Malokarpatan - Vertumnus Caesar
Chronique
Malokarpatan Vertumnus Caesar
En 2023 rares sont les groupes véritablement capables d’innover et de repousser de manière significative les barrières de ce qui a déjà été proposé par le passé. Aussi on ne va pas se mentir mais l’essentiel de ce que nous écoutons aujourd’hui n’est effectivement qu’un réchauffé de ce qui se faisait dans les années 70, 80 et 90 (et on pourrait dans une certaine mesure tirer encore un petit peu plus loin). Et c’est probablement encore plus vrai avec les musiques dites extrêmes qui en plus de reposer sur des instruments jugés parfois obsolètes comme on a pu le lire récemment au sujet de la guitare entretiennent également un amour et un respect inconditionnels pour une époque aujourd’hui révolue, celle qui a vu fleurir les premiers groupes de Heavy, de Thrash, de Death et de Black Metal et tous les différents codes associés à ces genres. Cependant, loin de moi l’idée de jouer les vieux cons avec des phrases du genre "c’était mieux avant" puisque d’une manière générale je prêche plutôt pour l’efficacité en lieu et place de l’originalité.
Malgré ce constat, il arrive pourtant que certains groupes réussissent non pas à révolutionner ces univers dans lesquels ils évoluent mais plutôt à proposer quelque chose de frais et de personnel tout en restant fermement ancrés dans ce respect des traditions si cher à cette population que nous représentons. Les Slovaques de Malokarpatan sont assurément de cette trempe, eux qui depuis 2014 puisent allègrement dans le passé pour parvenir à une musique estampillée "Black Metal" mais dont certains atours évoquent également d’autres genres comme le Heavy Metal, la musique Progressive des années 70 et même le cinéma avec qui la formation entretient également un lien privilégié depuis déjà plusieurs années. On ne sera donc pas vraiment surpris de constater qu’après trois albums tous plus excellents les uns que les autres, le plébiscite soit encore une fois aussi unanime.
Paru fin octobre chez Invictus Productions en collaboration avec le label américain The Ajna Offensive, Vertumnus Caesar marque l’intronisation officielle d’Axel Johansson (Chevalier, Initiation, ex-Beastiality...) derrière les fûts en lieu et place de Miroslav "Slavfist" (Algor, ex-Krolok...). Cependant, ce n’est pas le seul changement à signaler puisqu’Aldaron (Algor) a également quitté le navire faisant ainsi d’Adam Sičák le seul guitariste à bord. Pas de panique néanmoins, monsieur Sičák ayant toujours été le principal compositeur chez les Slovaques, ces défections n’ont fort heureusement aucune incidence ni sur l’identité de Malokarpatan ni sur la pertinence de son Black Metal pour le moins bigarré. Pour illustrer ce quatrième longue-durée, le groupe a cette fois-ci fait appel à la suédoise Astrid Bergdahl à qui l’on doit notamment quelques récentes vidéos pour Tribulation. Inspirée par l’architecture médiévale slovaque, elle livre une vision un brin naïve mais aux charmes surannés qui va lever le voile sur quelques-unes des thématiques abordées tout au long de ce quatrième album.
Centré autour du personnage de Rudolf II, célèbre empereur romain réputé pour son incroyable cabinet de curiosités, également versé dans l’ésotérisme, la divination et l’astrologie et dont les derniers jours ont été marqués par de sévères accès de démence et de paranoïa, Vertumnus Caesar constitue une sorte de départ en comparaison des trois précédents albums de la formation dans la mesure où celui-ci va effectivement laisser de côté la nature plus folklorique et champêtre de ses débuts pour aborder des sonorités aux résonances aristocratiques et médiévales bien plus prononcées. Un parti-pris qui offre à la formation la possibilité d’explorer de nouveaux horizons sans pour autant trahir son identité. Toujours aussi riche, la musique des Slovaques est ainsi marquée une fois de plus par l’utilisation de tout un tas d’instruments divers et variés (dont certains confiés à quelques invités de marque tels que Tomáš Kohout (ex-Master’s Hammer...), Honza Přibyl (ex-Master’s Hammer...) ou David Olofsson (Helvetets Port, ex-Portait...). De l’accordéon au clavecin en passant par le glockenspiel (métallophone), le stylophone, la harpe, le mellotron, le carillon tubulaire et tout un tas d’autres instruments (claviers, flûte, synthétiseurs...), l’univers musical de Malokarpatan s’étend ainsi vers de nouvelles contrées évoquant d’autres vies, d’autres moeurs, d’autres lieux, d’autres temps comme la vie au Château de Prague au seize et dix-septième siècle par exemple...
