Toujours la même épreuve de parler d’Ataraxie. Difficile de trouver quelque chose de relativement cohérent à écrire sur cette musique cadrée et personnelle, extrême et limpide, pleine de folie et pourtant austère. Les auteurs d’
Anhédonie font en effet partie de ces entités françaises indéfinissables du George Abitbol Metal, celles classieuses et mystérieuses hurlant à un monde de merde. A la manière d’Eibon et Dirge, les Français ont toujours su s’échapper d’influences immédiatement lisibles pour laisser gêné quand vient l’heure d’expliquer le pourquoi du comment. Particulièrement quand le comment est
L’Être et la Nausée.
Car ce nouvel essai est certainement ce qu’Ataraxie a créé de plus jusqu’au-boutiste, suivant le pas du jumeau Funeralium et ses tortures infligées sur
Deceived Idealism par un doom/death tirant parfois plus vers le second que le premier. Côté nausée, il y a de quoi faire dans ses phases death bileuses à l’image de « Dread The Villains » et ses dix minutes laissant peu de place aux tempos lents auxquels la troupe du Marquis nous avait habitués. Les Rouennais n’ont clairement pas mis de l’eau dans leur vin, prenant à contre-pied les personnes imaginant un successeur au tortueux
Anhédonie allant davantage vers une musique mélodieuse. En lieux et place,
L’Être et la Nausée s’impose comme un album plus avancée en âge et expérience, remplaçant l’atmosphère issue de la « charogne 1900 » de son prédécesseur par une crise existentialiste empruntée à Sartre, où s’amoncellent des guitares architecturales et s’étendant à perte de vue.
Et pourtant, Ataraxie paraît pour la première fois être d’une immédiateté, d’une simplicité, confondante, ses sautes d’humeur entre dégoût et affliction semblant moins abruptes qu’autrefois. Côté être, peu de choses ont changé (au-delà d’une optique plus death metal) : les Français composent toujours dans la souffrance et le temps long des morceaux évoluant dans la souffrance et le temps long. Seulement, ils sont allés moins vers l’orfèvrerie qu’on leur connait et plus vers cette fluidité dans la rigueur décelable dans le dernier Funeralium.
On touche ici au souci principal que me pose ce double-disque.
L’Être et la Nausée est une œuvre d’Ataraxie en ce qu’il propose ici un doom/death entre apitoiement et accès de folie, cependant la frontière qui le séparait de son doppelgänger sadique s’amenuise. Les moments brutaux, qu’ils soient death ou doom, donnent parfois envie de retourner vers
Deceived Idealism (« Nausée », final en grande pompe mais ne tapant pas aussi dur qu’un « The Higher We Climb, The Harder We Fall » par exemple) et bien que le Marquis – toujours impressionnant de douleur évacuée – modifie son chant selon les émotions qu’il souhaite véhiculer sur l’une ou l’autre entité, l’idée a du mal à s’enlever de ma tête, exceptée durant l’écoute de « Procession Of The Insane Ones », titre plus mélancolique et moins acharné que les suivants.
Un autre tracas se situe dans cette atmosphère moins convaincante que celle d’
Anhédonie. J’ai déjà pu le dire dans ma chronique de
Project X, ce deuxième album est pour moi le meilleur, celui où Ataraxie trouve l’équilibre entre l’aura gothique des premiers My Dying Bride et ses racines de dandy français, tout en délicatesse et neurasthénie.
L’Être et la Nausée oscille entre ce maniérisme de bourgeois en déroute et une volonté d’attaque me laissant penser que, si la forme présente une certaine aisance à passer d’un rythme lent à rapide, le fond pâtit un peu de cet entre-deux.
Je préfère les Des Esseintes aux Roquentin, les perdus aux écœurés. Aussi,
L’Être et la Nausée ne peut que moins me plaire qu’
Anhédonie. Malgré tout, ce nouvel essai est clairement ce qu’Ataraxie a sorti de plus maîtrisé, se permettant même d’allier l’extrémisme pour lequel sont réputés les Français à une certaine accroche, une tension constante faisant que l’étreinte n’est jamais lâchée durant les quatre-vingt minutes de l’ensemble (ce qui n’est pas rien). Si j’ai pu insister sur quelques défauts, il ne faut pas oublier qu’on a affaire à un groupe travaillant à rendre chaque disque plus impressionnant que le précédent, tout en leur offrant un concept propre permettant de se poser comme pièce unique, jusqu’à ce qui les entoure (l’artwork froid de Vertigo, tout à fait en accord avec l’ambiance qu’ont donné les Rouennais à leur longue-durée). Au-delà de quelques préférences personnelles, « extrême » est une nouvelle fois un mot valant aussi pour le respect que les Français inspirent.
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