Même si Antediluvian s’est toujours montré relativement actif avec, outre quelques prestations dispensées au compte-goutte, les sorties de splits, EPs et autres compilations permettant de rappeler plus ou moins brièvement l’existence des Canadiens à un public qui à force d’être sollicité de toute part ne sait plus où donner de la tête et des oreilles, cela faisait néanmoins un petit peu plus de huit ans que le groupe devenu trio n’avait pas sorti de nouvel album. C’est désormais chose faite avec la parution sur Nuclear War Now! Productions en août dernier de ce troisième essai longue durée intitulé
The Divine Punishment.
Si à première vue rien n’a véritablement changé du côté d’Antediluvian qui d’ailleurs pour l’occasion nous gratifie une fois de plus d’un artwork toujours aussi abscons et cryptique, on note tout de même quelques petits changements de taille. Tout d’abord, on l’a vu, le groupe opère désormais sous la forme d’un trio puisque depuis 2013 et la sortie de
λόγος les Canadiens se sont séparés de T. McClelland aka Nabucodnosor (basse, chant, 2011-2012) et de Dylan Atkinson aka N.K.L.H. (guitare, 2014-2018). Surtout, là où Antediluvian se
"contentait" jusque-là d’albums terriblement denses mais relativement courts (trente-cinq minutes en moyenne), le groupe a fait ici le choix de marquer les esprits avec un album monstre de plus de soixante-cinq minutes. Alors oui, je vous le dis d’emblée,
The Divine Punishment n’est pas le genre d’albums que l’on aborde à la légère ni qui prête véritablement à sourire...
Disque ambitieux qui avant même qu’il ait pu y jeter une première oreille va nourrir chez l’auditeur un sentiment de profonde déférence,
The Divine Punishment s’impose rapidement et cela sans discussion possible comme l’œuvre la plus abstraite et la plus expérimentale jamais proposée par l’entité canadienne. Un album véritablement dangereux pour le corps mais aussi pour l’esprit mais qui paradoxalement est pourtant l’un des plus accessibles de la discographie du groupe. En effet, les choix opérés par Antediluvian en matière de production font de ce troisième album celui dans lequel s’immerger est probablement le plus aisé. Car là où ses deux prédécesseurs jouaient la carte de productions organiques donnant souvent l’impression d’être pris au piège dans un torrent de boue infernal,
The Divine Punishment propose une approche beaucoup plus lisible et immédiate sans pour autant sacrifier quoi que ce soit au caractère intense et jusqu’au-boutiste d’Antediluvian. Loin d’être anecdotique, cette décision concours à rendre immédiatement perceptibles toutes les subtilités, expérimentations et autres hallucinations auditives dispensées durant les soixante-cinq minutes particulièrement éprouvantes d’un
The Divine Punishment suffisamment complexe, intriqué et exigeant pour ne pas avoir en plus à systématiquement tendre l’oreille pour tenter, parfois en vain, d’en capter quelques bribes diffuses...
Album conceptuel et haut-perché,
The Divine Punishment va ainsi explorer à travers différents thèmes ("Obscene Pornography Manifests In The Divine Universal Consciousness", "How The Watchers Granted The Humans Sex Magick In The Primordial Aeon", "Tamasic Masturbation Ritual", "Sadomaniacal Katabasis (Last Fuck Of The Dying)", "Temple Prostitute"...) tout un tas de déviances sexuelles et autres transgressions charnelles et primitives. Une toile de fond résolument vicieuse, blasphématoire et extatique révélée à travers des compositions qui le sont tout autant et même probablement un petit peu plus... Car si effectivement rien n’a fondamentalement changé du côté des Canadiens dont on reconnaît aisément le Black / Death suffocant et bourdonnant, nombreuses sont cependant les prises de risques hallucinées et autres moments complètement déglingués, séquences impromptues et passages à première vue hors de propos à illuminer ce troisième album aussi effrayant et intimidant que réussi. De cette très longue et lente introduction sur fond de borborygmes robotiques de "Obscene Pornography Manifests In The Divine Universal Consciousness" aux chants lointains et illuminés et aux solos chaotiques de "All Along The Sigils Deep" et "How The Watchers Granted The Humans Sex Magick In The Primordial Aeon" en passant par le violon mal en point et les mélodies loufoques de "Guardians Of The Liminal", les voix infernales et possédées de "Sadomaniacal Katabasis (Last Fuck Of The Dying)" et "Circumcision Covenant", l’inquiétant "Temple Prostitute" et ces voix étranges et malaisantes, quelque part entre douleur et plaisir, suivi en fin de parcours de ces pleurs, le monologue sans fin et imbitable de "White Throne"," Winged Ascent Unto The Twelve Runed Solar Anus" et ses étonnants bris de glace, les exemples ne manquent pas pour illustrer toute l’étrangeté de
The Divine Punishment qui laisse indiscutablement, peu importe le nombre d’écoutes, l’impression d’un disque particulièrement imposant aussi vil et repoussant qu’irrésistiblement attirant.
