Gorod - Neurotripsicks

« Oui Christine ?
_ Désolé de vous déranger docteur mais Mr Glaume est là et il voudrait vous voir. Je sais qu'il n'a pas de rendez-vous, mais il n'a pas l'air bien…
_A quelle heure est ma prochaine consultation ?
_Dans 15 minutes avec Mr Johansson. Il n'est pas encore arrivé.
_Bon, bon, faites-le entrer…
_Euh, Docteur ?!
_Oui Christine ?
_Il vaudrait mieux bâcher le divan: apparemment – enfin olfactivement plutôt - Mr Glaume s'est encore oublié …
_ (soupir)»

...

« Docteur Nikta, ça n'est plus tenable: vous ne pouvez pas me laisser comme ça. Mes collègues commencent à m'éviter, ma femme se doute de quelque chose, mes comparses de forum – pourtant sensibilisés au propos – en ont plein le dos … Même mon chien ne vient plus me baver sur les pantoufles pendant Plus belle la vie! C'est devenu un obsession ce groupe, cette doublette de guitares de rêve, ces compos ... J'ai même franchi un cap cette semaine en m'inscrivant au cercle des amis d'Alain Juppé tout ça parce que le groupe a ses quartiers sur Bordeaux! J'en dors plus Docteur, j'en dors plus !!!

_Bien, écoutez Mr Glaume, je vous l'ai déjà expliqué la semaine dernière: vous souffrez d'une névrose obsessionnelle compulsivo-idéative. Nous avons déjà évoqué pendant de longues heures l'envahissement que représente pour vous et tout votre entourage cet album de Gorod, ses rythmiques entraînantes et entêtantes, son chant puissant… Malheureusement, et malgré tous les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques que nous avons pu tenter, nous en sommes toujours au même point. Ce « Neurotripsicks » vous obsède toujours et menace désormais de détruire votre vie sociale. Au regard de la situation actuelle, je ne vois plus qu'une seule solution, mais elle risque d'être difficile Mr Glaume: l'éviction de l'objet de votre obsession. Aussi jusqu'à notre prochain rendez-vous je vous demanderai, autant que faire se peut, de ne pas écouter cet album. Voire même, si vous en avez la force, de vous en séparer…

_Mais Docteur, rappelez-vous quand même que c'est sur votre avis que j'ai commencé à prendre « Neurotripsicks » comme un traitement de substitution à « Leading Vision », en misant tout sur le fait que ce premier album serait sans doute moins intense que son successeur: vous ne vous seriez pas un peu planté sur cette prescription Docteur ?

_ J'avoue qu'avec le recul elle ne vous était peut-être pas très appropriée… Je pensais que ce premier album montrant un groupe plus jeune et donc forcément moins mature réussirait à rompre le cercle vicieux de l'idéalisation dont il faisait l'objet chez vous. Je pensais qu'avec sa production plus brute de décoffrage il pourrait vous rebuter quelque peu et éclairer Gorod sous un jour nouveau. Mais j'avais sous-estimé les effets d'un tel album sur un cerveau fragile comme le vôtre. Car même s'il est l'œuvre d'un groupe plus jeune il n'en est pour autant pas moins exceptionnel.

_C'est le moins qu'on puisse dire Doc'! Bon, c'est vrai que le bonus track intitulé « Gorod » (qui date quand même de 1999) laisse voir un groupe jeune, plein de promesses mais qui se cherche encore, ce qui permet d'amorcer un peu le processus de démystification. De plus il est vrai que les influences du groupe y sont sans doute plus palpables, en particulier Cannibal Corpse dont la patte ressort régulièrement sur « Gutting Job », ainsi que sur « Harmony In Torture » où c'est franchement flagrant, ne serait-ce qu'à travers les envolées de basse à la A. Webster ou à la simple lecture du titre lui-même. Mais à part ça, on retrouve déjà sur cet album tout ce qui fait le grand Gorod, et entre autres cette tendance à développer des morceaux aux structures dynamiques, changeantes, osées, mais fortes de suffisamment d'intelligence de composition et de liant mélodique pour qu'on ne s'y perde pas. Et ces passages divins Docteur: ces twin guitares de la mort à 1:47 sur « Gutting Job »! Cette headbanguerie sans nom à 3:28! Arghh, ce tricotage lead à 2:39 sur « Smoked Skulls »! Ces guitares à 1:50 sur « Beware Of Tramps », à 2:12 sur « Pig's Bloated Face » ou encore cette furieuse injection de groove à 1:08 sur « Neuronal Disorder State »! Mouuaargh, cette annihilation de la nuque à 2:40 sur « Rusted Nails Attack »! ‘me laissez pas comme ça Docteur, administrez moi un traitement de choc, une perfusion de Bullet for my Valentine, des piqûres de Hammerfall, n'importe quoi … Mais par pitié, essayons d'éviter le sevrage !

