Étant trop jeune pour avoir connu l'époque où Atheist existait, ou plutôt devrais-je dire désormais la grande période d'Atheist – soit les années 88 à 94 pour les sempiternels cancres du fond de la classe – le groupe floridien restera à jamais dans mon esprit un géant du techno-death dont on se lamentait de la disparition, au même titre que les non moins géniaux Cynic, espérant un retour aussi improbable que la présence d'une forme de vie intelligente à la fête de l'Huma. Même si on m'informe dans mon oreillette que le Hellfest 2007 est passé par là et que les deux formations ont foulé les planches (et quelques milliers de mètres carrés de boue au passage) devant une foule en délire, je n'ose toujours croire que j'ai eu la chance de voir ces deux groupes en vrai, qu'ils sont bel et bien là, qu'ils font revivre leur légende toujours aussi présente dans l'inconscient du fan de death technique en manque de mélodies vintage.
Traced In Air est là pour prouver qu'on peut sans honte et sans perdre son identité donner suite à une œuvre culte depuis quinze ans, alors l'annonce de
Jupiter a de quoi faire frémir d'impatience n'importe quel nostalgique du techno-death, cette belle époque du début des années 90 où la mode était aux cheveux sales et aux chemises à carreaux.
Passons en vitesse sur l'histoire du groupe que tout le monde connaît : après un split en 1994, Atheist se reforme autour du noyau dur du groupe depuis 1991 avec Flynn et Choy aux côtés de Shaefer désormais cantonné au poste de vocaliste, et s'adjoint les services de Chris Baker et Sonny Carson, tous deux guitaristes du nouveau groupe de Flynn, Gnostic, pour une série de concerts à travers le monde qui débute au Wacken en 2006. Carson parti, c'est Jonathan Thompson, bassiste de Gnostic, qui prend le poste de guitariste vacant pour enregistrer
Jupiter. Mais Tony Choy qui a visiblement la tête a d'autres projets se fait gentiment pousser vers la sortie par un Shaefer excédé qui souhaite enregistrer au plus vite. C'est donc Thompson qui assure l'intérim à la basse sur ce premier opus de Atheist depuis dix-sept ans. Bordel que ce fût long. Et que je fus déçu la première fois que j'y ai jeté une oreille !
Disons-le tout de suite,
Jupiter n'est pas un aussi bon album que ses trois prédécesseurs, et même en faisant abstraction du passé de Atheist, ce n'est pas non plus un grand album. Pourtant on y retrouve une partie de ce qui faisait le charme du groupe : des compositions en mouvement perpétuel, des envolées mélodiques, un groove profondément ancré dans le cœur des compositions, une production qui sans faire tâche aujourd'hui rappelle à notre bon souvenir les joies d'un équilibrage correct du travail vintage du Morrisound d'antan... Le problème c'est que, hormis peut être la production plus claire et assurée qu'avant, tous ces éléments qui faisaient la force et le charme du groupe ont vu leur qualité décroître aussi sûrement que le nombre de cheveux sur la tête de Kelly. Non pas que les compositions soient mauvaises, loin de là même puisqu'aucune ne mérite vraiment d'être dépréciée, mais plusieurs points ne poussent pas à la clémence.
Alors que Steve Flynn assure toujours autant à la batterie et porte tout le groove des compositions sur ses seules épaules, Johnatan Thompson qui a eu la lourde de tâche de remplacer Tony Choy en urgence fait bien pâle figure en comparaison de ses deux illustres prédécesseurs, et s'il sait visiblement bien manier son instrument il n'a pas la grâce que l'on est en droit d'attendre de la part d'un bassiste d'Atheist. Il se débrouille pourtant bien à la guitare, et hormis un registre plus étriqué qui est du fait des compositions, il n'y a rien à dire sur le duo d'excellents solistes qu'il forme avec Chris Baker. Dommage que leur son de guitare soit immonde, bien trop lourd et saturé, pas assez défini dans les graves, là où les vieilles compositions du groupe pouvaient presque se jouer en son clair sans que cela choque. Reste Shaefer qui a une voix un peu plus éraillée et un peu moins puissante qu'avant, qui ne choquera ni ne rebutera les aficionados du groupe, mais qui risque de faire fuir ceux qui peinaient déjà avec le timbre si particulier de Kelly.