Aussi enthousiaste puis-je être à ce stade de ma chronique, il ne faudrait pas pour autant oublier le rôle majeur de toutes ces dissonances qui vont nourrir cette sensation de densité bourdonnante et infernale qui caractérise depuis toujours la formule des Canadiens. Ni celui de ces assauts barbares et sanguinaires menés le coutelas entre les dents ("Obscene Pornography Manifests In The Divine Universal Consciousness
" à 4:58, "All Along The Sigils Deep
" à 3:11, "How The Watchers Granted The Humans Sex Magick In The Primordial Aeon" à 1:43, la première partie de "Guardians Of The Liminal", le redoutable "Tamasic Masturbation Ritual", "Sadomaniacal Katabasis (Last Fuck Of The Dying)"...) et autres éruptions chaotico-mélodiques ("Obscene Pornography Manifests In The Divine Universal Consciousness
" à 8:57, "All Along The Sigils Deep" à 1:20, 2:39 ou 3:24, « How The Watchers Granted The Humans Sex Magick In The Primordial Aeon" à 0:22, 1:41 ou 4:36, "Tamasic Masturbation Ritual
" à 1:55...) qui participent à leur manière à nourrir ce caractère résolument primitif. Ni celle de ces constructions à tiroirs et à rallonges, de ces changements de plans et de rythmes imprévisibles qui ne vont pas manquer de nous surprendre (ces voix étranges sur "How The Watchers Granted The Humans Sex Magick In The Primordial Aeon" et "Temple Prostitute", cette longue séquence au violon sur "Guardians Of The Liminal", ce monologue de plus de six minutes sur "White Throne"...), de ces voix infernales et complètement possédées porteuses de cette folie décadente. Bref, tout un tas de caractéristiques qui, comme pour le reste, vont prendre un malin plaisir à jouer avec nos nerfs pendant plus d’une heure…
Album très exigeant,
The Divine Punishment ne va pas s’apprivoiser en dilettante et va demander de votre part un véritable effort d’attention et d’écoutes probablement plus marqué qu’à l’accoutumé. Mais comme toutes les choses qui se méritent, une fois les obstacles, pièges et autres surprises surmontés, ce troisième album va se révéler particulièrement bluffant dans sa capacité à embarquer l’auditeur malgré justement toutes ces barrières disposées tout au long de ces soixante-cinq minutes. Alors oui, Antediluvian a effectivement pris tout son temps pour accoucher dans la douleur de ce disque immonde et monstrueux mais il ne fait aucun doute que ce choix leur a été salutaire. Car si les Canadiens n’ont jamais souffert d’un quelconque souci de personnalité, creusant depuis leurs débuts ce trou terreux qui n’appartient qu’à eux, ils ont cependant réussi avec
The Divine Punishment à marquer encore davantage leurs différences et leur singularité. Un pari osé dans un genre généralement bien balisé et peu enclin à autant de libertés mais un pari ô combien réussi qui ne peut absolument pas laisser indifférent.
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