Vous voulez de l'aventure ? Vous voulez du groove ? Alors réunissez quatre cavaliers de l'apocalypse de la scène progressive et embarquez dans la bécane bariolée de
Liquid Tension Experiment! Avec leur premier album éponyme, nos quatre compères établissaient le mètre étalon de ce qu'était un projet annexe réussi, suffisamment pour devenir culte et historique, même. En même temps, c'était écrit : Mike Portnoy (batteur), John Petrucci (guitare) viennent s'encanailler de concert hors de leur groupe
Dream Theater ; c'était l'occasion pour eux de jouer avec un autre génie de la scène progressive, Jordan Rudess (claviers), dont la réputation n'est plus à faire. Avant d'intégrer
Dream Theater à son tour, un an plus tard, notre homme sévissait dans
Dixie Dregs et s'était fait remarquer par plusieurs sorties solo réussies, notamment son album
Listen en 1994. Tony Levin, lui, est une légende. Ce bassiste incroyable qui taquine le Chapman stick avec une aisance absolue a participé à un nombre incalculable de projets dans les seventies. C'est certainement – entre autre – à cause de ses méfaits avec
King Crimson que le label Magna Carta Records glisse son nom à l'oreille de Mike Portnoy pour former avec lui un super groupe de metal progressif instrumental. Réunis, ces quatre hommes vont faire des étincelles durant deux albums,
Liquid Tension Experiment en 1998 et
Liquid Tension Experiment 2 en 1999. Tous deux sont caractérisés par des pochettes qui utilisent le violet et le vert comme couleurs principales. Elles ne sont pas du meilleur goût, surtout aujourd'hui, mais ne doivent en aucun cas vous faire reculer. Vous passeriez à côté des quelques diamants que cette association de talents promettait.
En effet, les premières minutes de ce disque nous confirment qu'elle livre sur leur première offrande un metal progressif de très haute voltige. La production cristalline qui permet de distinguer toutes les nuances de leurs instrument rend justice à cette prometteuse coalition. Les guitares de John Petrucci atteignent un parfait équilibre entre technique et agressivité. Dès « Paradigm Shift », ce dernier met les choses au clair.
Liquid Tension Experiment n'est pas là pour enfiler les perles ou juste satisfaire l'appétit d'expérimentations de ses membres, il va bien au-delà, en proposant des riffs emblématiques à en crever : cette montée/descente qui intervient vers 2'30'' bouscule tout sur son passage et fait de cette ouverture le meilleur moyen possible de lancer ce disque et le projet. « Kindred Spirits » et « Universal Mind » sont à ranger dans la même catégorie, ceux des brûlots metal progressif intégralement réussi. Les quelques notes de piano entendues sur le deuxième présagent déjà de l'apport considérable qu'aura Jordan Rudess sur
Dream Theater. « Universal Mind » porte lui aussi ce côté emblématique qui habite les réalisations du combo. Le duel de soli entre Petrucci, qui porte sa marque « shredienne » fulgurante et Rudess et ses envolées électrisantes de claviers et de piano est totalement marquant. Et que dire du groove absolu impulsé par la section rythmique lors du pont du milieu du morceau ? C'est du caviar, tout simplement, entre le Chapman stick de Tony Levin au son si rond et mielleux et les coups de boutoirs de Mike Portnoy qui parviennent à la fois à être si fignolés et si spontanés! L'outro saloon option grand guignolesque de Jordan Rudess met fin de manière abrupte à un pur moment de plaisir auditif.
Bien sûr,
Liquid Tension Experiment a également la vocation d'explorer des territoires inexplorés par les formations adjacentes du quatuor. « Chris And Kevin's Excellent Aventure » est l'occasion pour Mike Portnoy et Tony Levin de sortir de celui du metal progressif pour voguer, en duo, vers celui du jazz fusion. La complexité et la richesse de la partie batterie de Mike Portnoy permet à Tony Levin de se lâcher totalement au Chapman stick, en rappel de l'immense musicien qu'il est. Ce morceau bref mais terriblement riche est l'illustration ultime que
Liquid Tension Experiment veut sortir des sentiers battus. Une suite à cette excellente aventure sera vraisemblablement au programme sur le troisième opus du groupe. « State of Grace », bouleversant morceau atmosphérique où la guitare de John Petrucci chante ses arpèges sur les notes de piano fulgurantes de Jordan Rudess, est l'occasion pour les deux autres bonshommes d'avoir eux aussi leur moment en duo. Cette magnifique ballade, dans un registre moins aventureux mais terrifiant de justesse et de pureté, porte magnifiquement bien son nom. « Freedom of Speech » fait de même dans un registre plus fleuve. Le « Keyboard Wizard » crée avec trois notes de piano un magnifique écrin dans lequel tous ses comparses peuvent exprimer leur virtuosité. « The Stretch » les réunissait déjà tous ensemble dans un feeling clairement funky, où l'on ressent dans chaque note impulsée le plaisir infini que prennent ces quatre héros à jouer ensemble. Ces petites trompettes créées synthétiquement par les claviers Korg de Jordan Rudess surplombent à merveille les assauts de Chapman de Tony Levin : bref, c'est totalement bonnard. « Three Minutes Warning » est une énorme improvisation de près de trente minutes où tout fuse, mais surtout le talent et la virtuosité des musiciens derrière cette offrande anthologique.
Tant et si bien qu'ils en oublieraient presque la musicalité. En effet, le côté un peu fouillis, technique (forcément) et parfois longuet de ce premier opus de
Liquid Tension Experiment déborde un peu de la tartine de bonheur qu'ils nous font goûter. Bien qu'ayant eu une admiration sans borne pour ces morceaux à leur découverte, je suis forcé de reconnaître avec le recul que ce disque a les défauts de ces qualités : il part évidemment dans tous les sens, balancés entre les influences multiples des quatre créatifs hyperactifs qui sont derrière. Jusqu'à confiner à la cacophonie, par moments. Disons qu'il faut avoir un certain sens de l'aventure et de l'ouverture d'esprit pour se goinfrer sans décrocher cette généreuse tranche d'expérimentations débridées. Ce qui n'a pas empêché cette excellente aventure de marquer les mémoires et de consacrer le quatuor comme un projet culte. Rien de surprenant: ça aussi, c'était écrit.
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