Earth - A Bureaucratic Desire for Extra-Capsular Extraction
Chronique
Earth A Bureaucratic Desire for Extra-Capsular Extraction (Compil.)
Étrange compilation que celle-ci, cachant en réalité ce qui aurait dû être le premier album de Earth. En effet, si le projet de Dylan Carlson aura marqué les mémoires avec Earth 2 – longue-durée fondateur du drone / doom –, il aurait pu le faire quelques années plus tôt. Alors accompagné à l’époque de Joe Preston – avant que ce dernier quitte le navire pour rejoindre les Melvins – ainsi que Dave Harwell, tous deux à la basse, il raconte lui-même dans le livret les mésaventures que les titres de A Bureaucratic Desire for Extra-Capsular Extraction ont connu, séparés en plusieurs sorties là où ils auraient dû voir le jour ensemble.
Enregistrés au Smegma Studios de Portland en octobre 1990 par Mike Lastra (Disrupt ; Poison Idea...), ces sept morceaux paraîtront donc sur différents formats, les deux parties de « A Bureaucratic Desire for Revenge » et « Ouroboros Is Broken » sur l’EP Extra-Capsular Extraction (Sub Pop, 1991) tandis que les autres navigueront de bootleg en bootleg ainsi que sur la réédition du disque Sunn Amps and Smashed Guitar. Il faudra attendre 2010 – vingt ans ! – et le fanatisme de Greg Anderson et Stephen O'Malley pour la formation pour que cette session d’enregistrement fondatrice devienne enfin disponible telle qu’elle était supposée l’être au départ.
Mises au goût du jour par Mell Dettmer, remastérisant les bandes originales par un son plus ample et lourd conservant le grain cru, râpeux, de l’enregistrement sur un 8-pistes de l’époque, ces compositions montrent déjà la révolution que Earth était en train de mener. L’histoire est connue : prenant pour base les expérimentations drone alors déjà présentes dans les scènes minimalistes, Earth les explore sous l’angle du metal, un metal lourd et lancinant, au groove répétitif, enveloppant et corrosif à la fois. Une démarche qui ouvrira grand les portes d’un genre tout entier, au point d’en définir l’essence-même. Il est par ailleurs étonnant de voir à quel point le doublet « A Bureaucratic Desire for Revenge » ainsi que « Ouroboros Is Broken » n’ont pas vieilli, leurs riffs tutélaires et déformés, doom metal étiré fricotant avec un feeling stoner, n’ayant pas pris une ride. Moins extrêmes que Earth 2, ces morceaux ne sonnent pas malgré tout comme des expériences avortées, leurs cycles plus courts, une certaine musicalité permettant de ne pas se perdre, rendant l’écoute plus aisée, plus percutante et presque « accrocheuse » – terme insolite pour telle musique et pourtant, rien ne lâche l’oreille (cf. « Geometry of Murder »).
C’est bien cela qui choque à chaque rencontre avec A Bureaucratic Desire for Extra-Capsular Extraction, au-delà de la présence d’un certain vocaliste d’un « groupe de pop » comme aime le dire ironiquement Dylan Carlson dans le livret de cette compilation. Vocaliste qui participe tout de même à la diversité servant un propos unique de l’ensemble, force majeure de cette petite heure, notamment par ses interventions lancinantes (« Divine and Bright », presque une balade shoegaze). Cependant, les moments marquants sont bien ceux où Earth déploie toute sa science hypnotique, l’animisme de « Ouroboros Is Broken » et son riff principal serpentant et se déstructurant au fur et à mesure, le nihilisme de « Dissolution 1 » (où l’on imagine Sunn O))) écouter ce titre en boucle, le carnet de notes à portée de mains) ainsi que les deux parties de « A Bureaucratic Desire for Revenge », l’explosion finale donnant à éprouver l’entièreté d’un rituel assassin et mystérieux. Cela, toujours guidé par cette guitare et ces basses aux nappes rondes, granuleuses, un décor américain fait de sable et de sang.
A Bureaucratic Desire for Extra-Capsular Extraction a beau être vue comme une compilation dédiée aux amateurs complétistes de Earth, elle est, avec Hex; or Printing in the Infernal Method, l’œuvre de Dylan Carlson vers laquelle je retourne le plus souvent. Plus variée, pleine d’essais qui sont des réussites, elle possède à la fois un côté daté – cette boîte à rythme qu’on croirait issue de Big Black ou des débuts de Godflesh sur « German Dental Work » par exemple – et intemporel qui m’envoûte à chaque fois. Sept titres qui, sans être parfaits (une « Dissolution » qui tarde à se finir), m’emmènent avec eux vers ces climats nocturnes, enfiévrés, mystiques, que Earth abordera toujours, sous des formes multiples, le long de sa carrière. Tout était déjà là.
| lkea 26 Février 2022 - 1021 lectures |
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