On ne le dira jamais assez, 1993 fût sans doute la plus belle année de l'histoire du metal extrême, et si je ne devais sélectionner qu'un seul album à retenir de ces cinquante deux semaines, ce serait sans le moindre doute
Individual Thought Patterns. Pourtant, si 1993 a été une grande année pour Death, 1992 a été une année absolument horrible. Fort du succès commercial sans précédent de
"Human" (Death technique) de Death">
Human, le groupe est parti en tournée européenne de début janvier à fin mars, épaulé par Pestilence. Au début pas de problèmes apparents, et le public aura même l'occasion de voir quelques prestations de Cynic à l'improviste puisque Tony Choy était encore dans le groupe à l'époque et qu'il épaulait Pestilence en tournée. C'était sans compter sur une brouille avec les Hollandais qui les éjectera de la tournée (Mameli en tirera une rancoeur éternelle et Chuck écrira le titre « Jealousy » à son propos) et une autre avec le manager de l'époque, Eric Greif, pour une dette impayée de 14000 dollars envers la société de tour bus, ce qui avortera la tournée de deux semaines. De retour aux États Unis, Schuldiner prend le temps d'attaquer celui qu'il pensait responsable de la mascarade, et obtient finalement le retour du matériel musical du groupe, bloqué en Europe pendant cinq mois jusqu'à ce que la dette fût épongée. Ce délai retarda d'autant la sortie de
Focus, ce qui laissait penser à Chuck que Sean Reinert serait à nouveau de la partie pour le cinquième album de Death. Hélas il déclina l'invitation pour se concentrer sur Cynic, c'est donc Gene Hoglan, ayant quitté Dark Angel (qui n'était pourtant pas en bons termes avec Death auparavant), qui devint le batteur attitré du groupe pendant presque trois ans. Steve DiGiorgio fût rappelé, lui qui était retourné chez Sadus sans participer aux trois tournées de
"Human" (Death technique) de Death">
Human. Paul Masvidal pour sa part avait déjà fait ses valises et Chuck, en bon fan de heavy metal et notamment de King Diamond, s'est décidé à travailler avec un guitariste qu'il admirait beaucoup : le formidable Andy LaRocque, dont le travail sur
Individual Thought Patterns allait rentrer dans l'histoire.
Déjà à l'époque Schuldiner songeait à un nouveau projet, plus heavy metal et qui aurait un véritable chant clair – il pensait alors engager Christian Augustin, ancien chanteur des Français de Sortilège ! Ce qui ne s'appelait pas encore Control Denied et ne se réalisera qu'en 1996 trottera dans la tête de Chuck pendant des années, influençant largement la seconde période de Death, qui évoluera toujours plus vers une musique progressive et complexe. Les obtus et autres sourds et malentendants avaient déjà crié au scandale devant
"Human" (Death technique) de Death">
Human, bien trop difficile d'accès pour eux, sans se douter que Death venait d'établir le standard d'un genre qui se façonnerait à son image pendant plus de vingt ans. Avec
Individual Thought Patterns, Death va encore plus loin en créant l'archétype de l'album de death technique, aux compositions moins brutales mais aux riffs plus complexes pour des mélodies toujours plus mémorables, tout en conservant le dynamisme du death metal classique. Sans faire dans la surenchère de technique, cet album marque un tournant, une étape franchie dans l'histoire du style, puisque là où Pestilence et Nocturnus étaient encore très binaires dans leur approche, que Atheist avait pratiquement délaissé toute agressivité depuis
Unquestionnable Presence et que Cynic n'avait pas encore sorti l'album le plus difficile d'accès d'un genre qu'il transcendait largement,
Individual Thought Patterns s'est imposé comme un album de death metal tout à la fois agressif, mélodique, au groove typique du groupe, avec des passages véritablement complexes sans pour autant être hermétiques une seule seconde.
