Trouble - Run To The Light
Chronique
Trouble Run To The Light
Le terme White Metal avait été inventé à l’époque de la sortie de Psalm 9 par le label Metal Blade afin de cataloguer Trouble, en opposition avec le Black Metal, étant donnée la propension du quintet à truffer ses paroles de moult références bibliques. Une thématique que l’on rencontra évidemment sur l’album The Skull, une année plus tard, et également sur ce troisième album, Run to the Light, la pochette étant on ne peut plus explicite. Il aura fallu deux années au quintet de Chicago pour donner naissance à cette réalisation. Cela peut s’expliquer, entre autres, par quelques tensions apparues au sein du groupe durant la genèse de The Skull, et qui ont abouti au départ du bassiste Sean McAllister, remplacé par Ron Holzner. Puis ce fut au tour du batteur Jeff Olson de quitter le navire pour se consacrer à ses études en musicologie, même s’il restera en bons termes avec ses anciens acolytes puisqu’il viendra placer ici quelques lignes de claviers. Un remplaçant fut trouvé en la personne de Dennis Lesh et tout ce petit monde s’enferma dans les fameux studios de la Chicago Recordings Company. L’on sent que le label Metal Blade avait l’air d’avoir mis un peu plus de moyens pour la production, afin de capitaliser sur l’attention suscitée par ses poulains.
Et pourtant, Run to the Light est, injustement, l’album le moins cité dans la discographie de Trouble, sans doute parce qu’il marqua un petit peu le pas entre les deux premiers albums et ce qu’il adviendra pour la suite de sa discographie. Ce qui est assez surprenant, c’est que la formule du groupe n’a pas fondamentalement changé par rapport à ses deux illustres prédécesseurs. Aussi, avons-nous ici ce Doom Metal toujours aussi personnel et même un peu atypique, et l’on reste toujours à la croisée entre la lourdeur d’un Black Sabbath des années soixante dix et la vélocité d’un Judas Priest. Pour autant, le groupe ne fait pas non plus du surplace, car c’est ici que sa facette Heavy Metal est la plus mise en avant. C’est cela qui a dû en dérouter plus d’un, car l’on ne retrouvera pas ces passages beaucoup plus lents qui émaillaient sur The Skull. Bien entendu, il y a toujours des temporisations comme le groupe s’est toujours fait le chantre, mais leurs moindres présences pourraient surprendre, même si la pesanteur est, elle, toujours de mise. L’on pourrait y déceler une volonté de la part de la formation d’aller de l’avant et de ne pas rééditer ce qu’elle avait réalisé sur son précédent effort.
En cela le pari est réussi, car l’on n’a aucunement l’impression de voir le groupe faire du surplace, et non plus tenter de refaire ce qui avait pu marcher sur Psalm 9, même s’il y a quelques points communs avec ce dernier. Cela se ressent notamment sur le côté plus entraînant de la majorité des titres, avec des passages bien rapides, comme notamment ce passage bien fulgurant sur Thinking of the Past, avec ce duel de soli, et même du tapping à son début, qui est de toute beauté. Il ne faudrait pas oublier de souligner que le groupe n’a en rien changé de nature et que l’on reconnait sa personnalité, notamment dans ce son de guitares vraiment à lui, avec cette paire de guitaristes toujours aussi magique. L’on notera, comme l’on pouvait bien s’y attendre pour un troisième album, que Trouble affiche ici une plus grande maturité. Cela se remarque par une grande qualité d’écritures de ses titres, car même lorsqu’ils sont assez courts, l’on a rarement quelque chose de simplissime. En effet, le groupe sait étoffer ses compositions et il n’est pas avare en surprises et en petites nouveautés. La première, c’est la présence de claviers sur quelques-unes, comme sur les introductions de The Misery Shows, de On Borrowed Time et de The Beginning. Sur ce même On Borrowed Time, les deux guitaristes nous réinterprètent la Marche Funèbre de Chopin, quelque chose d’ailleurs d’assez en vogue chez les doomsters en cette année mille neuf cent quatre-vingt-sept.
