dans ces moments là où la mélancolie du groupe va prendre les devants, comme pour mieux dire que malgré tous ces combats, il y aura toujours comme une forme de rejet de la part des Autres. Mais l’autre facette du duo, c’est bien ce côté guerroyeur que l’on a sur les compositions les plus longues, je pense notamment à I Pity the Immortal et à In the Shadow of Dead Gods, où les tempi sont bien rapides et où la tension ne redescend jamais. Ceci dit, l’on aime bien jouer sur les contrastes et sur les émotions chez Feminazgûl, preuves en sont les titres Bury the Antlers With the Stag et To the Throat, où cela commence calmement et sur des tonalités tristes avant de partir à l’assaut comme autant de charges désespérées pour faire changer les choses. En cela, ne vous y trompez pas, le chant de Laura Beach va bien vous rappeler qu’il n’est pas question de rigoler ici, avec un chant black bien râpeux et très bon, qui n’est pas sans me rappeler parfois celui de Silenius - Amestigon, Abigor et Summoning. Oui, elle déverse bien sa haine et sa rage contre les hommes et leurs injonctions et cela est très bien fait, avec mention spéciale sur le lancement des hostilités sur Bury the Antlers With the Stag, de quoi avoir vraiment des frissons.
No Dawn for Men c’est bien plus qu’une excellente réalisation de black metal atmosphérique et où le talent de Feminazgûl s’y exprime de fort belle manière. Il y a peut être quelles scories par ci, par là, mais très minimes en mon sens, car le rendu est vraiment très bon et n’a pas son pareil pour nous faire voyager. Le duo se distingue clairement avec une réalisation solide, particulièrement originale et tellement enivrante. Et avouez que pour une premier album, la qualité est réellement épatante. C’est ainsi le meilleur médium pour exprimer la rage et la colère induites par des siècles d’oppression mais aussi une manière de renouer avec une forme de magie qui a été combattue et pourchassée pendant de nombreux siècle et qui est mise à l’honneur ici, à la manière des harpies présentes sur la pochette de cet album. C’est aussi et même bien évidemment cela que l’on ressent à travers cette œuvre, qui n’aura pas fini de m’intriguer et de m’enthousiasmer au fil des écoutes.
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