Voilà quelques années que le brutal death italien s'est réveillé et a décidé de contester au continent américain sa suprématie en jouant la carte du death façon marteau piqueur, qui ne s'arrête de blaster que pour blaster un peu plus sur un tempo plus élevé. Après Hour Of Penance, Fleshgod Apocalypse et dans une moindre mesure Septycal Gorge, ce sont les vétérans de Antropofagus qui ont décidé de se rappeler à notre bon souvenir, même si tout comme Keyser l'avait dit en chroniquant le
Split Torso Trauma, ces Italiens là n'étaient jusqu'à présent pas parvenus dans nos contrées, malgré un pedigree étincelant puisque le guitariste/vocaliste d'origine, qui a depuis quitté le groupe, est un des piliers des excellents Spite Extreme Wing, et que le nouveau batteur s'est illustré chez Septycal Gorge (et Putridity également, ce qui est moins glorieux). Bref, treize ans après leur premier album et un an après deux titres sur ce split, dont un (« Eternity To Devour ») est repris ici, ce sont (seulement) 34 minutes de brutal death vraiment brutal que les Italiens proposent, avec un brio qu'on avait plus entendu en cette contrée pleine de mafieux et de cafards géants (ceci n'est pas un pléonasme) depuis les débuts de Hour Of Penance.
Antropofagus pratique un brutal death façon « stop and go » proche de l'école sud américaine, avec très peu de trémolo mais énormément de variations rythmiques, même si le tempo demeure souvent très haut. On croirait par moments entendre un Hour Of Penance période
Pageantry For Martyrs, croisé avec Internal Suffering – période
Choronzonic Force Domination, car les gravity blasts sont en place – et du Deeds Of Flesh. Le groupe n'hésite pas à respecter les codes en ralentissant parfois, et en ponctuant ses riffs d'harmoniques sifflées comme sur « Eternity To Devour », mais l'accalmie dure rarement plus d'une trentaine de secondes, hormis pour « Det Helgerån Av Häxor » (ne me demandez pas comment ça se prononce) qui est le mid-tempo de l'album, avec ses 85 bpm de lourdeur sur fond de samples assez proches des premiers Nile. La majorité des riffs est rapide sans toutefois impressionner, même si quelques fulgurances flirtent allègrement avec le 270 bpm, voire le 280 bpm. L'impression de vitesse qui s'en dégage varie constamment du fait de l'utilisation de triolets et autres joyeusetés rythmiques qui évoquent un concerto de lapins Duracell déréglés alimentés à l'uranium enrichi. C'est souvent techniquement impressionnant (les sweeps au début de « Demise Of The Carnal Principle »), mais la seule vitesse suffit à impressionner sans que les musiciens ne cherchent à faire d’esbroufe, ce qui donne à
Architecture Of Lust un aspect authentique et respectueux du véritable brutal death, car si Antropofagus ralentit assez souvent dans sa deuxième moitié d'album, c'est avec suffisamment de bon goût pour ne jamais tomber dans la bassesse du slam death pour abrutis congénitaux. On ne peut que louer ces ralentissements maîtrisés, teintés d'énergie et non dénués de quelques mélodies intéressantes, même si on regrettera que la deuxième moitié de l'album ralentisse un peu trop.
Ainsi un titre comme « Sadistic Illusive Puritanism », malgré une majorité de riffs très rapides, ne parvient pas à avoir un impact aussi important que les premiers brûlots de
Architecture Of Lust, et c'est dommage car on notera souvent d'excellents riffs (le refrain de « The Lament Configuration », l'intro de « Exposition Of Deformities ») dans les moments les plus furieux de cette seconde œuvre des Italiens. Son principal défaut vient du manque de diversité de ces 34 minutes qui, par là même, s'avèrent être une durée tout à fait raisonnable pour endurer ce blast continu. La grande répétitivité des compositions ne permet pas de distinguer de tube particulier, et les structures changeantes et leur relatif manque d'accroche font qu'il sera difficile de se remémorer ne serait-ce qu'une poignée de riffs. Ce n'est pas là l'intérêt du brutal death d'Antropofagus qui de toute façon n'est qu'un rouleau compresseur éphémère dont l'auditeur ne retiendra qu'une brutalité exacerbée et non les mélodies pourtant assez intéressantes qu'elle renferme. Et c'est là sans doute la plus grande marge de progression de ce groupe de vétérans, qui ferait bien de mélanger son style stop and go avec quelques riffs plus linéaires, mais aussi plus efficaces, et ralentir un peu moins son propos afin d'exacerber encore plus ses nombreuses qualités. Si une certaine monotonie s'installe assez vite,
Architecture Of Lust n'ennuie pas pour autant, et, mieux encore, il ne lasse pas au fil des écoutes. Un peu à la manière d'un Reciprocal ou d'un Internal Suffering, Antropofagus fait partie de ces groupes dont on tolère volontiers les imperfections pour embrasser un déluge musical furieux avec bonheur, car leur brutalité surpasse sans problème celles de la majorité des groupes de brutal death actuels.
Avec
Architecture Of Lust, Antropofagus livre un album de brutal death véritablement impressionnant, porté par d'excellents musiciens – surtout un batteur au jeu agréablement varié – et des compositions changeantes qui ne tombent jamais dans un excès de facilité ou de complexité. Même si un début d'album plus rapide et brutal que la fin me fait penser qu'il aurait pu être encore meilleur s'il était resté à 260 bpm de moyenne, je ne peux cacher ma joie de retrouver enfin un groupe de brutal death classique qui demeure en permanence dans un ton juste et ne cède pas aux sirènes immondes du slam death qui semble devenir cher à Comatose. Tout dans cet album, des vocaux qui sont un modèle de growl permanent de haute qualité, à la production claire et puissante (malgré une relative absence de la basse dans le mix final), ne peut que ravir l'amateur de brutal death qui trouvera là un des meilleurs albums de l'année. Il faut maintenant espérer que le temps n'ait pas d'emprise sur les Italiens et qu'ils persévéreront dans cette voie d'une grande justesse, en ralentissant peut être un peu moins. Car le blast est addictif, et appelle encore plus de blast. Alors la prochaine fois, au lieu d'aller vous fournir chez vos Colombiens habituels, pensez aux Italiens.
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