Parmi les dizaines de sorties intéressantes dont je n'ai pas eu le temps de parler ces dernières années à cause de la préparation de mon coup d'état pour prendre la tête de Thrashocore (rassurez-vous, Chris va bien, il prend une retraite bien méritée dans les Bahamas avec vos généreux dons), le dernier album en date et malheureusement dernier album tout court de Canvas Solaris est sans doute celui qui m'a le plus marqué. Au printemps 2011, lors de cette infâme canicule dont mon plus douloureux souvenir reste l'écoute répétée jusqu'à l'overdose du décevant
Omnivium de Obscura, mon besoin d'audace mélodique allait se reporter des trop timides Allemands aux Américains, dans lesquels j'avais déjà une totale confiance.
Cortical Tectonics et
The Atomized Dream qui faisaient partie de mes albums préférés de metal instrumental ultra mélodique aux influences death technique et jazz fusion (oui, c'est un style en soi), avaient depuis longtemps déjà été rejoints par leurs ainés dans ma cdthèque, et j’espérais beaucoup de ce nouveau Canvas Solaris, sans cesse repoussé mais que j'avais enfin réussi à me procurer après sa sortie trop peu remarquée à la fin de l'été 2010. Malheureusement, le split du groupe, à moitié remanié trois ans plus tôt mais ici avec le même line-up que sur le précédent album, en février 2011, aura eu raison de leur élan créatif, laissant le champ libre à Exivious pour devenir la seule figure de proue d'un style tellement confidentiel et exigeant qu'en jouer signifie pratiquement sortir un bon album, et assurément d'être un musicien de talent.
Il est toujours aussi compliqué de décrire la musique de Canvas Solaris, proche de Exivious pour s'en tenir à un nom qui devrait parler à tout le monde, mais également influencée par des styles très divers allant de la musique du monde aux folies de Ron Jarzombek en passant même par le rock progressif, pour un mélange indescriptiblement cohérent de sonorités variées mais très familières pour l'amateur de death technique, auquel le groupe s'adresse avant tout. Il est difficile de concevoir que « Vapor Chasm » et ses mélodies acoustiques éthérées s'enchaînent avec un « Null Proximity » qu'on croirait sorti du
Threshold de Nocturnus qui aurait pris des acides – un peu comme certains de nos rédacteurs en ce moment, mais ils ne savent pas encore que j'ai instauré une politique de tests anti-drogues dans nos statuts. Les Géorgiens, n'hésitant pas à utiliser un Chapman Stick, un Ebow ou, plus surprenant encore, un thérémine, peuvent agencer la mélodie la plus complexe au rythme rock le plus immédiat avec un talent rare, et sans surprise que le mot «progressif » s'imprimera en lettres de feu dans votre esprit à l'écoute de
Irradiance. Bien plus encore que
Atomized Dreams, qui avait tout de même réussi l'exploit de m'évoquer Cynic et Nirvana en seul titre, ce dernier album expérimente à toutes les sauces. La subtilité rythmique est toujours là, l'orfèvrerie mélodique également, mais au lieu de laisser l'aspect Holdsworthien des compositions diriger l'ensemble, Canvas Solaris a décidé de pousser les concepts encore un peu plus loin. « Conveyance Of Flux » avec ses plages électro façon Wipeout 2097 (non, ceci n'est pas une preuve de mon ignorance crasse en matière d'électro) et ses contre-temps dévastateurs m'avait beaucoup surpris en proposant des sonorités très inhabituelles pour Canvas Solaris, distordues et épaisses mais malgré tout mélodiques. Et à l'image de ce titre très hermétique, c'est tout
Irradiance qui expérimente avec succès : « Vapor Chasm » est entièrement acoustique alors que « Accelerated Testing Phase » est carrément un morceau de death technique, qui aurait très bien pu être engendré par Blotted Science ou Atheist.
Depuis le formidable et expressif « The Horizon Feasts on Stars » jusqu'à l'intimiste « Glacier » en passant par les sonorités indiennes de « Solition », Canvas Solaris éblouit par son talent et son audace. C'était déjà un petit exploit de mélanger avec brio le metal technique et le rock progressif, c'en est un grand de réussir à maintenir la cohérence et la rigueur de son style en variant ainsi les horizons.
Irradiance propose une voie différente des deux précédents albums, et semble assez éloigné du death technique virtuose mais sans agressivité de ses premières œuvres, sans que l'on ne doute un seul instant qu'il s'agisse là du même groupe. Si j'avais eu un peu de mal à apprécier un univers si éloigné du mien sur « Conveyance Of Flux », quelques écoutes ont réussi à dissiper mes doutes : clairement, Canvas Solaris maîtrise totalement son style et mène l'auditeur où il veut sans heurts ni aucun instant de faiblesse. Il faut certes apprécier ce manque complet d'agressivité inhérent au style, mais Canvas Solaris est un groupe que quiconque appréciant la beauté d'un Cynic se doit d'écouter s'il recherche un moment d'apaisement. Sans être trop complexe ni chercher à l'être, la musique des Américains n'a rien à envier au souci du détail de Exivious, avec lequel elle partage de nombreux points communs, et si
Irradiance n'est pas l'album le plus retors de Canvas Solaris, il est sans doute le plus hermétique pour l'amateur de metal commun, manquant d'un titre immédiatement accrocheur comme « The Unknowable And Defeating Glow ? ». Rien qui ne saurait toutefois empêcher l'amateur du groupe de prendre autant de plaisir à écouter ce testament musical que les précédentes œuvres.
À l'heure où le deathcore technique, et The Faceless en particulier, a remis à la mode le break en son clair, il n'y a pas de raison que Canvas Solaris demeure confidentiel, si ce n'est que son souci de la mélodie surprenante devrait rebuter les plus bas du front. Après tout, il ne manque à leur compatriotes de Between The Buried and Me que le talent et l'audace pour effleurer dans leurs moments les plus mélodiques le début du lyrisme de Canvas Solaris – je parle évidemment pas du reste de leur style mélangeant rock à la Coldplay et metalcore pour mécheux. Grâce à son originalité sans bornes et des musiciens avec une vision claire du style qu'ils voulaient pratiquer, ce groupe que trop peu de monde a vu grandir aura produit en moins de dix ans de nombreux albums d'exception,
Irradiance faisant figure d'inventive apothéose. Sans jamais souffrir de l'absence de vocaux et en prônant l'originalité mélodique, il aura su ravir tous ceux qui se sentaient orphelins de la disparition des grands anciens du death technique en proposant un audacieux mélange de metal progressif et de techno-death. Un style exigeant, trop clivant pour obtenir le succès mérité, mais qui aura fait de Canvas Solaris un des quelques incontournables du paysage musical de la précédente décennie. Ceux, dont moi, qui pleurent leur disparition, peuvent toujours se consoler avec
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