« The radar applied now, Columbia
I wanna thank God […]
Radar bright closed
Approaching satellite, looking great. »
Fin de la transmission. Ce sont les seules paroles anthropiques que vous entendrez dans l'immensité de l'espace d'
Enigme, second-né de la famille
Etrange. Ses parents, Velhon (claviers et programmations) et Deadale (guitare, basse, illustrations), sont déjà connus des services de police de votre webzine préféré puisque mon prédécesseur s'était fendu d'une magnifique chronique narrative pour célébrer avec allégresse la venue au monde en 2019 du premier rejeton de ce duo français. Leur album éponyme introduisait un concept puissant en dépeignant l'exil et le voyage interstellaire d'une sonde spatiale dotée d'une intelligence artificielle, ETRANGE, envoyée par des humains désespérés de voir leur habitat se mourir à petit feu. L'objectif de sa quête, marquée par des préoccupations très actuelles, était donc d'en trouver un nouveau. En tant que membre de Your Majesty, fan-club de
Dream Theater grâce auquel j'avais découvert le groupe à l'époque, ce vaisseau était arrivé à bon port chez moi, s'érigeant en coup de cœur immédiat et durable, systématiquement renouvelé par de fréquentes écoutes. Un classique, en somme. C'est donc avec une très forte impatience que j'attendais la suite des aventures du héraut, destiné dans cet opus « sophomore » à rencontrer son semblable, la sonde spatiale ENIGME. L'équation est posée. Est-ce le mystérieux signal introduisant à la fois le morceau « Möbius » et cette chronique qui a écarté notre éclaireur de sa route et l'a dirigé à la rencontre de ce nouveau protagoniste ? Est-il une nouvelle sonde envoyée par les Terriens pour multiplier les chances d'échapper au destin tragique qui leur pend au nez ? Une création extraterrestre ? Un paradoxe spatio-temporel ? ENIGME est-il le ETRANGE du futur revenu prévenir son doppelgänger des évènements à venir ?
Le mystère demeurera entier tout au long des quarante-huit minutes de ce second album.
Etrange répliquera exclusivement par sa musique, offrant à l'auditeur d'infinies possibilités d'interprétation. Seuls les riffs touffus et alambiqués du duo pourront offrir un semblant de réponse, à l'image de ce leitmotiv cosmique qui apparaît dès 6'15'' de « Entity » et reviendra sous une forme reformulée dans plusieurs morceaux, dont la première lettre forme d'ailleurs le nom de l'album (processus habile, tout comme le retour du sample qui terminait
Etrange (2019) sur ce premier morceau d'
Enigme). Rien n'est laissé au hasard, ce nouvel arc narratif est à nouveau composé avec une cohérence d'orfèvre. De manière générale, tout y est d'une fluidité impressionnante, tant la virtuosité de ces deux hères saute constamment aux oreilles. En premier lieu, la production améliorée offerte à ce
Enigme laisse encore mieux respirer les puissants arrangements cinématiques de Velhon. Son jeu est d'une variété exemplaire : le claviériste excelle autant dans les phases rythmiques qui pilotent la mélodie que dans les nappes d'arrière-plan qui soulignent avec grandiloquence les assauts de guitare de Deadale. Le six-cordistes ne se fait pas prier pour démontrer une nouvelle fois sa maestria. S'il disperse quelques motifs syncopés symptomatiques du versant progressif moderne, il envoie aussi ses meilleurs tremoli qui révèlent la touche extrême de son jeu, avec du black metal symphonique très classieux dans l'énergique « Nexus », qui propulse ses « blast-beats » directement dans la jugulaire. Quant à la rafale technique qui introduit le massif « Gemini », c'est une leçon de violence magistrale. Lorsque le duo met sa technique éclatante au service du metal extrême, on pensera parfois à
Emperor (Ihsahn ayant mis les dieux pieds dans le prog depuis un petit moment d'ailleurs) et même à
Spawn Of Possession lors des passages les plus rapides. Versatile, le duo va évidemment plus loin dans l'expérimentation puisque
Enigme est teinté d'une saveur hispanisante dans plusieurs passages excellents (« Irradiance », le pont typé boléro de « Gemini »). Mais au-delà de ces variations aussi nécessaires que jouissives,
Etrange a assimilé une donnée essentielle du metal progressif : leur musique, bien que purement instrumentale, n'est jamais démonstrative et laisse toujours une place considérable à l'émotion.
En effet,
Enigme est extrêmement généreux dans ce registre. « Irradiance » et son introduction minimaliste à la John Carpenter filera immédiatement la chair de poule aux nostalgiques de la décennie des années 80. Il dévoile aussi l'intelligence d'orfèvre avec laquelle la boîte à rythme est programmée, avec ce groove impressionnant qui sublime parfaitement la savoureuse ligne de basse de Deadale. Dans une moindre mesure, « Eclipse » et sa touche tubesque, presque synthwave, pourra lui aussi ravir les drogués de claviers rétro, vu à quel point Velhon se fait plaisir et en tartine dans tous les coins. Son motif emblématique, son passage central très cinématique aux faux airs d'OST Nintendo en fait un sucrerie délicate, un dessert efficace pour conclure cet album sur une nouvelle reprise du riff obsédant qui aura hanté tous ses morceaux. Mais le chef-d'oeuvre absolu de l'album, le morceau qui résume et exprime tout le génie d'
Etrange est définitivement « Möbius ». Sa superbe introduction au piano qui vient empoigner le Docteur Kevin Moore entre deux consultations en psychiatrie n'est que le succulent apéritif de l'orgie de créativité à suivre. Avec ses respirations futuristes et ses silences qui retiennent – pour mieux le déchaîner – le déluge de notes final, ce morceau évolutif a un impact incroyable. Le riff qui défonce la porte vers 6'56'' s'impose comme une récompense, épique comme le boss final d'un Final Fantasy, épique comme la confrontation finale d'un shônen, lorsque le héros plus bas que terre se relève et trouve la force d'ignorer ses blessures, porté par ses valeurs et le sacrifice de ses frères d'armes. Épique comme Jotaro qui fait sa fête à Dio. Ora ora ora!
Épique comme
Etrange. Sans doute était-ce la bande son de l'affrontement entre ETRANGE et ENIGME, la résolution de ce nœud gordien... tandis que le plus léger « Eclipse » a des airs d'évasion et de libération, tout en conservant une part de mystère et en ouvrant d'autres portes. Les prochaines aventures du vaisseau spatial peuvent débuter sous les meilleurs auspices. En tout cas, ce nouvel arc narratif est une confirmation. Si le niveau était déjà très haut avec
Etrange (2019),
Enigme, meilleur en tous points, démontre que le groupe est bien plus qu'un projet studio. Disons-le tout net, le duo hexagonal, fort de ses influences variées et de sa grande maîtrise technique, a la carrure d'un poids lourd du metal progressif. En marchant dans les pas de groupes cultes comme
Haken,
Liquid Tension Experiment ou
Parallaxe, en tirant habilement le genre vers ses bords plus extrêmes et en laissant une large place à l'émotion et à l'imagination de l'auditeur, le duo a tout compris. C'est donc un nouveau classique en puissance que nous offrent les Français. Deux sur deux, l'équation est impeccablement résolue. Après le tapis rouge,
Etrange mérite amplement sa couronne de lauriers.
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