Si ce n'est la polyrythmie du début de « Jealousy » il n'est en effet rien qui soit particulièrement traître pour l'amateur de death metal, qui trouvera aisément ses repères sur des compositions dont le rythme comme les mélodies ne sont pas le fruit d'un intense brainstorming sur l'agencement des mesures ou le développement harmonique adéquat. Dans le prolongement logique de
"Human" (Death technique) de Death">
Human, c'est l'apparition d'un death qui s'avère simplement être technique, là où ce qu'on appelait à l'époque techno-death était bien moins immédiat et beaucoup plus travaillé sur un plan théorique. L'efficacité des titres et la beauté des mélodies prime sur tout le reste, qu'importe la manière qui en l'occurrence se traduit par des riffs très aériens, des placements atypiques quoique toujours naturels, et surtout une liberté totale dans les parties de basse, de batterie ou dans l'ajout de leads qui permet d'apporter une richesse incroyable à la palette de Death. Quand vous pensez à
Individual Thought Patterns, vous pensez aux accentuations du jeu de cymbales de Gene Hoglan, aux divins slides de Steve DiGiorgio, aux solos de Andy LaRocque qui embrassent si merveilleusement la dynamique des compositions, ou encore aux vibrants tappings de Chuck Schuldiner, dont le placement vocal demeure inégalé. Et pourtant vous headbanguez en rythme, parce que contrairement à
The Sound Of Perseverance la structure des titres est encore à l'époque très classique. C'est une optique qui influencera très largement les groupes de death technique du vingt-et-unième siècle, Quo Vadis et Obscura en tête.
Quand on demande à Schuldiner s'il comprend les réactions de désapprobation qui se sont élevées après le virage technique entamé par
"Human" (Death technique) de Death">
Human, il répond simplement :
« Well, if people felt that way, they're listening to music that they shouldn't be listening to. Death is not a limited band where I want the same, simple beat through everything. […] And to say being technical isn't proper in this type of band, I just think that's a narrow-minded statement. It's coming from someone who doesn't understand my direction. They don't have to like it. But if you really wanna get into the reasoning of it, Death isn't a band that I want to limit, let's put it that way. »
Cette volonté de ne pas limiter Death se fait ressentir tout au long de
Individual Thought Patterns, dès les premières notes d'un « Overactive Imagination » qui malgré son efficacité redoutable tranche singulièrement avec le rouleau compresseur qu'était
"Human" (Death technique) de Death">
Human grâce aux patterns changeants de Hoglan qui feront plus tard le bonheur des amateurs de Strapping Young Lad, et à un Steve DiGiorgio qui livre la meilleure prestation de sa carrière. Évidemment, personne n'a eu à redire sur les compositions, Chuck ayant tout écrit ou presque avant d'engager ses acolytes, et comme d'habitude c'est surtout le second guitariste qui en fait les frais, puisque Andy LaRocque n'aura l'occasion de composer que quatre solos. Mais quels solos ! S'il ne fallait en retenir qu'un seul dans l'histoire du metal entier ce serait sans l'ombre d'un doute celui de « Trapped In A Corner », dont l'inspiration divine relèguerait presque ses prestations chez King Diamond au rang d'anecdote : épousant parfaitement la structure du morceau, il pave la route d'autant de notes aussi aériennes que sublimes pour aller tutoyer la perfection, laissant un Schuldiner galvanisé prendre le relais dans un déluge de tapping qui résonne encore aux oreilles de tous ceux qui ont eu la chance d'écouter ce travail d'orfèvre. Sur le plan musical
Individual Thought Patterns demeure le seul album de Death dans lequel il n'y ait pas une seule petite imperfection : chaque titre de l'énergique « Overactive Imagination » à l'hymne « The Philosopher », tout de A à Z y est touché par cette grâce indescriptible qui démarque les rares œuvres irréprochables des simples chefs d'œuvre. Évidemment, Schuldiner n'est pas subitement devenu un grand écrivain, et quelques uns peuvent encore reprocher le manque de travail littéraire sur un titre comme « The Philosopher » ; ce serait pourtant bien vite oublier que le rythme des textes est en parfaite adéquation avec la musique, toujours avec ce placement si atypique et ces phrasés qui s'allongent pour se caler parfaitement dans les temps, là où d'autres se contentent encore de débiter les vocaux en cadence comme à l'armée.
