Leprous. « Plaisir coupable » de notre illustre guerrière ERZEWYN, « retournée comme une crêpe » par
The Congregation (2015), pause salvatrice qui a le mérite de savoir la prendre aux tripes (c'est un gage de qualité) entre deux saucées de death metal caverneux et grumeleux. « Eargasm » assumé pour ma part, depuis un petit moment maintenant. Malgré des premières sorties assez quelconques (
Tall Poppy Syndrome et sa production gadget, en 2009), les Norvégiens ont su renouveler leur metal progressif en lui offrant des relents pop à la fois raffinés et efficaces. Toutes les flèches décochées par leur tête de gondole Einar Solberg, autant vocaliste lumineux que compositeur de grand talent, savent toucher leur cible avec une précision démoniaque. Aux leitmotivs obsédants de
Malina (2017), « From The Flame » en tête, succédèrent ceux de l'album
Pitfalls (2019) qui prenait un virage « mainstream », doux et satiné, loin du nerveux et complexe
Bilateral (2012) qui fit date en son temps. Une telle démarche prenait donc le risque de laisser quelques fans historiques sur le carreau. Payant, puisque l'antépénultième sortie aura surtout servi de tremplin à la conquête de nouveaux territoires.
En tout cas, l'appétit d'expérimentations de mon cher collègue Astraldeath avait été satisfait. Le mien aussi. Il y avait de quoi : les envolées lyriques du frontman y brillaient de mille feux, tant et si bien que mon auguste prédécesseur constatait avec pertinence que toutes les compositions du combo semblaient tourner autour de son organe pour le mettre en valeur. Pourtant, ses comparses sont loin d'être des faire-valoir. Le co-fondateur du groupe Tor Oddmund Suhrke (guitare), l'excellent batteur Baard Kolstad, passé faire de la session chez
Ihsahn, ou encore Simen Daniel Børven (basse) et Robin Ognedal (guitare) viennent apporter leur expertise pour façonner les mélodies sucrées et accrocheuses de ce nouvel album, mélange d'idées maturées dans les trois studios nécessaires à son enregistrement (Ghost Ward Studio, Ocean Sound Recordings et Cederberg Studios) mais surtout douloureusement accouchées pendant les confinements successifs de la planète. Les situations d'anxiété que ceux-ci ont amené dans bon nombre de foyers ont semble-t-il catalysé l'inspiration des Norvégiens, dans la continuité d'un
Pitfalls qui tournait déjà autour de ces thématiques.
Mais c'est aussi une continuité musicale qu'
Aphelion nous propose. Rien qu'avec la présence de Raph Weinroth-Browne, qui vient déverser son délicat violoncelle pour ajouter un supplément de mélancolie aux riffs ciselés du combo, les habitués se trouvent en terrain connu. Les sonorités denses et riches de
Leprous, toujours bardées d'infimes subtilités se retrouvent avec un plaisir certain durant les premiers instants de l'album qui rivalisent d'inventivité et de classe. Le groupe ne laisse rien au hasard, ajoutant avec une précision dantesque à sa production des éléments d'électro, de math rock à la
Foals période
Antidotes (2008) ou encore
Total Life Forever (2010) pour ses moments les plus intimistes ou encore de pop tubesque qui n'y va pas par quatre chemin pour draguer le chaland. À l'image de « Running Low » et ses « miracle, miracle, miracle » répétés à l'envi, posant le décor d'un album accrocheur à balles qui commence très fort. En effet, cet état de grâce persiste durant les deux morceaux fort racés qui succèdent à cette ouverture réussie. « Silhouette » et ses effluves d'électro contemplatif rappelle la capacité des Norvégiens à créer des tubes incendiaires qui sauront happer n'importe quelle esgourde. Mais avec « Out Of Here », c'est une perle étincelante que les Norvégiens propulsent dans l'inconscient de leurs auditeurs. Son atmosphère fantomatique et ses choeurs ensorcelants viennent flatter les oreilles avec un charme ravageur, tout comme cette petite guitare saturée qui vient en souligner les formes aguicheuses.
