Asmodée - Chlorosis
Chronique
Asmodée Chlorosis
Si la chronique de Chlorosis avait échu à notre modèle unique de chroniqueur déjanté adepte du calembour à la Jean Roucas, j'ai nommé cglaume, on aurait sans doute eu le droit à un tas de jeux de mots foireux à base d'Asmodée, tels que « ass mode : hey » et autres « asthme aux dés ». Heureusement, c'est moi qui ait la gratifiante tache de chroniquer le déjà troisième album de ce qui est à mes yeux, comme à ceux d'un petit nombre d'initiés, l'un des meilleurs groupes de black metal français, qui s'est fait connaître avec l'excellent Symptômes de Ruines en 2002. Vous ne retrouverez donc pas dans cette chronique de jeux de mots foireux, ou de calembours de basse mode éculés.
Pour tous les trop nombreux lecteurs qui ne connaîtraient pas encore Asmodée, sachez que le groupe ne pratique pas un black metal conventionnel, mais plutôt un black metal technique très audacieux, à la fois rapide et mélodique, dont les influences techno-thrash voire techno-death se font ressentir à maintes reprises. Asmodée possède un style propre immédiatement reconnaissable, aucun autre groupe n'arrivant à mêler des sonorités black metal tout en jouant autant sur les dissonances et en variant les rythmes. Le groupe se paye même le luxe de compter en ses rangs un bassiste jouant fretless qui, en bon fan de Sean Malone, fait de nombreuses et remarquables interventions qui ne feraient absolument pas tâche chez Cynic ou tout autre légende du death technique. À ma connaissance, il n'y a guère que les hongrois de Tùrulver qui fassent aussi du black metal avec une basse fretless, c'est dire si pareil emploi de ce trop rare instrument est peu répandu !
Chaque écoute d'une œuvre d'Asmodée force le respect, tant par sa haute technicité que par son rendu réellement accrocheur, et cela faisait un petit moment qu'on attendait un successeur à Simulacres sorti en 2004. Avec Chlorosis, le groupe suit le chemin déjà emprunté sur l'EP Black Drop Journey et le mini Totems Of affliction (dont on retrouve justement les deux titres « Black drop Journey » et « Penitence » sur Chlorosis), à savoir un sentier nettement plus sinueux, torturé, pour ne pas dire aventureux. Mais il pousse sa démarche encore plus loin : non seulement, les contretemps, dissonances et ralentissements vicieux se sont multipliés, mais les passages épiques se sont aussi fait plus rares, ou plutôt devrais-je dire, moins omniprésents, car ils constituent toujours une large majorité des compositions, comme « Penitence », très représentatif des schémas de composition du groupe, le prouve. Asmodée apporte tellement de subtilités à ses compositions qu'il me serait bien difficile de vous les décrire en détail ici, mais en tout cas, Chlorosis diffère assez sensiblement du black/death très rapide et incisif pratiqué aux débuts du groupe, bien que les blasts et guitares en doubles croches soient toujours légion, comme on peut s'en rendre compte avec « Aux Chambres d'Oubli » ou l'intro de « Langalore/House Of Noise ». Pour vous faire une idée précise du contenu de l'album, le simple est que vous écoutiez les deux titres disponibles.
Pas besoin de vous faire un dessin, vous avez déjà compris que Chlorosis est extrêmement bien foutu, mais est-il réellement bon pour autant ? La réponse est bien entendu affirmative, mais le tableau idyllique n'est pas sans souffrir de quelques menus bémols. Certes, le groupe offre des compositions d'une qualité admirable, complexes et pourtant très prenantes, avec des riffs qui sont indubitablement parmi les meilleurs de leur discographie, mais parfois quelques passages sont un peu plus faibles que le reste, et laissent un sale un petit arrière goût de peut mieux faire. Je pense particulièrement au morceau qui suit celui d'ouverture (pour sa part excellent), « Disconforct Scale » qui est déroutant, sans réelle accroche. Il est très loin d'être mauvais, mais il s'apprécie assez difficilement, et c'est le principal écueil de Chlorosis, où le meilleur côtoie en de rares occasions le un peu moins bon. Par contre, les morceaux en eux-mêmes ne comportent pas de passages inégaux et ne sont donc jamais frustrants, à l'exception de « The Cainist » qui comporte un passage magnifique à partir de la première minute, mais qui malheureusement ralentit trop, et s'installe dans une sorte de faux-rythme ; sans les nombreuses interventions de la guitare lead il en deviendrait presque laborieux. Il est également dommage que l'unique riff de l'outro « Xthxr » ne soit pas présent dans un vrai morceau, tant il est de qualité.
Au final cet album s'avère exceptionnellement bon, mais extrêmement difficile d'accès : il m'aura fallu une dizaine d'écoutes pour le maîtriser, et ce n'est qu'en le réécoutant ultérieurement que j'ai pu vraiment l'apprécier dans son entier. Chlorosis est plus aventureux et plus audacieux que ses prédécesseurs, mais aussi peut être un peu plus inégal, tant il est vrai que Simulacres et Symptômes de Ruines sont constants dans la qualité. Personnellement, je ne regrette pas que le groupe ait emprunté cette voie, mais la conventionalité a parfois aussi du bon : pour moi « Fractale » reste le meilleur morceau de l'album, et c'est peut être celui qui se rapproche le plus des précédents opus. Les fans verront si ils préfèrent cette orientation à la précédente, et ceux qui ne connaissent pas le groupe le découvriront probablement avec un sourcil haussé d'étonnement, tant ce qu'Asmodée nous propose est inédit. Tout cela ne doit pas occulter le fait que Chlorosis est un excellent album, bien au dessus de la masse des autres groupes de black metal, mais aussi… différent. Il serait fort dommage de passer à côté.
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