Cela reste une vérité : voir en live une musique autrefois entendue sur disque peut faire changer d'avis sur celle-ci. C'est ce qui m'est arrivé après avoir assisté à un concert de Tristan Shone donné au Black Sheep (salle de concert de Montpellier bien connue des amateurs de musiques underground des environs). Un homme, ses machines et une performance époustouflante de brutalité ont suffi pour me faire retourner vers
Ursus Americanus, album qui m'avait laissé auparavant un souvenir mitigé, entre exutoire et violence pénible sur la durée. Lui préférant le plus contrasté
Women & Children, je l'avais relégué au second plan. Un peu à tort.
Car si après un retour sur la discographie d'Author & Punisher, cette œuvre reste encombrée d'une volonté de faire mal qui finit par laisser sur le côté de la route, les souvenirs d'un matraquage vécu les yeux rivés au sol, les oreilles détruites par un humain qui ne méritait pas le mot durant une heure vingt sur scène me font penser que
Ursus Americanus n'a pas pour but de convaincre sur la durée, accrocher ou émouvoir – des considérations de philanthrope bien éloignées de ces quarante et une minutes. Pour simplifier, ne pensez pas à un cyborg se rêvant conscient, aux paysages futuristes et grouillants de vie de Blade Runner comme sur le transhumaniste
Women & Children, plutôt à la sèche dureté d'un robot appliqué à détruire, utilisant les moyens les plus austères et détonants mis à sa disposition pour accomplir sa mission.
Les scènes apocalyptiques de Terminator en somme, que cette musique aux muscles d'acier se plaît à rappeler dès « Terrorbird » et ses basses cassant mécaniquement la chair. Aucune échappatoire : à un titre frontal succède un titre hostile, tout en froideur, écrasement digital, avec une constance qui finit par donner une texture de chenille de tank aux compositions de Tristan Shone. Même lors de l'ambiancé « Below and Above You », l'abrutissement est complet, faisant du corps un supplice. Vous aimez la science-fiction dystopique où la technologie prend des airs de monstre ? En voici pour vos frais :
Ursus Americanus vous transformera en victime tuée avec indifférence, comme sans y prêter attention, dans une chaîne d’événements dont vous n'êtes qu'un dommage collatéral, un craquement entendu au loin par une machine que ne déviera pas de sa route pour autant.
Inutile de dire que l'expérience sera, selon ce que vous recherchez, pénible ou obsédante. Inorganique au possible,
Ursus Americanus demande un certain temps pour révéler toute sa puissance. Pourtant premier degré dans ses horreurs cybernétiques, prédictible dans ses frappes d'automate réduit à des fonctions d'annihilation (on sent à chaque fois les coups venir – ce qui ne les rend pas moins douloureux, loin de là), l'essai s'avère retors à assimiler et nul doute que beaucoup seront tentés de le couper avant le tapis de bombe final qu'est « Ill Consuming ». Par contre, les résistants trouveront dans ces bruits continuels une certaine image de la guerre qu'une formation comme Xenonics K-30 a pu faire vivre de loin et que l'on subit ici au premier rang. Clairement un album que je continue de n'écouter que rarement mais qui m'a étonné, après mon retour vers lui, par son aboutissement d'une certaine logique initiée par
Drone Machines : Seek and Destroy.
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