Mortify - Fragments At The Edge Of Sorrow
Chronique
Mortify Fragments At The Edge Of Sorrow
Terreau fertile à une scène qui n’a jamais été plus réjouissante que ces dix/quinze dernières années, le Chili continue son inlassable travail de fond, délivrant contre vents et marées et surtout une rude et impitoyable concurrence la bonne parole grâce à des groupes dont on parle finalement assez peu mais qui dans l’ombre oeuvrent tous à un certain niveau d’excellence. Si le premier album de Suppression dont la sortie approche à grands pas devrait permettre de place ce pays large de seulement 200 kilomètres au coeur des débats, d’autres groupes comme Mortify prouvent en parallèle qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé et que le pays sud-américain est effectivement de ceux qui comptes lorsque l’on cause Death Metal et compagnie (mais bon, ça on vous l’a déjà dit maintes et maintes fois).
Formé en 2013 et originaire de la ville de Concepción dans la région du Biobio, le groupe n’en est bien évidemment pas à son premier coup d’essai. Après une première démo parue la même année suivi deux ans plus tard par un EP intitulé Cryptic, Mortify poursuivait son petit bout de chemin avec la sortie en 2017 d’un premier album baptisé Mortuary Remains. Bien que passé sous silence ici (à l’exception du forum, the place to be), ce dernier avançait déjà à l’époque des atouts particulièrement solides, aujourd’hui confirmés par un deuxième album sorti fin mars sur le label mexicain Chaos Records (Ænigmatum, Astriferous, Bastard Priest, Cenotaph, Hell Strike, Question et plein d’autres encore).
Intitulé Fragments At The Edge Of Sorrow, celui-ci donne dès le premier regard furieusement envie d’être apprécié. Il faut dire que le travail de l’illustrateur colombien Julián Felipe Mora à de quoi séduire grâce à ces horreurs faméliques davantage suggérées qu’exposées et à ces couleurs particulièrement engageantes. Bien évidemment, ce n’est pas là (ou en tout cas pas seulement) que le groupe chilien tire son épingle du jeu mais bel et bien grâce à un Death Metal particulièrement efficace qui en cinq ans a su prendre du galon et ne pas se contenter de faire du sur-place.
En effet, le groupe sud-américain est passé d’une formule certes très efficace mais somme toute assez peu personnelle à quelque chose de dorénavant plus abouti puisque même si les influences de certains grands noms de l’époque (Death et Pestilence en tête) ne sont jamais très loin, que ce soit au détour d’un riff, d’une séquence ou d’une ligne de chant, on note tout de même une belle évolution de la part des Chiliens vers une musique toujours aussi punitive mais définitivement plus mature et personnelle. Ces évolutions passent en premier lieu par une production plus soignée signée des mains du musicien Anton Contreras Inzunza puisque sans perdre en authenticité ni même en caractère, celle-ci va renforcer l’impact et la lisibilité de ces compositions en leur offrant davantage de puissance, d’attaque et de rondeur. Un beau pas en avant pour la formation qui peut désormais s’en aller fricoter avec le meilleur des scènes américaines et européennes sans avoir à rougir de quoi que ce soit.
Car si le Death Metal de Mortify s’inscrit dans une démarche résolument marquée par la vieille école, sa conception plus progressive et mélodique lui donne cependant une force supplémentaire. Ainsi de leurs premiers balbutiements, les Chiliens ont conservés ce côté dépouillé marqué notamment par tout un tas d’accélérations thrashisantes et un brin foutraques typiques de cette urgence que l’on retrouve dans les scènes sud-américaines. Des passages comme ceux constatés sur "Beneath The Emptiness" à 1:47, "Ethereal Illusion Of Psyche" à 1:13, "Frayed Lunacy (Dying Sight)" à 1:29, "The Accursed And The Throes" à 0:36, les débuts en fanfare de "Astral Sphere From A Bleeding Soul" et "Process In A Secrecies Of Thoughts" ne trompent pas sur cet héritage sur lequel s’appuient les Chiliens de Mortify. Mais ce n’est pas là où le groupe tire nécessairement son épingle du jeu puisqu’aussi appréciables et efficaces soient ces passages, ils n’en demeurent pas moins relativement classiques. Non, là où la formation chilienne se démarque c’est par son jeux mélodique aux petits oignons et ses constructions progressives et techniques particulièrement bien ficelées et immersives.