Il est toutefois impossible de critiquer sérieusement un album aussi parfait que
Individual Thought Patterns sans évoquer ce qui est considéré comme son principal défaut (son unique oserais-je même dire), à savoir sa production. Si le Morrisound est un studio à la réputation légendaire, c'est sans doute plus par le travail de Jim Morris que par celui de Scott Burns, dont les productions sont perfectibles là où celle de
Symbolic et celle de
The Sound Of Perseverance ne souffrent aucune critique. Pourtant le principal défaut de la production de
"Human" (Death technique) de Death">
Human s'est vu corrigé, et la basse de Steve DiGiorgio est devenue omniprésente, même pendant les rythmiques où son impact demeure palpable malgré une ligne de conduite souvent proche de celle des guitares. Scott Burns a bel et bien réussi à rendre tous les instruments et tous les éléments de la batterie parfaitement audibles à tout instant, et c'est déjà une prouesse que peu de producteurs actuels parviennent à répéter. On ne peut pour autant pas nier que Jim Morris apportera aux futures productions des albums de Death un élément essentiel : l'espacement.
Individual Thought Patterns est un album qui sonne sûrement aujourd'hui aux néophytes comme étouffé et très compact là où
Symbolic occupera tout l'espace sonore disponible et paraîtra plus naturel. C'est le genre de détail qui date instantanément un album et le fait vieillir plus qu'il ne devrait, alors que
The Sound Of Perseverance pourrait sortir dans dix ans sans que l'on s'en rende compte.
Et malgré cela, je le clame haut et fort, cette production sied parfaitement à
Individual Thought Patterns, non pas parce qu'elle l'ancre définitivement en 1993, mais bien parce qu'elle est à l'image de ses compositions : sèche, rugueuse, mais d'un équilibre qui touche à la perfection. Quand on connaît le jeu extrêmement tendu de Schuldiner, son style de composition qui repose avant tout sur le dynamisme et la progression, on peine à s'imaginer cet album avec un grain sonore différent qui nuirait à la lisibilité de l'ensemble.
Oui, mais quand on s'appelle Alan Douches, qu'on est le producteur à la mode et que Eric Greif, détenteur des droits de l'œuvre de Chuck depuis sa mort, vous appelle pour essayer de rajeunir le son d'un groupe largement oublié par la nouvelle génération de metalleux, on ne peine pas trop à augmenter le volume des basses au maximum. Volonté mercantile ou hommage aux dix ans de la disparition d'un génie, je vous laisse seul juge, mais encore plus que pour
"Human" (Death technique) de Death">
Human, Douches a complètement défiguré le son de l'album, bien plus étouffé que l'original mais bien moins défini car noyé sous trois tonnes de basses dégueulasses qui empiètent énormément sur les médiums et noient donc les détails des guitares et de la batterie dans une masse informe de graves. Et le pire c'est qu'à moins de l'écouter au casque, la basse de DiGiorgio n'est pas plus audible qu'avant, elle l'est au contraire moins ! Un véritable massacre en règle qui rompt le fragile équilibre de la production originale, à tel point qu'une bonne partie des fans sur facebook ont renommé l'assassin Alan Douchebag. Pour un roi de l'artificiel et du m'as-tu-vu, c'est mérité.
