Des trois premiers albums d’Atheist, c’est-à-dire de ceux qui ont vraiment comptés,
Elements est celui que j’aime le moins. Certains risquent de s’en étrangler mais c’est comme ça. J’ai découvert les Floridiens à travers la compilation
Masters Of Brutality et je reste donc particulièrement attaché à l’excellent "Your Life’s Retribution" et à l’album dont il est tiré, l’incontournable
Unquestionable Presence. De la même manière,
Piece Of Time et son côté beaucoup plus Thrashy me parle davantage. Mais rassurez-vous, ce n’est pas très grave et surtout cela ne veut pas dire que je n’apprécie pas
Elements.
Réglé comme une horloge suisse, Atheist sortira ce troisième album le 30 août 1993, deux ans jour pour jour après
Unquestionable Presence, quatre ans, là aussi jour pour jour, après
Piece Of Time. Une régularité plutôt surprenante liée dans le cas présent à cet engagement contractuel avec le label Music For Nations. Engagement qui aura ainsi contraint Kelly Shaefer à reformer Atheist dans l’urgence la plus totale. Cette reformation va alors s’accompagner de l’arrivée d’un nouveau batteur (Josh Greenbaum) mais aussi et surtout d’un troisième guitariste en la personne de Frank Emmi. Si cela peut sembler saugrenu c’est malheureusement pour faire face à quelques soucis de santés (problème de canal carpien) rencontrés par Kelly Shaefer désormais dans l’incapacité de livrer leads et autres soli mais aussi et surtout parce qu’initialement Randy Burkey n’était pas sensé participer à l’enregistrement (ce dernier avait quitté le groupe afin de reprendre ses études)... Bref, un beau micmac qui n’a pourtant pas perturbé plus que cela Atheist puisqu'
Elements aura été composé, enregistré et produit en tout juste quarante jours. Et oui, vous avez le droit de soupirer... Enfin, signalons que l’artwork est l’œuvre de Necrolord (Emperor, Dark Funeral, Dissection, Necrophobic, Sacramentum...)
Comme ses prédécesseurs,
Elements va lui aussi bénéficier d’une seconde jeunesse grâce à une réédition que l’on doit une fois de plus au label Relapse. Outre un remastering complet, celle-ci est agrémentée de six titres live enregistrés en 1992 lors du passage d’Atheist à la BBC. Pour compléter cette réédition, quelques photos d’époques ainsi que deux textes dont un de Shaefer au sujet de l’appel de Music For Nations exigeant la sortie d’un nouvel album, de cette deadline de quarante jours et de tout ce stress généré par l’écriture, l’enregistrement et la production en un temps records de ce disque inattendu.
On pourrait alors légitimement penser que toute cette précipitation visant à donner un successeur à
Unquestionable Presence aurait pu avoir un effet néfaste sur ce
Elements. Et bien c’est mal connaître Atheist qui jamais durant ces quarante et une minutes ne donne le sentiment d’être à côté de la plaque ou de ne pas avoir fait les choses avec le sens du détail qu’on leur connaît. Une fois encore, il y a de quoi être particulièrement bluffé lorsque l’on sait que ce disque a été bouclé intégralement, de la composition à la production finale en seulement quarante jours. Quarante putain de jours !
Pour autant, cet album s’éloigne quelque peu de ses prédécesseurs. Car si les Américains continuent d’emprunter ce chemin qu’ils ont eux-mêmes tracé, celui d’un Death Metal technique ultra personnel, les moyens pour y arriver ne sont plus tout à fait les mêmes ici. Pour commencer le rythme s’est subtilement assagit. Le groupe a ainsi abandonné la frénésie de ses débuts au profit d’une approche plus en retenue, élaborée essentiellement autour de rythmes jazzy complexes que l’on doit à ce nouveau batteur, Josh Greenbaum et qui transparaissent bien plus distinctement que par le passé notamment à travers plusieurs breaks disséminés ici et là. Une baisse d’intensité qui en soit ne porte pas préjudice à la qualité intrinsèque de ces compositions mais tend, en ce qui me concerne, à les rendre moins marquantes, moins immédiates. C’est là un choix audacieux de la part d’Atheist qui, sans sacrifier à son identité (bien au contraire), semble tendre vers une musique plus progressive et moins radicale. L’autre sujet de discorde concerne ces quelques sonorités salsa/latinos qui viennent ponctuer ce
Elements. Originaire de Floride, on imagine bien l’influence, même indirecte, qu’a pu avoir cette musique exotique, chaleureuse et colorée sur chaque membre du groupe et notamment Tony Choy qui lui-même est originaire de Cuba. De fait, ces ajouts semblent presque naturels et viennent apporter quelque chose de nouveau et de très différent à ce Death Metal déjà si atypique. En tous les cas, c’est suffisamment bien amené et avec ce qu’il faut de parcimonie pour que cela ne viennent pas faire tâche dans ces compositions déjà suffisamment originales et difficiles à digérer. Ce sont donc là les deux griefs retenus contre Atheist et plus précisément
Elements au moment de sa sortie (j’imagine la tête de ceux qui ont entendu "Samba Briza" pour la première fois après avoir acheté le disque...). Si les deux sont bien évidemment recevables, il n’y a bien que le premier qui chez moi justifie que cet album soit relégué en troisième position derrière ses deux prédécesseurs.
