Il en manquait un, le voilà. Difficile de parler de « Wildlife », de sa consistance aussi dense que la pierre brute, de sa résistance aux écoutes, à notre esprit et au temps. Si ce deuxième opus du combo de Grand Rapids aura connu une renommée publique et un succès d'estime important, il est pourtant très difficile à aborder. Là où
« Somewhere At The Bottom Of The River Between Vega And Altair » envahissait le cerveau sans sommation, là où
« Rooms Of The House » était catchy et délicat, « Wildlife » est plus subtil. Si subtil qu'il est tout d'abord déstabilisant tant on n'arrive pas à s'y accrocher. Pas de « Such Small Hands » aguicheur ou de « Hudsonville Mi-1956 » entraînant ici, tout juste un « a Departure » au premier abord nonchalant puis enfin tendu au possible, comme stressé par une urgence palpable.
« To Scratched Out, For Everything » déclame Jordan Dreyer en guise de phrase d'accroche pour ces quatorze titres, comme s'il effaçait de la pointe de son crayon le premier effort des Américains, un détail d'ailleurs observable à l'intérieur du digipack. La Dispute tente ici de faire table rase de son passé musical agressif pour s'orienter dans un genre plus clair, plus distant, plus doucereux et plus froid. Pour autant, le quintet ne perd pas sa rigidité, sa dureté palpable dès les premières notes d'un « Harder Harmonies » combinant l'intensité et l’efficacité. On est d'ailleurs plongés dans le vif du sujet au même moment que l'on est achevés par ce riff mélodique d'une émotion incroyable sur le final de ce second titre ô combien réussi.
Si la vie sauvage est quelque part tristounette, elle est également une déclaration d'amour dense et mûrement réfléchie aux origines géographiques évidentes (« Love Song For Poor Michigan »). « Wildlife » est à la fois le plus campagnard, le plus forestier (en témoigne des interludes bluesy comme « a Broken Jar » ou « a Letter ») des disques de La Dispute et paradoxalement le plus urbain puisque l'âpreté de la production renvoie constamment aux briques rouges des anciennes habitations américaines. « Edit Your Hometown » par exemple nous rappelle immédiatement à ce sentiment de dualité présent entre villes bétonnées et abandonnées et élancement mélodique façon « Nature et découvertes », avec ce tambourin en support qui trouve ici une place prédominante dans les compositions.
Néanmoins, ce serait faire une erreur de limiter cet album à une simple somme d'émotions enchaînées et parfois empilées les unes sur les autres. Une erreur que j'ai cela dit longtemps commise en me contentant de laisser défiler l'album sans trop y prêter attention. Or, la réussite la plus importante de « Wildlife » est d'aller fédérer dans les détails les plus inattendus. Certaines intonations de voix, certains micro-riffs de transition, certaines phrases ou même certains patterns de batterie (« The Most Beautiful Bitterfruit ») arrivent, avec du temps, à créer l'urgence, la passion et l'attrait pour ces titres décidément bien complexes à appréhender. La Dispute est toujours techniquement au top (le duo Adam Vass / Brad Vander Lugt impressionnant de précision) mais la différence c'est qu'il utilise cette faculté musicale pour créer des ambiances touchantes et surtout, atypiques (le deuxième couplet sur « The Most Beautiful Bitterfruit » ou le groupe arrive à transformer un groove basse/batterie basique en un riffing clean instable et chargé d'émotions).
En ce qui concerne les paroles et le visuel, on approche toujours la perfection, avec ces photos de graffitis en plein forêt (encore ce fameux paradoxe humain VS nature) et une direction artistique fouillée, détaillée et complète dans le livret. Textuellement, Jordan Dreyer écrit encore ses textes avec la science littéraire qu'on lui connaît. Intimiste, imbriquant figures de styles et phrases clefs, il dépeint encore une fois un univers des plus réalistes mais construit comme une ode au rêve et aux fantasmes. « King Park » est exemplaire à ce niveau et fiche clairement les larmes aux yeux, avec cette construction narrative proche de la nouvelle exemplaire et sublimée par ce final musical rempli de tension.
En fin de parcours, on ne peut pas vraiment classifier « Wildlife ». Assagi par rapport aux autres disques du groupe (même le dernier), plus ambigu dans son propos, moins évident musicalement et probablement plus axé sur une conceptualisation et une narration accrue, cet album reste d'une qualité qu'il est difficile de renier. À titre personnel, il s'agit de l'album du groupe que j'apprécie le moins mais au final je l'ai sûrement écouté plus de trois-cents fois. « Wildlife » reste un très grand disque qui séduira ou pas l'auditeur selon son affinité avec le combo, en prenant soin cependant de ne pas tomber dans la redite de leurs autres sorties. En quelque sorte, une autre vision du monument construit par les américains et qui semble continuer à grandir pour s'élever toujours plus haut.
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