_Ecoutez Mr Glaume, nous sommes dans une impasse thérapeutique. Tout ce que nous avons réussi à faire pour le moment c'est remplacer une addiction par une autre, et votre vie sociale se dégrade de jour en jour. Même si je conçois que le sevrage puisse vous sembler impossible tant la jouissance est grande à l'écoute d'un album de Gorod, il ne reste guère d'autre solution envisageable. A moins, mais c'est totalement inconcevable, que le troisième opus à venir soit une faisanderie sans nom, entraînant un affaissement de l'estime que vous portez à ce groupe. Mais je n'y crois pas une seule seconde. Quant aux perfusions de Bullet For My Valentine leur prescription est réservée aux enfants de moins de 16 ans. L'escalade des traitements n'est pas la solution Mr Glaume.

_Alors d'après vous c'est sans espoir Docteur ??? Pour tout vous dire, j'ai même eu recours à l'hypnose auprès du marabout Von Yaourt: il a essayé de me rentrer dans le crâne que les accents groovy Trepalium-esques d'un « Neuronal Disorder State » - dont on retrouvera l'équivalent stylistique avec « Hidden Genocide » sur l'album suivant – faisaient de cet album une œuvre impure dont le gros orteil avait été souillé au contact des eaux impures de la rivière Death Metal Moderne. Je dois dire que son argument s'ancre dans des faits véridiques, tant le groupe n'hésite pas à agrémenter son death technique de dissonances, de saccades et de déstructurations particulièrement populaires chez les plus modernes des fans de Meshuggah et consorts (cf. « Smoked Skulls » ou « Earth Pus »). Mais le fait est que j'aime aussi le death moderne … C'est une vraie malédiction !!!! Me laissez pas tomber Doc': mon concierge ($amuel da Silva, un vieux croûton qui lit le Figaro en écoutant les Grosses Têtes) m'a d'ailleurs dit que vous prescriviez des suppos, voire des lavements qui dans mon cas pourraient faire des merveilles !

_Mon dieu! Si en plus vous commencez à écouter les propos de cet énergumène de Da Silva nous allons droit dans le mur! Vous ne pouviez pas trouver pire conseiller! Ce fameux $am est un cas désespéré, j'ai renoncé depuis des lustres à lui trouver un quelconque traitement, bref... Ecoutez Mr Glaume, je crois que je vais devoir passer la main à un collègue car je ne vois plus aucune solution. Les méthodes du Dr Keyser sont un peu plus brutales mais elles vous conviendront peut-être mieux. Jamais je n'aurais pensé qu'une de mes chroniques puisse avoir de telles conséquences...

_Hein mais... comment ça une de vos chroniques? Vous voulez dire que...

_Glrp. »

...

« Oui Mr Johansson, je vais aller lui dire que vous attendez depuis trente minutes déjà... »

Alors qu'elle entrait dans le bureau et qu'elle s'apprêtait à ouvrir la bouche, Christine fut confrontée au plus horrible des spectacles.
Assis sur le beau fauteuil en cuir noir, les mains pleines de sang, Mr Glaume battait de la tête régulièrement au rythme d'une musique que lui seul entendait. Au pied du bureau, dans une marre de sang, gisait le corps mutilé de son désormais ex-employeur. Ce qui s'était passé elle n'en avait aucune idée, mais une chose était sûre: jamais elle n'oublierait ce rictus de folie qu'arborait sur son visage celui qui maintenant la regardait droit dans les yeux.
Aucun psychiatre ne put dès lors la sortir de son mutisme. Un comble pour une ancienne secrétaire de psychiatre.

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