Nous y sommes. Après plus de trois ans d'attente, Dir En Grey est de retour dans les bacs avec un « Arche » assez peu couvert en terme de promotion. Un single et puis c'est tout, ce qui est assez surprenant venant de la clique du pays du soleil levant même si l'on se doute que ces derniers n'ont pas vraiment besoin d'artifices tant leur fan-base est conséquente, en plus d'être d'une fidélité à tout épreuve. Après les deux monuments respectivement nommés
« Uroboros » et
« Dum Spiro Spero », dire que la formation était attendue au tournant est un doux euphémisme. « Sustain The Untruth » fut le premier titre lâché par la formation, il y a déjà presque un an et on peut dire qu'il faisait largement le job : construction bancale, mélodie d'hyper-espace sortie encore une fois par tonton Kyo et sampling rythmique du meilleur effet. Il y avait de quoi rassurer le chaland facilement, d'autant plus que le nouveau mixage du titre présent sur le disque améliore encore le rendu sonore. Et puis, depuis le single : le calme absolu. Un petit trailer avec des types qui causent de Dir En Grey, des samples de 30 secondes à droit à gauche (ce qui n'a strictement aucun sens pour un groupe aussi varié et complexe) et aucun signe de vie les jours précédent la sortie de l'album. Quand je dis « aucun signe de vie », c'est vraiment dans le sens absolu. Pas de pré-commandes, pas de speech de la part du groupe, pas de mots des fans... Nada, quedale, peanuts.
Et Dieu sait que j'ai fait pipi-culotte, commençant même à me dire que tout ça sentait limite le roussi (mauvaise distribution ou autres problèmes de disponibilité) voire la sortie repoussée mais non, comme promis, voilà effectivement l'arrivée de « Arche ». Le neuvième album du combo avait franchement fort à faire pour ne pas paraître décevant ou ridicule tant l'excellence des deux albums qui le précède n'est plus à prouver. Les cinq membres de Dir En Grey ne devaient pas être simplement bons ou très bons, non. Ils devaient apposer le sceau de leur domination musicale sous peine de décevoir les amateurs tant habitués à un niveau de qualité quasiment intouchable. Nul doute qu' « Arche » a endossé sans sourciller ce rôle d'Atlas devant porter sur ses épaules le poids d'un héritage discographique monumental. D'ailleurs, si ce dernier bébé des japonais s'intitule ainsi (« l'origine » en grec), il y a effectivement une raison musicale mais nous y reviendrons.
Il m'a fallu seulement deux écoutes pour que la question vienne squatter ma tête : « Mais comment font-ils ? ». Deux écoutes, c'est très peu, surtout pour un disque de Dir En Grey toujours impressionnant en arrangements et en passages tarabiscotés. Autant dire qu'avec un si court laps de temps, on ne comprend toujours pas grand chose à ce que l'on écoute. Pourtant, et c'est bien la force de ce disque au tout premier coup d’œil, on nous met l'évidence sous les yeux. « Mais comment font-ils pour toujours frapper aussi fort ? ». Autant ne pas y aller par quatre chemins : « Arche » est fantastique. Fantastiquement différent par rapport aux précédents et fantastique en lui-même. « Arche » assoit dès le départ les détracteurs et conforte Dir En Grey sur le trône du Metal mondial. Oui, m'sieur, le trône du Metal Mondial. Citez-moi un groupe vieux de plus de 15 ans qui a sorti ses trois meilleurs disques dans les 6 dernières années ? Personne. Donc j'affirme que Dir En Grey est au sommet du Metal mondial puisque que Dir En Grey a franchi une étape à chaque disque, ne ressemble jamais à personne d'autre et, plus important encore, ne redescend jamais. La déception est pourtant un sentiment simple et courant dans la musique, il suffit pour le provoquer de sortir un disque inférieur au précédent. Chose que Dir En Grey arrive par une remise en question musicale profonde à éviter à chaque fois.