Et en matière d'immédiateté c'est une sacrément mauvaise idée que de débuter par le pas terrible « Second To Sun », morceau sans aucun passage mémorable. Encore plus que tout le reste de
Jupiter il manque d'un moment de grâce et des mélodies imparables qui étaient pourtant la marque de fabrique d'Atheist. Heureusement, il y a tout de même quelques réminiscences du très grand Atheist qui jalonnent l'album : les débuts de « Faux King Christ » et ses claves rappelant les belles heures de la samba de
Elements ainsi que « Tortoise The Titan » avec sa montée de guitares reconnaissable entre mille, en particulier, sont dans la plus pure tradition de la bande à Shaefer. J'oserais même dire qu'avec les débuts de « When The Beast » et « Third Person », sans aucun doute les meilleurs moments de l'album, Atheist s'est mis à réussir ses intros avec brio, puisque ce sont bien plus souvent les refrains et les transitions qui font tirer la grimace.
C'est dans un registre plus terre à terre et bas du front que Atheist s'illustre désormais, et pas forcément sans faire mouche, comme le prouve le surprenant mais très bon refrain de « Live And Live Again ». Ce manque de folie rapproche beaucoup plus
Jupiter de l'efficacité brute du supérieur en tout point
Piece Of Time que du génie mélodico-groovy de
Unquestionable Presence ou de la complexité exotique du parfois décrié mais pourtant envoutant
Elements. Jamais vous ne retrouverez ici la beauté d'un « An Incarnation's Dream », « Displacement » ou « See You Again », Atheist mise désormais sur l'immédiateté, et l'album perd d'autant en profondeur qu'il gagne en cohésion – d'aucuns diront en manque criant de diversité. Si faire plus simple et écrire des mélodies moins complexes n'est pas forcément un gage de médiocrité, c'est tout de même une putain d'idée à la con que de mettre des saccades à la troisième minute de « Fictitious Glide » et au bout de seulement une minute et demie sur le pourtant excellent « Third Person » ! Mais qu'a t-il bien pu passer par la tête à Shaefer pour laisser passer des horreurs allant à ce point contre la nature même de Atheist ? Si heureusement ces passages sont rares, l'influence de Gnostic est bien trop présente sur le groupe aujourd'hui pour espérer décemment retrouver un Atheist aussi original qu'avant, et malheureusement, les faiblesses de l'un ont déteint sur l'autre.
En effet, alors qu'on retrouve de nombreux passages de qualité, les transitions sont parfois malhabiles ou bâclées, et il n'est rare de se dire qu'un titre aurait pu être bien meilleur si le groupe s'était un peu plus appliqué dans la construction des compositions. Chose impensable de la part de Atheist, je me suis souvent mis à me demander ce qu'aurait pu donner une transition calme comme on trouve un peu partout sur les anciens brûlots du groupe, puisque Shaefer semble avoir oublié que les accalmies faisaient au moins autant le charme du groupe que les passages plus fouillis !
Jupiter souffre en effet d'un gros problème de structuration des compositions, qui paraissent souvent trop simples ou bâclées : la fin vite expédié de « Third Person » en est le meilleur exemple alors qu'il y avait moyen de finir plus en progression. En fait ce qui est le plus dérangeant sur cet album, au delà de l'anecdotique son des guitares et des quelques passages sans mélodie qui viennent sporadiquement gâcher la fête, c'est le manque d'ambition qui transparaît tout au long des ridicules 32 minutes qu'il dure. Jamais Atheist ne s'essaye à des intermèdes progressifs ou des fantaisies mélodiques particulières, même de superbes trouvailles comme le passage au tournant de la troisième minute de « When The Beast » sont immédiatement coupées par un break bas de gamme, alors qu'il y aurait eu moyen de retoucher au sublime d'antan avec un peu plus d'ambition. La filiation avec ses deux prédécesseurs n'a dès lors pas lieu d'être, et
Jupiter ne peut être considéré comme la continuité naturelle de l'œuvre de Atheist, la vision de la musique de Shaefer ayant bien changé depuis le temps. Ça n'étonnera personne venant de quelqu'un qui prétend que The Faceless a apporté quelque chose au death metal sur le plan musical.