Car pour ce qui est du reste on retrouve (presque) tout ce qui faisait déjà le charme d’Atheist à commencer par un sens atypique de la composition. Qualité majeure évoquée un nombre incalculable de fois, c’est cette approche novatrice qui va faire tout le sel des Floridiens. Une originalité que le groupe continue de cultiver ici à travers des séquences, certes moins hystériques, mais non dénuées de groove et d’énergie pour autant. Entre cette basse frétillante, ces trois guitares aux mélodies enivrantes et cette batterie syncopée, difficile de résister à une telle démonstration de talent qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’a rien d’ostentatoire ni de vain. Ainsi, tout s’imbrique avec une aisance déconcertante. Ces lignes de basse au groove irrésistibles dégoulinent ainsi avec générosité sur ces riffs vifs et plus catchy qu’il n’y parait. L’ensemble est chahuté par une batterie épileptique qui, tel un électron libre, suit sa course selon ses propres envies. Tout cela pourra sembler terriblement abscons même si paradoxalement
Elements possède un côté étrangement addictif. Le talent, une fois de plus... Côté chant, on retrouve la voix éraillée et arrachée de Kelly Shaefer qui n’a pas beaucoup changé même si je la trouve tout de même un peu moins agressive qu’auparavant. Mais rien de rédhibitoire, rassurez-vous.
Les quelques titres bonus dispensés avec cette réédition sont loin d’être indispensables même si la qualité du son les rends tous particulièrement agréables à écouter. Il s’agit en effet de morceaux enregistrés lors du passage d’Atheist sur la BBC en 1992. Du live sans l’atmosphère du live en quelque sorte. Du coup, hormis quelques légères différences avec les morceaux figurant sur les deux premiers albums, il n’y a bien que les prises de paroles de Kelly Shaefer présentant ainsi chaque titre pour nous rappeler qu’il s’agit ici de prise directes dans les célèbres studios de la radio anglaise. Bref, à réserver aux fans purs et durs même si cela permet également de constater que le niveau technique est strictement le même que sur album. En cela, ces vingt minutes supplémentaires sont tout à fait impressionnantes.
Ayant rempli (haut la main) ses engagements contractuels, Atheist finira inévitablement par se séparer quelques semaines après la sortie de ce troisième album. Le pire dans toute cette histoire c’est que ces gars iront pour la plupart se perdre dans des projets sans noms, totalement inintéressants et surtout bien loin de l’excellence, de l’originalité et de l’avant-gardisme de ce groupe qui continue aujourd’hui de me subjuguer. Il faudra alors attendre dix-sept ans pour les voir revenir sur le devant de la scène avec un album jugé par la plupart en demi-teinte, le pourtant très bon
Jupiter. En attendant, s’il sera toujours sujet à discussion parmi les amateurs d’Atheist,
Elements n’en reste pas moins un album incroyable de par l’histoire qui l’a vu naître. Peu de groupe et de musiciens peuvent se targuer aujourd’hui d’avoir pondu un disque de cette qualité en un délai aussi court. On pourra alors reprocher aux Américains ce que l’on veut : une baisse de régime sensible, la mise en avant trop importante d’éléments progressifs et/ou jazz et/ou salsa..., il n’en reste pas moins que vingt-trois ans plus tard on tient là entre les mains l’un des albums les plus originaux, aventureux et pourtant cohérent enfanté par la scène Death Metal.
4 COMMENTAIRE(S)
11/05/2016 13:46
Album ajouté au dossier death tech, au passage !
30/04/2016 20:22
30/04/2016 10:36
Death - Metal qui n'en n'est plus vraiment en fait, mais un très bon disque malgré tout!
Effectivement, on s'en éloigne grandement avec ce disque qui d'ailleurs est en écoute intégrale sur Bandcamp.
29/04/2016 18:22
Death - Metal qui n'en n'est plus vraiment en fait, mais un très bon disque malgré tout!