Le 05 Décembre 2008, Sebkha-Chott se produisait au Nouveau Casino en première partie d'
Unexpect. J'étais, pour l'occasion, frétillant comme un jeune saumon remontant pour la première fois la rivière de ses années RécréA2, anticipant avec jubilation l'orgasme de joyeuse déconographie kaléidoscopique que
« Nagah-Mahdi », le précédent opus, semblait promettre pour la scène. Mais l'imprévisibilité étant le thème de la soirée (
les non anglophones attraperont le dico anglais/français à la définition d'« unexpect »), le groupe n'avait pas été franchement là où je l'attendais. Zappant complètement les compos de mon album chéri, il avait proposé à l'assistance ce qui m'avait semblé un long set décousu de délires jazzy et expérimentaux, plein de cuivres, de dissonances et d'une indéniable folie furieuse, sur le quai desquels mes oreilles et mes synapses mélomanes avaient peiné à jeter l'ancre. Petit froid façon « coitus interruptus » donc. Mais sachant que les œuvres ambitieuses ne se laissent pas prendre comme ça, à la cosaque, au détour du premier concert venu, je sommais ma raison de calmer les fougueux purs-sangs de la déception qui commençaient à ruer dans les brancards. Pour sûr, l'écoute studieuse de « Nigla[h] » saurait ôter les œillères qu'un cocher farceur m'avait temporairement placé sur les oreilles …
Et effectivement, l'acharnement finit par payer. S'il est vrai que le 2eme effet « douche froide » aura encore persisté un certain temps au cours des premières écoutes de l'album, tout vient finalement à poing dans la gueule à qui sait attendre l'autre joue: je crois bien maintenant (
restons humble: la certitude ne peut être de mise lorsqu'on touche au domaine artistique) avoir compris le propos et l'orientation nouvelle de la délégation ohrélandaise :
«
Ah vous nous aviez apprécié pour les délires sympathiques de « Nagah-Mahdi » ? Ah vous aviez claqué des doigts sur « La Complainte D'Yvette H. », « Sensual Lips And Magic Tricks » et « Confrérie De L'Intox » ? Non mais oh, vous croyez vraiment que c'est ça Sebkha-Chott, une simple compil' Ultra Vomitesque de trucs rigolos partant dans tous les sens? Non, Sebkha-Chott c'est un monde, que dis-je un univers – celui d'Ohreland – où règne une faune grotesque et bigarrée, non pas constituée de tristes bouffons gesticulants à vide, mais bien d'artistes possédés par une vision. Et celle-ci n'a pas été conçue vous faire taper bovinement du pied ou claquer des doigts, contrairement au gros du troupeau des groupes calibrés qui ciblent un auditoire peu exigeant, la bave et la canette de Kro au bord des lèvres. »
Sebkha-Chott, c'est un orchestre dissonant qui prend le temps de poser des ambiances tout en nuances, ceci au travers de tableaux sonores tour à tour décalés, sombres, grotesques, beaux, stressants, stridents, énervants, exotiques. C'est du vert caca d'oie, du marron façon chocolat vomi. Et du jaune aussi. Des moments de folie burlesque plus déstabilisants que franchement drôles. Du (
death) metal aussi, si besoin. Du funk décalé, quand l'envie s'en fait sentir. Des délires vocaux Woody Woodpeckeresques entre Patton, les Red Hot et le Sarsippius de Infectious Grooves. Mais ne vous attendez surtout pas à retrouver votre salade « bazar metal » (
copyright Thomas Johansson) habituelle avec ses proportions convenues d'éléments disparates, sa louche de sauce délire et ses petits nez de clown / tomates cerise pour faire joli. Cette fois, le groupe préfère peupler son monde de rythmes tirés par les cheveux, de dissonances et de plans free style empilés les uns sur les autres, de ci de là, comme ça leur chante, et tant pis si ça ne permet pas de remuer du popotin sous le tablier, ni d'headbanguer en faisant la vaisselle. « Nigla[h] » n'a pas pour vocation d'être le pendant musical des « Chiffres et des Lettres », distraction convenue, toujours à l'heure, sans un poil qui dépasse, chargée ras la touffe de guimauve. Non, « Nigla[h] » c'est plutôt la mise en musique du spot qui éclate pendant un direct, c'est la vague du tsunami qui grossit à l'arrière-plan sur la vidéo des vacances, c'est le pet sonore lâché par le curé lors de l'homélie retransmise dans « Le Jour du Seigneur ».
Ce sera donc à vous de rentrer dans l'univers du groupe, et pas « Nigla[h] » qui ira s'adapter aux méandres de votre oreille interne. En effet le groupe ne fait ni effort ni concession pour rameuter du monde dans sa tanière. Quand on démarre son album sur une mélopée lancinante et léthargique semblant émaner d'une fanfare en pleine gueule de bois, qu'on le finit sur les pulsations et stridences d'un « Truel à la Lucier » aussi inconfortable et stressant que la plus expérimentale des œuvres de musique concrète, et qu'on propose en son milieu des délires aussi décousus et poil à gratter que « Strangle In The Night », on n'est clairement pas dans l'optique d'une diffusion sur Virgin Radio. On retrouve quand même en de nombreux endroits de l'album le Sebkha-Chott qui nous avait séduit sur
« Nagah-Mahdi ». Par exemple sur le rock cuivré de « Gone Save The Quid » qui trouve un prolongement presque salsa sur « Solo In Fol Flart Harmolic Mijor ». Sur « La Grande Braderie des Menhirs Kusturika » où l'orchestre du réalisateur serbe s'en va battre la campagne à la tête d'une ménagerie mécanique et brinquebalante. Sur l'ensemble de « Factory of Dreams » également, où l'on croise Dupontel, du groove épicé sur des rythmes junglisant smoothy (
« Free Gibet »), du death avec xylophone (
ou quelque chose d'approchant) ainsi que la folie funky/ska
Bunglienne de « Marcel et Bretzel sont dans un four à pain ». Il faudrait en citer encore beaucoup, de la lente avancée de « Pompes à Bascules » en passant par la douceur du début de « Niglah Part I », mais on va s'arrêter là hein, trop de détail tue le détail (
et pour rester dans l'ambiance févrierienne, « Trotski tue le ski »). Bref, plein de choses sympathiquement accrocheuses. Mais pas que. Loin de là.
Pour en finir avec cette chro à rallonge, je dirai que la démarche du groupe m'inspire un infini respect. J'avoue néanmoins avoir besoin d'un peu plus de points d'accroche et de retours sur la terre ferme dans mon quotidien musical. D'un peu plus de guili-guili sonores, de plus de violence aveugle, de folle vitesse ou de groove grisant, afin d'atténuer les gratouillis expérimentaux par de doux frissons orgasmiques. Et c'est pour cela que la note du présent album est plus faible que celle accordée à son prédécesseur. Mais « Nigla[h] » est vraiment à part - plus encore que
« Nagah-Mahdi ». Ce nouvel album ne ressemble vraiment pas à grand-chose de connu (
Mr Bungle ? Sleepytime Gorilla Museum ?), il propose une vision cohérente d'un chaos bouillonnant et ne fait pas de compromis. Et rien que pour ça, chapeau !
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