Trouble - The Skull
Chronique
Trouble The Skull
"The one you love is dead". Ce sont les premières paroles chantées par le regretté Eric Wagner sur le titre d’ouverture de ce deuxième album de Trouble, intitulé The Skull. Des paroles désenchantées et pessimistes qui vont donner assez vite le ton, plus sinistre, de cette réalisation, mais ce ne sont pas les seuls éléments qui vont dans ce sens. Il suffit pour cela de s’arrêter sur la pochette de l’album bien plus sombre que celle de son prédécesseur, mais aussi sur son titre même, référence évidente au mont Golgotha. L’on va ainsi rapidement comprendre à l’écoute de cette deuxième réalisation que Trouble ne se limite aucunement à sa première réalisation, certes géniale. Paru une année après la sortie de l’album éponyme, - plus communément connu sous le nom de Psalm 9 -, The Skull va bien consolider le statut de Pères Fondateurs du doom metal du quintet avec cet album, mais également confirmer cette personnalité singulière dévoilée un an auparavant. Pour faire simple, The Skull m’apparait tout aussi essentiel que son illustre prédécesseur, si ce n’est plus, tant il marque le pas par rapport à ce dernier.
Il y a plein de raisons à invoquer pour dire ô combien The Skull va sans doute plus loin que Psalm 9, dans certaines directions. Non pas que le style de Trouble a complètement changé ici, loin de là, mais le quintet y a gagné en maturité, en maîtrise de son propos et en profondeur. Cela fait beaucoup, et il n’est aucunement question de dénigrer Psalm 9, ne vous trompez pas. Le groupe reprend ici les mêmes traits que sur son précédent album, à savoir ce doom metal assez unique, si on le replace dans son contexte, et même à postériori. C’est assez notable qu’il n’existe aucun groupe sonnant comme Trouble, qui aura pourtant influencé un grand nombre de musiciens. Il est donc toujours question de ce doom metal versatile, sachant contrebalancer entre instants véloces et d’autres bien plus pesants. C’est évidemment quelque chose d’assez commun que d’énoncer cela pour décrire leur musique, mais cela ne l’était pas vraiment à l’époque. Les différences avec le premier effort sont ainsi minimes de ce point de vue, à ceci près que l’on ne va pas retrouver ici de brulot bien rapide comme Bastards Will Pay. De toute manière, l’ambiance générale ne s’y prêterait pas du tout, et si l’on a bien des passages au riffing assez incisif, il n’y a toutefois pas le côté plus tranchant du premier album.
Si l’on devait comparer aux autres pionniers du genre que sont Saint Vitus, Pentagram ou bien encore Witchfinder General, Trouble est sans doute le groupe qui a son assise la plus ancrée dans le heavy metal traditionnel et fait très bien le pont entre le Black Sabbath des années soixante-dix et Judas Priest. Ce fut d’ailleurs une des lignes directrices pour cet album selon les dires de Rick Wartell. La raison en est simple, le groupe comprend en son sein deux guitaristes, contrairement aux autres formations, ce qui nous donne une formulation bien classique. La force du groupe c’est d’ailleurs cette paire de guitaristes composée de Bruce Franklin et de Rick Wartell qui se complètent à merveille, donnant cette coloration assez unique à la musique du groupe. La légende raconte même qu’un certain Kirk H. et un certain James H. étaient allés faire de l’espionnage industriel pour savoir comment les deux réglaient leurs amplis tant ils avaient été impressionnés par le son de guitares de Trouble. Certes, il y a une grande complémentarité entre les deux guitaristes, mais il y a surtout du talent chez les deux, qui savent tout autant se répondre par le biais de duels de soli, que d’harmoniser chaque titre. Ce travail fait non seulement la différence mais va donner cette coloration assez unique à la musique de Trouble. Un travail qui est d’ailleurs bien plus étoffé que sur son prédécesseur, tant le jumelage de ligne de guitares et autres harmonisations y sont plus fréquemment employées. Surtout, le son de Trouble se retrouve ici plus ample et plus pesant, alors qu’il a bénéficié, peu ou prou, des mêmes moyens d’enregistrement et de production que pour le précédent.