Si les arrangements sont donc effectivement nombreux et qu’ils participent grandement au développement de ces nouvelles atmosphères, la composition reste quant à elle assez proche du Malokarpatan d’antan. Passées par le prisme d’un Black Metal thrashisant à la sauce "première vague" (groupe de l’Europe de l’Est oblige, impossible de ne pas évoquer les influences plus ou moins flagrantes de formations telles que Törr, Kat, Root et évidemment Master’s Hammer sur la musique des Slovaques), ces huit nouvelles compositions continuent d’embrasser la nature épique et galopante d’un Heavy Metal poussiéreux typique des années 80. De cette section rythmique chaloupée (l’entame imparable de "Koár Postupuje Temnomodrými Dálavami Na Juhozápad", "Vertumnus Caesar" à 2:30, le dynamique et presque Punk "Vovnútri Chlácholivého Útoita Kunstkamru", "Mnohoraké Útrapy Milostpána Kelleyho" à 0:30...) à ces mélodies festives ou du moins enjouées qui bien souvent vous rentrent dans la tête ("Koár Postupuje Temnomodrými Dálavami Na Juhozápad", "Vovnútri Chlácholivého Útoita Kunstkamru", "Mnohoraké Útrapy Milostpána Kelleyho"...) en passant par ces envolées guitaristiques soignées ("Koár Postupuje Temnomodrými Dálavami Na Juhozápad" à 5:00, "Vovnútri Chlácholivého Útoita Kunstkamru" à 4:18, "I Hle, Tak Zachádza Imperiálna Hviezda" à 5:00...), la musique de Malokarpatan continue en effet de prendre racine dans le Heavy Metal quelque peu foutraque de tous ces pays de l’Est qui a défaut d’être cités en référence ont toujours trouver le moyen d’exister sans avoir véritablement à rougir face à la concurrence.
Autre influence majeure de ce quatrième album, la musique progressive des années 70 avec en tête de lice des groupes comme Popol Vuh et Tangeringe Dream. Aussi outre cette blinde de synthétiseurs que l’on va retrouver copieusement tout au long de l’album, on remarque également quelques passages plus en retenue qui, couplé à cette voix gutturale, vont venir renforcer ces ambiances mystérieuses et ésotériques. Des moments où Malkoarpatan délaisse quelque peu le caractère particulièrement bordé (et donc limité) de ce Heavy Metal d’un autre temps pour aborder les choses plus librement en laissant vagabonder son inspiration et ses envies sans perdre de vue une certaine continuité ("Na Okraji Priepaste Otevíra Sa Hviezdny Zámek", la dernière partie de "Koár Postupuje Temnomodrými Dálavami Na Juhozápad", "Vovnútri Chlácholivého Útoita Kunstkamru" à 3:47, le titre instrumental "Panstvo Salamandrov Jest V Kavernách Zeme" qui nous ramène en plein dans les années 70, "Maharal A Golem" à 3:01, "Mnohoraké Útrapy Milostpána Kelleyho" à 2:15, la première partie de "I Hle, Tak Zachádza Imperiálna Hviezda"...).
Bref, on va conclure ici pour ne pas vous tenir la jambe trop longtemps mais je pense que vous avez saisi l’idée derrière cette chronique. Sans jamais trahir son ADN largement marqué par le poids de l’Europe de l’Est des années 80, la musique de Malkoarpatan a su mûrir et évoluer pour s’affranchir d’une certaine redite. La formation laisse ainsi de côté le caractère champêtre et boisé de ses trois premiers albums pour le faste de la vie de château. Des ambiances chargées mais jamais trop encombrantes qui effectivement insufflent un esprit baroque et aristocratique à son Black Metal fortement teinté de Heavy Metal. Une musique à la fois désuète mais pourtant toujours dans l’air du temps destiné à un public qui l’est probablement tout autant mais une musique sincère et profonde, intelligente et définitivement capable de sortir des sentiers battus et qui écoute après écoute continue de ravir et de révéler tout ses richesses.
| AxGxB 14 Décembre 2023 - 784 lectures |
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