Si vous ne jurez que par le techno-death de la grande époque et que vous êtes parfaitement hermétique à toute marque de modernisme dans le thrash ou death technique d'aujourd'hui vous ne pourrez qu'être déçu. Si au contraire vous aviez du mal à trouver de l'accroche dans les premiers Atheist, ou bien que vous prenez également plaisir à écouter Gnostic et que le déclin du travail mélodique du groupe ne vous fait pas peur, vous pourrez parfaitement trouver ce nouvel album à votre goût, parfois même au moins autant que les précédents. Néanmoins gardez à l'esprit que
Jupiter est une œuvre difficile d'accès, et qu'il nécessite de nombreuses écoutes pour commencer à en apprécier les subtilités, surtout si l'on a comme moi l'image d'un Atheist idéal figée en 1991. Dans tous les cas il est impossible d'encenser véritablement ce retour d'un des piliers du techno-death, marqué par un album certes bon mais obscurci par de nombreux éléments perfectibles – d'un manque désespérant d'ambition à la durée honteuse en passant par un chant et une basse décevantes ainsi qu'un son de guitare dégoûtant – qui suffisent à rendre la note sévère au regard de la qualité intrinsèque d'un quatrième opus déjà bien meilleur que la moyenne. Bien que loin du naufrage de Pestilence,
Jupiter ne marquera définitivement pas les mémoires, car là où Cynic a réussi à évoluer en gardant la majeure partie de son identité, Atheist a laissé sur le bas côté une partie de son charme et de son âme, et laissera à coup sûr une bonne partie de tous ceux qui s'impatientaient de leur retour sur le carreau. Manque de bol, le carreau n'est plus à la mode depuis vingt ans.
12 COMMENTAIRE(S)
22/10/2017 18:21
J'aime particulièrement les soli aériens typiques du groupe.
Voilà un commentaire qui résume ma pensée.
J'ai boudé cet album a priori, mais j'ai osé franchir le pas. C'est pas si mauvais que ce que les gens en disent (comme Traced In Air, l'attente a créé des fantasmes).
J'en conçois, c'est pas aussi fougueux et créativement délicieux que les trois premiers. Mais ils sont solides sur le style Atheist : quand j'imagine ce groupe, je trouve que ces morceaux tiennent la route. On n'a pas autant de saillies de génie à la minute que sur les précédents disques, mais on passe un bon moment, et y a toujours cette rythmique caractéristique, ce style frénétique, toujours en mouvement, sans temps mort.
Puis la prod sur les guitares, au contraire je la trouve bien fichue. Le son n'a plus la même saveur, mais il se démarque tout de même du Death Metal de fin 2000 début 2010.
C'est un album solidement campé, mais sans regard neuf.
02/04/2011 14:16
J'aime particulièrement les soli aériens typiques du groupe.
09/01/2011 02:59
Et comme je l'écrivais pas très loin d'ici "... Pour être objectif, il faudrait sûrement lui attribuer un bon 8-8.5/10. En effet il réaffirme la patte du groupe, ainsi que sa pertinence dans le paysage métallique actuel, tout en lattant sévèrement la concurrence. Mais on ne peut noter Atheist comme le groupe de death technique de la MJC du coin. Et les floridiens ont le malheur de nous avoir fait tellement de bien par le passé qu?ils sont condamnés, s?ils espèrent nous contenter à nouveau, à ne nous proposer que des ?uvres dignes des dieux de l?Olympe métallique. D?où un 7,5 passe-partout. Allez, on va parier qu?en lui laissant encore 1 ou 2 ans à mûrir dans notre platine, Jupiter finira par récolter quelques demi-points supplémentaires, le passage du temps ayant mis à jour quelques couches supplémentaires de subtilités jusqu'ici passées inaperçues de nos capteurs auditifs émoussés..."