« Un Deux » qui démarre l'album pose en trente-huit secondes à peine la couleur de l'opus : une ambiance nouvelle, aérienne, éthérée, détruite et remodelée par la suite sous forme d'un changement perpétuel. Oui, le Dir En Grey nouveau est plus atmosphérique, plus planant, plus Post mais par touches seulement. « Shoshaku » persiste et signe via cette nouvelle patte plus spatiale, plus cosmique grâce aux claviers et aux samples qui parsèment ce nouvel album. Bien sûr, la bande de Kyo garde sa touche foutraque, alternant riffs tordus, parties de batterie bancales et déclamations chantées sur des refrains de toute beauté. Bien évidemment, la production est impeccable, s'inscrivant comme une version un peu moins lourde de celle de
« Dum Spiro Spero ». D'une manière assez surprenante le vocaliste fou privilégie cette fois le chant clair – pas si surprenant toutefois quand on est au courant de ses problèmes de santé - qui occupe ici une place plus grande que sur les précédentes offrandes. Un presque retour aux origines Visual Kei du combo sur certains passages (le plus souvent insérés au beau milieu des titres) auquel le titre du disque fait, je pense, référence. Honnêtement, un titre comme « Kaishun » aurait pu truster la place de l'énorme « Itoshisha Wa Fuhai Nitsuki » sur « Withering To Death ». Rassurez-vous tout de même, les hurlements inhumains et les growls si spécifiques sont toujours de la partie et font la part-belle d'un sacré paquet de morceaux. Pour autant, ce nouveau full-length n'est pas rétrograde, apportant avec lui son lot de nouveautés fraîches et puissantes. L'introduction de « Phenomenon », par exemple, construite comme un duo de beats électroniques et de basse distordue est franchement remarquable. De même, on citera « Tousei », merveille presque post-rock, toute bardée de delays et d'échos ayant pour but de jouer le délicat rôle de la ballade, ce format musical si cher à Dir En Grey.
C'est dans cet aspect post-rock et planant que le Dir En Grey nouveau s'assume, riche et beau à en pleurer. Simplifiant parfois son habituelle complexité (« Kukoku No Kyouon » à la limite du post-rock et du post-metal est absolument éblouissante) pour toucher de plein fouet son auditeur en terme d'émotion brute, le quintet qui livre ici des aspects de sa musique qui nous étaient encore inconnus même si on en avait eu quelques prémices auparavant. Si « Arche » est sans conteste l'album le plus lumineux de la formation, il n'en oublie d'être toujours habillement difforme et violemment imprévisible. « The Inferno » par exemple, « Chain Repulsion » ou encore « Uroko » sont des titres plus directs ou Dir En Grey applique sa recette dosée entre violence, groove et chant complètement habité. On se doute que techniquement, Dir En Grey est toujours au top. Entre les parties de batterie absolument terribles de Shinya qui nous en met encore plein les mirettes avec son style si étrange, les lignes de basse si tordues de Toshiya, les solis glissés ici et là et les diversifications chantées/hurlées de Kyo, on se sait plus où donner de la tête.
Si « Arche » est peut-être moins imprévisible que ses deux prédécesseurs en terme de construction (moins d’accélérations subites, d'instants hors-sujet...), il est pourtant implacable et surprenant en terme de mélodies. Parfois, on s'attend à une note et finalement, c'en est une autre qui fait son entrée. Les guitaristes s'amusent vraiment à jouer avec les gammes – cette surprenante gamme orientale sur « Cause Of Fickleness » -, les toniques, les dominantes pour mieux éviter l'appréhension et l'anticipation du fan, dors et déjà conquis par tant d'inventivité. Jouant subtilement sur les harmonies et sur quelques dissonances savamment placées, ils s'assurent par la même d'éviter toute lassitude. C'est du travail d'orfèvre comme d'habitude et le tout est souligné par quelques claviers eux-aussi très étudiés et très stratégiques. Discrets la plupart du temps, ils apparaissent de temps à autres pour souligner une partie musicale ou la sublimer en ajoutant une couche de mélodie.
« Arche » possède toujours cette ambivalence ultime, cette aspect bipolaire lui permettant de passer de la pureté absolue à une décharge arrachée et malsaine qui fait mouche. En terme de sentiment, on a comme d'habitude le sentiment d'être ballotté entre l'amour et la folie, la haine et la dévotion. Quelque part, peut-être que ce disque n'est pas triste, plutôt lointain, contemplatif et rêvant d'évasion lointaine et c'est encore un nouveau changement dans la discographie des nippons.
Nul doute que ce dernier méfait conforte encore un peu plus la place du quintet d'Osaka. Pièce maîtresse de l'année, clôturant avec l'art et la manière une trilogie non-officielle et déjà culte, « Arche » se révélera tentaculaire, dense et profondément bouleversant. En livrant un album légèrement plus posé, plus porté sur les sentiments flous et indistincts, Dir En Grey réussit le pari de se métamorphoser à nouveau, de déboussoler le fan et de ne pas perdre une once de qualité. Toujours au sommet et tordant sans complexes leur art pour le forger dans une forme bien définie, les cinq architectes musicaux apportent encore une fois un nouveau design à leur mouture musicale si personnelle. On se souviendra encore longtemps des seize titres qui composent « Arche », de son impact émotionnel et de l'absence de repos sur les lauriers pour l'emblématique formation du Metal asiatique.
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