Alors certes, cette réédition parue en octobre comporte aussi, et l'initiative est très louable, l'enregistrement live de la deuxième date à Berlin lors de la tournée européenne de 1993, avec pour une fois Steve DiGiorgio dans le line-up. Et quel bonheur que d'entendre des titres qui ne sont pas présents sur les lives officiels du groupe comme
« Leprosy », « Living Monstrosity », « Within The Mind » ou « In Human Form ». Les compositions des trois premiers albums sont d'ailleurs transfigurées par l'apport de Hoglan et DiGiorgio qui rompent avec la monotonie de la section rythmique de l'époque, et c'est une sensation orgasmique que d'écouter le génial « Living Monstrostiy » avec tant d'ajouts rythmiques comme mélodiques. En fait le seul véritable défaut de ce live, et il est de taille, c'est d'avoir été enregistré en automne, alors que Ralph Santolla n'était plus disponible. Et... comment dire ? Ah oui voilà j'ai trouvé : Craig Locicero, à l'époque dans Forbidden, est une insulte à James Murphy, Paul Masvidal et Andy LaRocque, voire à quiconque sait jouer un solo correct. S'il tient la route rythmiquement malgré quelques pains et quelques fausses notes, c'est quand j'ai entendu ses solos que j'ai eu envie de le retrouver et du lui envoyer toute la discographie d'Anthrax par la Poste comme châtiment (oui, c'est bien pire que la substance pathogène). Inutile de dire que le duel de « Living Monstrosity » y perd toute sa saveur, et qu'il est bien incapable de reproduire la moindre note du solo de « Flattening Of Emotions ». Mais le bouquet est atteint sur « Trapped In A Corner », où l'infâme engeance du démon se met à faire des... chromatismes. Oui, vous savez, cet exercice d'échauffement si utile. Putain, autant engager Michael Angelo Batio, même s'il ne sait faire que ça, lui au moins les exercices d'échauffement il les joue correctement. C'est d'autant plus dommage car, même si comme d'habitude Schuldiner n'est pas irréprochable en live, la prestation du reste du groupe comme la set list sont de qualité.
On ne sera véritablement conquis que par la présence de la reprise de Possessed faite en studio sur cette nouvelle réédition à la fois totalement dispensable et regorgeant de choix absurdes, en remerciant bien fort Eric Greif de faire la chasse aux bootlegs de bonne qualité tout en nous refilant un concert de la seule tournée de Death où le second guitariste était un branquignole. Le
Individual Thought Patterns original est parfait et se suffit largement à lui même, même si la version de Relapse intéressera les collectionneurs. Par pitié, ne commencez pas par écouter le meilleur album de la discographie de Death avec cette réédition, au risque de vous faire l'oreille sur une version dénaturée, dont les détails qui font tout le génie de ces presque quarante minutes seront effacés par une production exclusivement destinée à un public de jeunes attirés par cette débilité qu'ils nomment « le gros son ». Chuck Schuldiner regrettait en 1993 que son album ne sorte qu'en CD, dont il jugeait le son trop artificiel et froid, et a du se rabattre sur le marché européen pour se procurer un vynil ! Mais il était très satisfait de la production de l'époque, et tout véritable amateur de Death devrait l'être également, car ce n'est pas par la nature du son que l'impact des titres se fait ressentir. C'est au contraire par la qualité des compositions d'un homme qui avait compris que c'est par le rythme et la mélodie aussi bien que par une intensité évolutive qu'on marque l'auditeur. Death est alors au milieu de la période la plus appréciée par les fans du groupe, et Chuck Schuldiner se tiendra à la philosophie qui lui est chère pour
Symbolic : ne jamais sortir deux fois le même album. Délaissant les contrées de ce nouveau type de death technique qu'il venait d'inventer, il s'aventurera sur des terres plus intimistes deux ans plus tard, en proposant une musique plus simple mais tout aussi travaillée. Si par malheur je devais m'échouer en Seine Saint Denis ou dans toute autre zone hostile (comme une île déserte) en ne pouvant emporter qu'un seul album, ce serait définitivement celui-là.
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo