Sacré Ed Repka. Après les goules rigolardes de
"Scream Bloody Gore" et les sclérosés de
"Leprosy", il ne fait définitivement pas bon figurer en couverture d'un album de DEATH ! J'en veux pour preuve ce malheureux en chaise roulante, cerné par une horde de fanatiques armés de leur bêtise et de la sainte Bible. Et une cartouche pour la religion, une ! Un artwork fameux à tirer en 666 exemplaires et à distribuer aux culs bénis du quartier au sortir de la messe, un poste sur l'épaule crachant "Send Me Your Money" de ce bon vieux Cyco Mike. Et si ça ne suffit pas à convertir à l'euro et au early days death metal tous ces cerveaux infectés par Clo Clo et Michel "vivement le caveau" Drucker, faîtes donc tourner "Spiritual Healing", troisième offrande de la bande à Chuck Schuldiner (
ou plutôt devrait-on dire Chuck Schuldiner's Band ?) après un
"Leprosy" définitif et sauvage, désigné d'office comme nouvelle référence d'un genre en pleine expansion.
En effet si quelqu'un a bien tous les atouts pour ramener des brebis égarées - scouts d'Europe acnéiques ou vieilles chouettes anti-avortements non déflorées -, vers la Sainte Chapelle Death Metal, c'est bien le Padre Schuldiner. Il y a d'ailleurs mis les moyens sur ce nouvel Epitre de St Chuck aux Thrashistins. Par exemple, prenez les messes rugueuses données jadis dans l'aspérité sonore de chapelles oubliées au milieu des catacombes: elles ont été avantageusement remplacées par de fiers offices, bien plus aérés, célébrés dans la nef majestueuse d'un édifice aux dimensions impressionnantes. On y respire bien mieux, et on n'a plus peur de tomber sur une face de raie en décomposition en disant bonjour à son voisin de travée. Et côté missels, c'est le grand nettoyage de printemps: afin de mieux interpeller le paroissien, les sujets traitant du savoir-vivre en société zombie, ou les recettes de viscères au jus de lépreux mort-né ont été abandonnées. L'heure est aux choses graves, on parle maintenant avortement, drogues, autant de sujets qui parlent aux ouailles en quête de rédemption. Pour continuer dans la rénovation, exit les enfants de cœur qui pouffent pendant l'eucharistie: Rick Rozz retourne perpétrer des massacres dans l'au-delà. Enter James Murphy, mercenaire du prêche soliste qui répandra par la suite la bonne parole en la paroisse de St
OBITUARY et qui participera à l'écriture du nouveau
TESTAMENT. Tricoteur de soli divins, James épaule le père Chuck dans ses homélies, entremêlant ses fabuleux hosannas aux divins alléluias de son patron. Enfin, là où la différence avec le prédicateur myspacien de base est la plus flagrante, c'est qu'au cours des 8 psaumes immortalisés sur ce 3e album, Chuck se fait véritablement l'intermédiaire terrestre de la parole divine: c'est le doigt de Dieu qui nous chatouille les tripes sur la superbe décélération à 1:44 sur « Altering The Future », ainsi que sur le 2e solo, à 2:27. On s'assied à la droite du grand barbu sur l'accélération libératrice, à 1:11, dans « Defensive Personalities ». C'est touché par la grâce que l'on accueille le lead débutant « Spiritual Healing », et on prend alors conscience de la toute puissance divine, à 3:30, sur le tricotage guitaristique amenant le refrain du même morceau. Sans cesse, encore et encore - à 0:44 sur « Low Life », quand s'abat le glaive céleste, ou sur la décélération dantesque à 1:50, dans « Killing Spree » -, écrasés sous la déferlante, on comprend que Chuck prend directement ses ordres de là-haut. Et y a pas à tortiller, ce genre d'évangélisation rendrait la foi au plus désabusé des chroniqueurs préparant un dossier sur les bootlegs biélorusses de
LIMP BIZKIT.
Confessons toutefois quelques failles dans l'édifice qui, s'il figure en bonne place dans le reliquaire du old school, n'en reste pas moins bâti sur une base rythmique ayant subi les ravages du temps. Comme le Palais des Doges, le drumming de Bill Andrews menace d'être englouti par la marée montante de la modernité death métallique. Et au risque d'être excommunié de la mission Thrashocore, "Spiritual Healing" est même l'album de DEATH qui a le plus mal vieilli, ce dernier n'ayant ni la spontanéité de
"Scream Bloody Gore", ni la férocité barbare de
"Leprosy". Si les velléités techniques du duo Schuldiner/Murphy permettent aux compositions de franchir un cap, c'est souvent au détriment de la puissance pure qui animait les "Zombie Ritual", "Born Dead" et autres "Pull the Plug". Evidemment, les duels incessants que se livrent les deux génies de la six cordes sont du pain béni pour les amateurs de solis, et le port de la soutane n'a pas tout à fait permis à DEATH d'enfouir sa part de bestialité ; le riff sentencieux de "Living Monstruosity" (réminiscence de "Back From the Dead" et la démo du même nom - 1985), le riff défouloir à 3:18 sur "Altering the Future" et la reprise en main très sèche du monstrueux final "Killing Spree" sont autant de pulsions prédatrices à l'encontre des petits chanteurs en bois de cagette. Chacun sa croix, et DEATH fera le bon choix en renvoyant six pieds sous terre la paire Butler/Andrews, vraiment à la ramasse sur un "Defensive Personalities" qui aurait mérité meilleur traitement.
Album de la transition donc (
oui, « album de la transsubstantiation », ça aurait pu le faire pour continuer à filer la métaphore musico-cléricale, mais je sais pas vous, je trouvais que ça pesait un peu sur l'estomac), « Spiritual Healing » n'en reste pas moins, malgré ses quelques imperfections, un album majeur (
comme la quasi-totalité des encycliques émanant de Sa Sainteté Chucky d'ailleurs). La question bassement matérielle de la notation devant malgré tout être prise en considération, nous choisirons de marquer le coup en amputant cette offrande de quelques menus points, ceci non pas pour dé-légendariser (
ou dé-cultiser si vous préférez, ou dé-c'tebombej'vousjure-iser) l'album et le ramener au niveau du bon dernier album de metalcore sorti le mois dernier, mais pour marquer la différence avec ses consoeurs Schuldineriennes. Maintenant, la messe est dite. Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, Titine, Tonton Henri, pauvres pêcheurs: allez dans la paix du riff, et que le Dieu du metal vous accorde sa miséri-6cordes.
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