Nous sommes en 1983, Slayer sort
Show No Mercy, Metallica sort
Kill 'Em All et ouvre pour Venom, alors au sommet de sa gloire, c'est l'apparition du thrash comme contrepoint à un heavy metal trop gentil et trop propre sur lui. C'est aussi l'année où Chuck Schuldiner, 16 ans et sept années passées à jouer de la guitare dans son garage – guitare offerte par ses parents après la mort de son grand frère quand il avait neuf ans – se décide à fonder un groupe pour faire de la musique dans la lignée de la scène européenne, Celtic Frost et Venom en tête. Il le nommera Mantas, en hommage au guitariste des Anglais qui est alors une de ses grandes influences avec Kiss et Iron Maiden. Il s'entoure bien vite de jeunes Floridiens qu'il connaît depuis quelques temps, à savoir Kam Lee au chant et à la batterie, et Rick Rozz à la guitare (oui, il n'y a pas de bassiste, mais après tout ils n'ont jamais servi à rien), et sortent quelques cassettes de répétitions, un live, et finalement une démo nommée
Death by Metal en 1984 – contenant d'ailleurs une version live de « Evil Dead » – peu de temps avant que le groupe ne change de nom pour prendre celui que l'on connaît tous : Death. Occasion de changer de style pour une musique plus extrême et radicale, mais aussi occasion de changer de look, tant il est vrai qu'à l'époque ces jeunes metalleux toujours mineurs ressemblaient à
un pastiche version punk de Grandmaster Flash
Et puis vint en 1985 ce qui à l'époque était une première dans l'histoire du groupe, mais sera loin d'être une dernière : Chuck Schuldiner, du haut de ses 18 ans, se brouille avec ses deux comparses et, devant l'impossibilité de trouver quelqu'un pour jouer quiconque veuille jouer ce qu'il appelle du « brutal death metal » en Floride, part chercher des musiciens en Californie, où il fera la rencontre des membres de Possessed, probablement le premier groupe de death metal de l'histoire, et sans nul doute le plus technique de l'époque. C'est un choc pour Schuldiner, qui comprend ce vers quoi il souhaite aller et fait tout pour s'améliorer techniquement et chercher des musiciens compétents. Il ne rencontrera au final que Chris Reifert, un bon batteur qui lui permettra de s'appuyer sur sa rythmique soutenue pour jouer la carte de la brutalité avec efficacité. Il passera deux ans en Californie, le temps d'être estomaqué par
Seven Churches et
Beyond The Gates ; il se met alors à composer de manière un peu plus fine, toujours à l'oreille et au feeling mais sans négliger ce que peut apporter la technique et la mélodie, ce qui donnera naissance à quelques riffs d'anthologie, comme celui de « Zombie Ritual » dont l'intro n'est d'ailleurs pas sans rappeler Possessed. En 1985 une nouvelle démo voit le jour, intitulée
Back From The Dead, comme un message destiné à tous ceux qui voyaient le groupe enterré, puis après la rencontre avec Reifert, Death enregistrera une dernière démo,
Mutilation en 1986 qui permettra au groupe d'être signé.
C'est donc en 1987 et fort d'un deal avec Combat Records que le duo qu'est alors Death sortira son premier album,
Scream Bloody Gore, à l'imagerie inspirée de films gore (sans blague ?) et d'autres archétypes de l'horreur contemporaine, la pochette désormais culte étant déjà signée Ed Repka. C'était puéril, mais ça n'a pas empêché toute une frange du death metal de s'engouffrer dans la brêche quelques années plus tard (Cannibal Corpse en tête), et c'est pour ça que l'on se trouve aujourd'hui encore avec des groupes au patronyme proche de « Cannibalistic Zombie Guts » et autres joyeusetés qui font peur à la ménagère moyenne. Combat Records imposera que l'album fasse dix titres au lieu de douze, ce qui aura pour effet de laisser deux anciens titres sur le carreau, à savoir « Beyond The Unholy Grave » et « Land Of No Return » qui seront toutefois présents sur de futures rééditions. Il fût même enregistré une seconde fois à Los Angeles, l'enregistrement original des guitares et de la batterie fait en Floride n'ayant pas satisfait le label. Qu'importe, Death est déjà une figure majeure de l'underground, et le succès sera immédiat, même si – et c'est encore une constante dans la carrière du groupe – les bénéfices engendrés iront bien moins au duo que Chuck ne l'aurait voulu. De l'époque Kam Lee demeureront tout de même « Infernal Death », « Baptized In Blood » et « Evil Dead », titres datant de 1983 à 1985, le reste étant tiré des deux démos sus-citées. Ce sont de vieux titres oui, car en 1987 et avant même que
Scream Bloody Gore, Chuck a déjà écrit plus de la moitié d'un
Leprosy bien plus évolué musicalement...