Là ne sont pas uniquement les petites surprises de ce Run to the Light. L’on a ainsi des passages un peu plus ancrés dans les années soixante-dix et qui vont être un peu annonciatrices de l’évolution de la formation. Je pense à ce côté un peu plus groovy présent sur Peace of Mind et encore plus prégnant sur Tuesdays’Child, sur la partie centrale de Thinking of the Past ou bien encore ce petit break avec de la cowbell sur On Borrowed Time. L’on sent que le quintet avait sans doute envie de lâcher la bride et de ne pas rester centré sur son côté plus sombre et fervent de ses deux premières œuvres. Ces effluves un peu plus seventies se retrouvent aussi sur cette magnifique partie centrale du titre éponyme, vraiment de toute beauté, où les acoustiques côtoient de très belles leads, avec un instant plus posé et même plus mélancolique. Là-dessus vient, évidemment, se poser ce chant toujours aussi excellent d’Eric Wagner. Cette voix est, une fois de plus, fabuleuse et l’on sent que si certaines de ses paroles ont un côté plus mélancolique, l’on est loin du côté dépressif du précédent effort. Comme si, après avoir sombré dans les ténèbres, le chanteur avait décidé de renouer avec quelque chose de plus lumineux. Mais il demeure autant habité par ses textes. C’est presque comme un guide dans un océan de confusion, en plus du son caractéristique du groupe.
Néanmoins, si l’on devait apporter une note un peu plus négative à cet album, l’on insistera sur le fait que ses quatre premiers titres sont largement supérieurs aux suivants et, ainsi, nettement plus marquants. L’on a d’ailleurs une très belle entrée en matière avec The Misery Shows, sorte de rétrospective des années précédentes où Eric Wagner fait pas mal d’allusions aux titres des deux premiers albums, sur des riffs vraiment prenants et un refrain où le chanteur s’époumone sur cette phrase : « The answer is love ! ». On Borrowed Time voit le quintet renouer avec quelque chose de plus plombé et tellement efficace en nous gratifiant d’un passage central bien plus rapide. Et que dire du titre éponyme, si ce n’est que c’est, de loin, le meilleur de l’album, qui pourrait nous rappeler, à certains égards, The Wish du précédent. Mais ici, il y a quelque chose de singulier, avec cette dualité entre pessimisme et volonté de s’en sortir. C’est bien ce genre de compositions qui a fait de Trouble un grand nom du Doom Metal, et même bien au-delà. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un clip dans lequel l’on retrouvait Bill Ward. C’est pour cela que la suite de l’album apparait un petit peu moins qualitative, sans doute moins marquante, même si l’on retrouve de cette ferveur dans The Beginning, un peu plus progressif dans son écriture, avec un excellent final.
Malgré ces petits griefs, Run to the Light reste un excellent album et démontre que Trouble n’a pas fait du surplace par rapport à ses deux premières réalisations. Preuve en est, c’est l’album où sa facette heavy metal est très bien mise en exergue, ce qui a certainement dérouté pas mal de personnes à sa sortie, en plus de quelques signes d’évolution, qui seront concrétisées trois années plus tard. Cela reste toutefois une très belle réussite, avec des titres plus que mémorables, et constitue une belle pierre à l’édifice de la formation, ainsi qu’une probante démonstration de Heavy Doom Metal, certes ancrée dans sa période de parution, mais toujours aussi jouissive à écouter. Mine de rien, en trois albums, Trouble a su montrer trois facettes assez marquées de sa musique, sans que l’on ait eu un changement radical de son propos, chose qui arrivera avec l’autre album éponyme. Au-delà de ces considérations, Run to the Light reste pour moi une très belle pépite d’un metal on ne peut plus racé, où le talent et l’inspiration des musiciens éclaboussent sur chaque titre. Ce n’est peut-être pas aussi parfait qu’un Psalm 9 ou un The Skull mais cela reste toujours aussi bon avec les années. Ce sera aussi le dernier album clairement ancré dans les sphères du Doom Metal traditionnel, mais sans doute ne pouvait-il en être autrement après avoir couru vers la lumière.
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