« Lifelong flight
(Out of hеre, out of here, everywhere)
Far beyond the red light
(Light, light)
Lifelong flight
(Out of here, out of here, everywhere)
Last night
Was the start of something new »
Et bien sûr, il y a Einar Solberg. Notre homme sait autant trouver les faveurs de l'ami Anken, séduit à ses heures par ses intonations virtuoses, que les miennes. Il plane comme un albatros sur l'ensemble des morceaux de ce nouveau millésime comme il le faisait sur
Pitfalls (2019). Il est tout autant omniprésent sur
Aphelion, ce qui peut évidemment être à double tranchant. Mais là où bon nombre de personnes y verront de la prétention mal placée, je ne cesse d'y voir de mon côté une dose de génie. Tantôt dans l'aigu le plus éthéré, mais aussi dans le sinistre, il s'offre tout entier à ses auditeurs dans une démonstration éclatante – et orgiaque – de son talent. Outre sa tessiture atypique, faite de tremolo subtils et de tremblements habités, de hurlements racés qui font délicatement crisser sa gorge, il met à nouveau les mains dans le cambouis du metal extrême avec l'ultime piste « Nighttime Disguise », démonstration de virtuosité autant que d'inventivité dans un registre « prog noir » cher aux Norvégiens. Composé avec les fans dans le cadre d'une démarche très louable, il conclut l'album de la meilleure des manières avec une tuerie ciselée, pensée pour faire mouche, qui n'oublie pas d'être organique lorsque le frontman omnipotent se métamorphose en créature de la nuit avec ses cris possédés. En concluant
Aphelion de cette manière, les Norvégiens émargent donc avec une classe infinie. Futur classique du combo, à n'en point douter, à l'image de cette saillie frontale propulsée à la face du monde par un Einar Solberg déchaîné avant l'apocalypse finale :
« WHEN I'LL BE GONE ! »
Cela n'empêche pourtant pas ce nouvel album de se perdre dans les méandres de sa créativité. Les nombreuses écoutes nécessaires à son appréhension en font un pivot entre ses moments indispensables et un ventre-mou qui surgit après les belles promesses que nous faisaient ses premières pistes. Passé le charme de la découverte, les « All The Moments », « Have You Ever ? » et surtout « The Shadow Side » qui prend une tournure presque R'n'B avec ses violons staccato d'un autre temps, viennent remplir plus que nourrir. Seul l'enlevé « The Silent Revelation » réveille un peu un déroulé qui semble carrément être en pilotage automatique! Dans cette enchaînement de morceaux faiblards, les envolées de génie du vocaliste se transforment en cabotinage, les subtilités du combo en manières. Comme si
Aphelion était déjà épuisé, déjà consommé. « On Hold » et sa vibe électro créée par les claviers saccadés en est un bon exemple : ce moment d'envolée intense qui forme le refrain n'impressionne pas autant qu'il le faisait aux premières écoutes et ne provoque pas l'émotion durable que le morceau était voué à créer, d'autant plus à grand renfort de « tapping » contemplatif qui tente vainement d'en augmenter la charge émotionnelle. La séduction douceâtre que tente d'instiller ce metal progressif de plus en plus « popisant » peine à dissimuler son inspiration déclinante. Heureusement que l'émouvante ballade « Castaway Angels », déjà dévoilée dans le cadre d'un EP, vient faire tressaillir l'encéphalogramme que l'explosion finale se charge de remettre sur le droit chemin. Un peu tard... en effet, toute médaille à son revers : conclure ce full-length de cette façon lui porterait presque préjudice, laissant en bouche un goût de frustration, que le morceau « Nighttime Disguise » ne parvient pas à apaiser, esseulé comme il est à l'issue de cette avalanche de mièvreries.
Tiraillé entre les moments de grâce absolue et les phases en roue libre qui retombent bien vite à plat,
Aphelion n'est donc pas tout à fait la douceur ouvragée que nous promettait ce rapide retour des Norvégiens.
Leprous est-t-il arrivé au bout de ses possibilités ? Je ne me risquerai pas à une sentence péremptoire de chroniqueur et j'espère sincèrement me tromper, mais force est de reconnaître que la recette si bien travaillée sur
Pitfalls semble déjà s'essouffler peu à peu. Il est d'ailleurs fort possible que l'aîné laisse une trace plus durable dans la longue histoire du metal progressif que ce cadet un peu bedonnant, redite certes qualitative mais un brin bancale et incohérente des prouesses accomplies auparavant.
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