25/11/2010 17:52
L'album est bon, mais j'avoue que c'est déconcertant tant c'est différent...
Je me demande même si on a bien écouté le même disque quand je vois toutes chroniques dithyrambiques que j'ai lu, mais qui ne signalent pas toutes les nouveautés. Perplexe.
23/11/2010 22:18
Petite précision : il n'y aurait pas le logo Atheist sur la pochette, cet album vaudrait effectivement un 7/10 selon mes critères, mais je me devais de sanctionner ma déception. Il aurait eu Tony Choy à la basse, un son de guitare correct, deux titres de plus et le Kelly des années 90, il aurait eu 8/10. Il aurait été plus prog et moins bas de plafond, il aurait eu 9/10.
Pour la durée effectivement c'est une salle habitude de Atheist qui fait que pour moi, Unquestionable Presence, si j'avais eu à le chroniquer, n'aurait eu "que" 9,5, car il reste un album plutôt immédiat et accessible, donc ayant la possibilité d'être vite consommé. Mais il y a eu 4 ans entre les 3 premiers albums du groupe, alors que depuis sa reformation qui date justement d'il y a 4 ans, on n'a eu le droit qu'à ces 32 petites minutes. Ça participe de la note volontairement sévère que je lui ai attribué.
23/11/2010 13:49
Finalement le plus révélateur c'est ce que tu écris sur Cynic. Alors que Focus donnait l'impression d'avoir 10 ans d'avance, Traced in air donne l'impression d'avoir 10 ans de retard. C'est la notre principal point de divergence, je trouve que Atheist s'en sort bien mieux.
PS: Ce n'est pas la 1ere fois que je lis que "Tortoise th Titan" est un morceau qui sort du lot, personnellement je trouve que c'est le plus faible de l'album.
22/11/2010 22:42
Atheist a toujours (sauf sur Elements ok) donné dans le metal cérébral certes, mais très condensé et presque expédié dans l'urgence (a priori... Après on se rend compte au fil des écoutes que c'est au contraire très réfléchi et carré)... Or c'est exactement ce que l'on a ici ! Alors oui la batterie groove moins mais je ne trouve pas ça dégueux, au contraire même. J'aime bien la batterie sur "Unquestionnable Presence" mais je trouve qu'elle en fait trop, que Flynn est bien trop démonstratif sur cet album et qu'il le rendait indigeste sans que ça apporte grand chose au final. Là c'est plus sobre, plus maitrisé.
En ce qui concerne la voix de Shaefer, je la trouve plus agressive et plus death... Là encore je valide (et pourtant j'avais du mal avec son timbre de voix sur les précédents méfaits du groupe justement), ça a gagné en agressivité, il descend plus souvent dans le grave, limite growl, ça ajoute de la diversité à son répertoire, pour moi c'est un progrès.
A propos des compos, je les trouve un peu plus "bas de plafond" effectivement mais ce n'est là encore pas un mal... Atheist était clairement "techno-thrash" maintenant il se rapproche du death, ça devient plus brutal, plus direct... Pourquoi pas ? Je trouve que c'est plutôt réussi (mais là encore, c'est une question de goût).
Alors oui, il reste le problème de la basse c'est vrai. On ne l'entend peut-être pas suffisamment (pas assez en avant dans le mix pour un album d'Atheist) et les lignes de cet instrument auraient méritées d'êtres plus... expressives ? Originales ? Oui sans aucun doute, mais c'est bien là le seul point faible de l'album à mon avis (avec sa durée... Mais je te rappel que "Unequestionnable Presence" avait à peu près la même durée... Seulement il était un peu "indigeste" lors des premières écoutes et je vois donc mal comment cet album aurait pu durer plus longtemps).
En revanche je te rejoins sur le fait que "Third Person" aurait gagné à s'étirer un peu plus en longueur et à jouer la carte de la fin un peu prog.
22/11/2010 18:16
22/11/2010 18:04
M'enfin il reste tout de même bien loin d'être désagréable à écouté et leur retour fait plaisir : un bon 7/10.
PS belle chro' en effet !
22/11/2010 17:13
22/11/2010 15:00
22/11/2010 14:57