Ce sont ces éléments notables qui vont distinguer The Skull de la discographie des Américains et le rendre notamment plus désespéré. Il n’est d’ailleurs pas étranger que la période d’écriture des paroles des titres de The Skull correspondent à un moment assez difficile pour Eric Wagner, qui rencontrait alors pas mal de difficultés personnelles. Cela se ressent clairement sur l’ambiance générale de l’album, nettement plus solennelle ici. Bien entendu, il y a toujours cette grosse influence chrétienne sur tous les titres, avec tantôt des références à l’Ancien Testament, tantôt des références aux Evangiles, avec notamment le titre éponyme. Et l’on a bien entendu des titres plus véloces qui viennent nous rappeler que l’on a bien affaire à Trouble, dont ce Fear No Evil ou Truth Is – What Is. Pourtant, comme énoncé plus haut, le titre Pray for the Dead va mettre en avant ce caractère plus sombre. C’est évidemment transcendé par cette voix en or, certes un peu éraillé, qui se fraye un chemin derrière ces riffs bétonnés. Dire que c’est une des plus belles voix du doom metal que nous avons ici n’est aucunement usurpé. Tout l’album en est une démonstration, mais l’on a ici une autre facette de cette voix, avec quelque chose de plus clair et un peu plus grave que l’on retrouve sur The Skull et The Wish. Mais l’on sent bien qu’il s’implique encore plus personnellement tant dans les paroles que par le biais de sa prestation vocale, toujours aussi fiévreuse.
Comment ne pas évoquer cet album sans s’attarder quelques temps sur cette magnifique composition de plus de onze minutes qu’est The Wish? Vous voulez avoir une idée du génie de Trouble: ce titre en sera un pur condensé. C’est en tout cas la plus belle composition du groupe, très empreinte de désespoir, où les acoustiques et quelques arrangements aux cordes font leur apparition. Nous sommes loin d’avoir ici une ballade sentimentale, mais bien un titre tout autant plombé qu’à l’architecture assez audacieuse, puisque les passages où les deux guitaristes prennent les devants sont fréquents, ainsi que les quelques changements de rythmes. Il y a réellement un côté pessimiste dans ce titre évoquant une personne qui veut en finir avec la vie et qui recherche l’amour de dieu pour ne pas passer à l’acte. L’on a d’ailleurs l’impression qu’il pourrait être question d’Eric Wagner dans ce personnage, tant ce dernier y met toutes ses tripes. Bref, c’est du grand art, tout simplement. Trouble ne sera pas le premier à se lancer dans ce type d’exercice, pourtant il y a sans doute ici les prémices de ce que pas mal de formations anglaises feront une décennie plus tard, et pas uniquement chez Cathedral, - bien que cet album fasse partie des favoris de Lee Dorrian. Les ferments sont là, au même titre que cette manière de faire sur The Wickedness of Man.
Cette belle pièce n’éclipse en rien le reste de l’album, mais démontre clairement que le groupe a gagné en maturité et en profondeur. Ce sont les mêmes traits de caractères que l’on retrouvera sur le titre éponyme et composition ô combien emblématique pour Trouble. Là encore, l’on commence sur quelque chose d’assez mélancolique, avec le retour des acoustiques et cette voix plus grave d’Eric Wagner, mais tellement poignante. L’on n’aura sans doute pas meilleure évocation musicale de la Passion du Christ qu’avec ce titre, qui devient encore plus saisissant lorsque le tempo va s’emballer et nous donner lieu à ce final magistral et ses fameux chœurs "Christ have mercy!". Un final qui est clairement à la hauteur de l’enchaînement de titres que nous venons d’avoir. Car si ces deux titres se démarquent de l’ensemble, le reste est évidemment d'une excellente qualité, mettant en avant le talent du groupe qui nous propose sept titres mémorables et exceptionnels.
Il va de soi que The Skull est une parfaite réussite et qu’il n’a pas lieu d’être éclipsé par son prédécesseur. C’est d’autant plus un aboutissement que Trouble évite la redite, sans pour autant changer de style, mais en étoffant ses compositions et sa manière de faire. Mais ce qui fait sans doute la différence me concernant c’est que cet album est bien plus sombre que son prédécesseur, qui certes ne respirait pas la joie, mais il y a ici une profondeur d’âme que l’on ne retrouvait pas sur Psalm 9, et que l’on ne rencontrera quasiment plus par la suite. C’est évidemment une très belle pièce de doom metal et un réel classique du genre, même si les accointances avec le heavy metal traditionnel, très présentes ici, pourraient en rebuter plus d’un. Pourtant, c’est ce qui rend cet album toujours aussi parfait et mythique et il ne souffre aucunement des affres du temps qui passe. The Skull garde toujours cette même aura plus de quarante ans après sa parution et demeure une leçon de choses. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Eric Wagner et Ron Holzner prirent comme patronyme pour leur projet de doom metal, il y a dix ans déjà, le nom de cet album. Est-il besoin d’ajouter que cet album mérite amplement qu’on s’y attarde et pas seulement pour les amateurs de doom metal, mais bien au-delà de ce style musical.
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