Sans surprise l'album est primaire, quasi-exclusivement orienté sur une rythmique très efficace mais schématiquement identique d'un titre à l'autre à quelques exceptions près, ce qui explique les ressemblances qu'il peut exister entre les différents titres. On y retrouve pourtant quelques ovnis comme un « Zombie Ritual » étonnamment mélodique et bien construit qui restera très vite le seul titre de l'album encore joué en live, ou bien encore sur les rééditions le début de « Land Of No Return » qui a du inspirer un Morbid Angel qui en était encore au stade des démos.
Déjà les compositions comportent quelques moments de bravoure qui annoncent la tournure de
Leprosy comme l'enchaînement refrain/chorus de l'excellent « Baptized In Blood » qui a du faire tourner la tête de quelques guitaristes à l'époque ! Chuck savait déjà trouver la mélodie mémorable sur ses refrains et surtout construire intelligemment et patiemment ses riffs, et comme y ajouter des arrangements était à l'époque impensable, il se contentait d'y accoler une rythmique primaire et de s'époumoner sur des paroles qui ne le sont pas moins. On se retrouve donc avec des titres comme « Zombie Ritual » ou « Torn To Pieces » où la phrase mélodique principale pourrait sans problème être transposée à un album de Death postérieur, mais que la bestialité qui était alors le maître mot de Schuldiner rabaissait à un simple rouleau compresseur, d'autant plus efficace qu'il était accrocheur car déjà à l'époque les titres gagnaient en intensité au fur et à mesure de leur déroulement. Côté technique ce n'était pas du niveau de Possessed, et ce n'était certes pas le but recherché, mais le solo de « Scream Bloody Gore » par exemple s'avèrera être très maîtrisé, bien qu'en comparaison des futurs essais de Chuck il ne paraîtra guère être qu'une accroche, un préambule à un développement qui jamais ne viendra. Pourtant chaque titre et même chaque riff fait mouche, ne laissant aucun répit à un auditeur ravi de se trouver embarqué dans cette débauche furieuse qui jamais ne baissera en qualité, sans toutefois atteindre les sommets du génie. Pas encore, mais ça ne saurait tarder.
Scream Bloody Gore est un album qui aura marqué l'histoire, non pas tant pour ses qualités musicales qui sont certes indéniables, mais surtout par sa précocité et son optique inédite de brutalité et de sauvagerie maîtrisée, qui en font sûrement le premier album de brutal death de l'histoire. Évidemment, si on le compare à ses successeurs il fait un peu pâle figure,
Spiritual Healing étant un cran au dessus, et
Leprosy aisément deux crans tant il fait figure de progrès sur tous les plans. Il n'empêche qu'il reste une référence en matière de brutalité et de rapidité dans la scène death old-school, et qu'un titre comme « Evil Dead » n'aura besoin que de Tony Laureano pour sonner comme du brutal death quand God Dethroned le reprendra en 2001 sur l'excellent
Ravenous. Si Death a marqué l'histoire c'est avant tout parce que Chuck avait compris qu'on pouvait faire du death metal tout en conservant une approche musicale et le raffinement même dans la brutalité. Il s'offusquera d'ailleurs souvent qu'on compare son groupe à la scène noise, puisqu'une pareille déferlante de haine n'était évidemment pas une chose facile à appréhender pour le public à l'époque où c'était encore Sodom le groupe le plus brutal de la planète. Presque vingt-cinq ans plus tard, on peut sans peine le ranger dans la catégorie des meilleurs albums de death old-school qui furent réalisés, bien qu'il faille marquer la différence avec ses deux successeurs, largement considérés comme les meilleures œuvres qui soient dans le style. Évidemment la parenthèse californienne ne durera pas, Chuck Schuldiner déclarant que la scène death metal de la région était pratiquement morte-née, il rentrera donc en Floride en proposant à Reifert de le rejoindre, ce qu'il refusa. Réconcilié (pour un temps) avec Rick Rozz, il embauchera les deux ex-Massacre (que Kam Lee avait rejoints...) que sont Terry Butler et Bill Andrews, et il lui fallut peu de temps pour propulser Death sur orbite avec le génial
Leprosy.
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