En ce qui concerne le premier point, ce n’est pas vraiment chose nouvelle puisque ceux ayant déjà posé leurs oreilles sur Mortuary Remains savent que le groupe possédait déjà un sérieux penchant pour ce genre de digressions mélodiques. Cinq ans plus tard, Mortify réitère l’exercice avec notamment trois interludes instrumentaux davantage portés sur les ambiances et qui par conséquent viennent calmer le jeu ("Fragments", "Edge" et "Sorrow") mais aussi et surtout avec cette fois-ci un superbe titre lui aussi instrumental de plus de six minutes sur lequel les Chiliens vont faire montre de tout leur talent de composition ("Mindloss"). Un morceau qui à l’exception de cette absence de chant ne dénote en rien parmi les autres compositions du groupe mais démontre à quel point les Chiliens ont su se sortir de leur formule efficace mais néanmoins déjà entendue mille fois auparavant. L’auditeur attentif se régalera également de ces nombreux leads ainsi que de ces quelques solos assez brefs dispensés tout au long de ces quarante-neuf minutes ("Beneath The Emptiness" à 2:43 et 4:54, "Frayed Lunacy (Dying Sight)" à 2:17, "Mindloss" à 3:55 et 5:36, "The Accursed And The Throes" à 2:19, "Astral Sphere From A Bleeding Soul" à 3:07, "Process In A Secrecies Of Thoughts" à 3:07...) qui à leurs manières nourrissent des atmosphères évoquant l’immensité et le vide de l’Espace.
Effectivement bien plus progressif et technique que son prédécesseur, Fragments At The Edge Of Sorrow se démarque du premier album de Mortify par des constructions plus alambiquées marquées par quelques tours et détours qui donnent à l’album une coloration progressive évidente très justement soulignée par cette basse délicieuse toute en rondeurs. Si là aussi un titre comme "Mindloss" suggère assez ouvertement ce désire d’aller vers des contrées moins faciles et évidentes et de fait plus personnelles, cela se manifeste évidemment tout au long de l’album par des passages mid-tempo denses et intelligents, des changements de rythmes et de séquences tout aussi enthousiasmants et un riffing riche et versatile alternant attaques franches, passages sombres et sournois, instants plus techniques et moments plus mélodiques qui jamais ne cèdent à une quelconque facilité et vont demander de la part de l’auditeur un peu d’engagement afin d’être appréciés et assimilés comme il se doit.
Les pavés de textes sont souvent décourageants aussi je vais m’arrêter là pour en remettre une couche et vous dire ô combien cet album mérite de ne pas passer inaperçu. Certes, Fragments At The Edge Of Sorrow n’est pas l’album le plus intense ni le plus original enfanté par la généreuse scène chilienne mais il reste néanmoins la preuve irréfutable que le pays possède de sacrées formations en son sein et qu’il serait vraiment dommage de passer à côté de ce genre de groupes de qualité. En l’état, sans forcément sortir des sentiers battus (Si on pense à Death et Pestilence pour les premières influences, des groupes tels que Morbus Chron, Sewen ou Cadaveric Fumes ne sont elles non plus jamais très loin), Mortify signe avec ce deuxième longue-durée un disque maitrisé de bout en bout, particulièrement agréable et convaincant et qui risque bien de trouver place chez moi en fin d’année à l’heure des bilans. On verra ce que les mois prochains nous réservent mais quoi qu’il arrive, Fragments At The Edge Of Sorrow est ce que l’on appelle une belle surprise (ou plutôt une belle confirmation).
| AxGxB 12 Avril 2022 - 1118 lectures |
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