Difficile de se sentir légitime lorsque l’on aborde un genre que l’on a longtemps choisi d’ignorer après nombre de tentatives infructueuses. Pourtant voilà, Nine Inch Nails a fini par retrouver depuis quelques années le chemin de mes oreilles et cette fois-ci avec beaucoup plus de réussite qu’à l’époque. D’ailleurs, mon intérêt pour la musique dite industrielle s’est même largement développé au gré de mes nouvelles rencontres (Dome Runner, Realize, Black Magnet...) et autres revisites d’anciennes gloires déjà plus ou moins survolées à l’époque (Godflesh, Ministry, Filter, Nailbomb, Stabbing Westward, Orgy...). Aussi, après un concert parisien particulièrement convaincant, il me tenait à cœur de poursuivre le travail entamé par ERZEWYN il y a quatre ans (voir la chronique de
The Downward Spiral) et me plonger par écrit dans le premier album de Nine Inch Nails intitulé
Pretty Hate Machine.
Si 1988 est communément retenue comme l’année des débuts de Nine Inch Nails, les prémices de la formation remontent pourtant à 1987 lorsque Trent Reznor, alors assistant technicien slash concierge aux Right Track Studios de Cleveland, profite de son temps libre et des moyens mis gracieusement à sa disposition par son patron Bart Koster pour enregistrer des versions démos d’une partie des onze titres qui figureront deux ans plus tard sur ce premier album. Incapable de trouver des musiciens à même de partager sa vision, ce dernier fait rapidement le choix de tout faire lui-même. Une liberté de mouvement à laquelle il est d’ailleurs longtemps resté très attaché puisque ce n’est qu’en 2016 qu’Atticus Ross, bien connu des amateurs de bandes originales de films (The Social Network, Gone Girl, Mid90s, Empire Of Light, Bones And All...), rejoindra le père Reznor pour ce qui est devenu depuis un véritable duo.
Sorti le 20 octobre 1989 sur TVT Records,
Pretty Hate Machine est un album qui deux ans après sa parution était déjà taxé de disque « immature » par son géniteur... Une position un brin tranchée pour un album dont le succès ne s’est jamais démenti depuis et qui trente-six ans plus tard continue effectivement d’être largement cité en référence. Une déclaration probablement imputable (au moins en partie) à des textes empreints d’une colère et d’une frustration symptomatiques d’une jeunesse qui ne se reconnait pas dans la société consumériste et puritaine américaine mais qui pour autant n’ont pas vraiment à rougir de quoi que ce soit et peuvent encore être scandés sans honte aujourd’hui :
"God money, I'll do anything for you. God money, just tell me what you want me to. God money, nail me up against the wall. God money, don't want everything, he wants it all." /
"Head like a hole, black as your soul. I'd rather die than give you control. Head like a hole, black as your soul. I'd rather die than give you control." /
"Bow down before the one you serve. You're going to get what you deserve. Bow down before the one you serve. You're going to get what you deserve".
Musicalement,
Pretty Hate Machine est un album particulièrement synthétique basé sur l’utilisation massive de synthétiseurs, émulateurs et autres samples réarrangés afin de pallier à l’absence de véritable batterie. D’ailleurs sur ce dernier point, il est fait mention dans le livret sous l’intitulé
"ideas and sounds (with all due respect)" d’artistes tels que Jane’s Addiction, Prince, Public Enemy, This Mortal Coil, Screaming Trees (groupe anglais à ne pas confondre avec son homologue originaire de Seattle) et d’autres musiciens inconnus auxquels monsieur Reznor a vraisemblablement emprunté plusieurs séquences afin d’obtenir notamment ces beats de batterie qui lui faisait cruellement défaut. Des emprunts tellement retravaillés qu’il est tout de même difficile de mettre le doigt dessus même en pleine connaissance de cause…
Si ce tout électronique (ou presque) avait de quoi faire fuir l’amateur de guitares saturées que je suis, le fait est que
Pretty Hate Machine reste un album très organique avec notamment une basse bien vivante et toute en rondeurs (comme c’est le cas par exemple sur "Sanctified" ou "The Only Time") et des guitares certainement pas prépondérantes mais qui régulièrement se fendent de quelques accords Rock saturés plus ou moins tranchants ("Head Like A Hole", "Down In It", "Sanctified", "Kinda I Want To", "Ringfinger"). Surtout, même si certaines sonorités semblent aujourd’hui bien datées (ou en tout cas typiques de ce qui se faisait dans les années 80),
Pretty Hate Machine est marqué par une approche définitivement Pop (beaucoup de refrains qui très vite s’impriment dans notre cortex ainsi que des mélodies accrocheuses dont on a bien du mal à se débarrasser même après être passé à autre chose) qui rend chaque composition particulièrement "catchy". Ainsi qualifiée à l’époque par certains journalistes d'"Industrial Dance Noise", la musique de Nine Inch Nails fait ici écho à des artistes tels que Depeche Mode et New Order en empruntant cependant un virage plus sombre et plus agressif (outre ces guitares Rock évoquées plus haut, le chant abrasif et intense de Trent Reznor au timbre si caractéristique n’y est bien entendu pas étranger).
Fruit d’une époque aujourd’hui révolue mais dont l’influence continue pourtant de marquer les scènes actuelles,
Pretty Hate Machine peut étrangement paraitre désuet à bien des niveaux (beats et autres nappes synthétiques aux sonorités typiquement 80’s) et en même temps d’une modernité confondante. Définitivement moins Metal et plus électronique que son illustre successeur, ce premier album également moins torturé et curieux reste près de quatre décennies plus tard un disque terriblement addictif qui parvient à charmer l’auditeur grâce à son caractère juvénile et son aisance à passer de titres dansants et rythmés ("Head Like A Hole", "Down In It", "Kinda I Want To", "Sin", "That’s What I Get", "The Only Time") à des compositions beaucoup plus sombres, torturées et introspectives ("Terrible Lie", "Sanctified", "Something I Can Never Have", "Ringfinger"). Naturellement, on lui préfèrera le plus abouti, le plus agressif et le plus personnel
The Downward Spiral (album qui a définitivement marqué les années 90) mais pour un début réalisé de bric et de broc par un seul homme (avec l’aide de quelques producteurs bien choisis),
Pretty Hate Machine reste un premier jet particulièrement solide dont la force de persuasion et la pertinence ne se sont pas étiolées au fil des années. Bref, ce que l’on appelle plus communément un indémodable.
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