Vrolok - Void (The Divine Abortion)
Chronique
Vrolok Void (The Divine Abortion)
Des musiciens ressentent le besoin compulsif de sans cesse chercher à se renouveler, pour ne pas sombrer dans le piège de la facilité, ne pas prendre le risque de sonner comme des dizaines d'autres groupes. D'autres s'en foutent royalement, font leur petite cuisine dans leur coin sans chercher la reconnaissance de leurs pairs. Si la scène Black Metal américaine compte des formations majeures qui font encore parler d'elles aujourd'hui (Krieg, Leviathan), elle cache également des acteurs un peu plus confidentiels, ayant creusé leur trou tranquillement. Diabolus, seul représentant de l'entité Vrolok, tient fermement la pelle depuis quinze ans, marquant chaque palier de sa descente aux enfers de réalisations aussi efficaces que déroutantes. Quinze ans de débauche aussi bien musicale que personnelle (le bonhomme confessant sans gêne son addiction à la morphine) qui ont mené à la sortie de ce "Void", sous l'égide de Drakkar Productions, en 2007. Dans un rôle de fossoyeur qui lui sied à merveille, Daniel Martin inhume les rythmiques et riffing classiques du genre pour imposer son propre univers, maladif, malsain, et toujours aussi cintré.
Constant dans la folie, Diabolus compose et interprète seul la quasi-totalité de ses titres, sachant s'entourer, quand il le faut, des bons acteurs pour insuffler ce qu'il veut à ses disques. "Void" a ainsi été magnifié par Kristján Gudmundsson (Momentum) à la batterie. Oui, magnifié. Car quand bon nombre de groupes se contentent de battre des records de vitesse ou d'endurance, Vrolok, sur "Void", sait se faire bien plus subtil. Bête rampante à la morsure venimeuse, rythmée par un jeu atypique, tantôt complètement groovy ("Divine Abortion"), tantôt hystérique ("Radiance"), le dernier full-length de Vrolok est, à mon sens, la pièce maîtresse de sa discographie. Injustement malmené par la critique, qui lui aura reproché un côté "bancal" et "brouillon" (pourtant les deux plus grandes forces de cette réalisation), "Void" est une pièce assez unique, qui compense ses interminables soliloques de guitare et ses longueurs éparses par une ambiance de fond de chapelle d’hôpital. Finalement pas si éloigné d'un Stalaggh, dont j'aurai l'occasion de reparler sur Thrashocore.
"Void" n'est pas à proprement parler, comme j'ai pu le lire ailleurs, un album de DSBM. Ce n'est certes pas un disque qui donne envie de sauter de joie, mais aucune composition ne se perd dans les travers du genre : pas de vocaux d'écorché vif, pas de boîte à rythme mal mixée, pas d'arpèges mélancoliques ni même d'atmosphère évoquant une corde et un tabouret. "Void" est un album "apathique", insensible aux attentes des auditeurs. Une créature qui fait ce qui lui chante. Elle veut faire durer la même note pendant trois minutes avec une distorsion abominable ? Elle ouvre "Divine Abortion" avec une guitare plaintive qui filerait mal au crâne au plus mélomane d'entre nous. Elle veut donner de la voix lyrique en repompant les plus belles heures d'Urfaust ? Elle clôt son disque avec "Void" et ses chants hallucinés, quasi-éthyliques, toujours cadencés par une batterie en complet décalage avec ce que l'on pourrait attendre. Elle veut faire comme les plus mauvais Boys band et donner du chant clair ? "Turning Purple in the Dark" débute avec la voix faussement enjouée d'un Diabolus probablement dans un état second. L'artwork est à l'image de cette impression, minimum syndical, vitrail graffité, blasphème complètement gratuit et dominante noire, avant-goût du maelstrom brumeux qui attend l'auditeur.
Justice doit être rendue au mixage de l'album, qui surpasse tout ce que Diabolus a pu produire auparavant. Si les guitares sont tapageuses et placées bien trop en avant, la batterie possède un grain organique délicieux, les cymbales et la basse viennent apporter structure et épaisseur à un album qui en avait grandement besoin. Chef d'orchestre perdu dans ses angoisses et sa paranoïa, Daniel Martin gémit, respire bruyamment, grogne, hurle, explore une palette vocale très large, tantôt sous benzodiazépines, tantôt en plein sevrage. Si les titres sont en majorité très (trop) longs, Vrolok réserve des moments très prenants, en témoignent le riff surpuissant de "Radiance" ou la surprenante cloture de "Void", un sample de musique folk que l'on croirait empruntée au plus poisseux des films de freaks américain (Wes Craven, je t'invoque), rappel direct de l'harmonica et des chants d'église de "Turning Purple in the Dark". Diabolus compose également, sous une palanquée de pseudonymes différents, de la musique expérimentale et bruitiste, et cette influence se sent au détour de chaque composition de "Void". Car l'ensemble du disque ne possède aucune structure définie, aucun schéma type, rien de clairement défini. Mieux, il donne l'impression d'avoir été presque complètement improvisé en studio. Il n'en oublie pas d'être équilibré, car même si le tempo est majoritairement lent, quelques accélérations viennent tirer l'auditeur des miasmes que vomissent ses enceintes ("Grey").
"Void" est aussi hypnotique que subjectif. C'est un disque qui passe ou qui casse : là ou certains n'y verront qu'une répétition ad nauseam de riffs qu'on laisse sonner dans le vide et un empilement de notes jouées au hasard, d'autres y verront l'expression même de la folie, du blasphème dans ce qu'il a de plus malsain et maladif. A défaut d'avoir composé une oeuvre exempte de tout défaut, Diabolus aura accouché d'un cauchemar sonore, aussi dense qu'exigeant, réservé aux plus avertis. Un disque qui n'accuse pas le poids des âges, que j'avais laissé prendre la poussière au fond d'une étagère, et que j'ai redécouvert il y a peu avec un plaisir resté intact. A écouter en brûlant un terril d'encens, de préférence.
| Sagamore 28 Février 2015 - 1278 lectures |
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