Aller jusqu'au bout de ses propres cauchemars. Les ressasser sans cesse, en extraire la substantifique moelle et les compresser en six pistes. C'est ce qu'à toujours fait Arizmenda depuis sa formation jusqu'à son dernier full-lenght en date intitulé « Stillbirth in the Temple of Venus ». La dégénérescence mentale a toujours été le thème de prédilection de Murdunbad, là où ses compères se focalisent sur des idéologies plus revendicatrices. Ce qui est d'ailleurs assez remarquable avec Arizmenda, c'est cette constance à rester dans un univers propre, à le travailler jusque dans ses moindres recoins. On pourrait même émettre l'hypothèse que Murdunbad refuse de sortir de ce carcan psychologique qu'il s'est imposé et qui fait désormais partie de son approche musicale.
Comme toutes ses autres sorties, notamment le très bon
« Within the Vacuum Of Infinity », « Stillbirth in the Temple of Venus » est obscur, impénétrable, angoissant et fichtrement incompréhensible au premier abord. Il faut dire que le premier morceau du disque, celui qui est sensé nous introduire dans les compositions de cet album est clairement le plus inabordable. Anti-mélodique et saucé par une production bien évidemment ultra-saturée et victime d'un dubbing catastrophique « Scabbed Knees, Rope and Vaseline » propose neuf minutes et quelques de dévastation musicale, de guitares hurlantes, de souffle sonore similaire à celui de taureau expirant de ses nasaux humides un air chaud et impropre faisant frissonner votre nuque.
Arizmenda ne rigole pas, ne veut pas être rangé la case du True-Black évident et même si son esthétique obscure et sa production rugueuse sont à mettre dans la droite continuité des Légions Noires, son approche de l'arrangement, de la composition, sa façon de malaxer les notes avec une inévidence dégoulinante appartient belle et bien à un avant-gardisme musical des plus remarquables. On citera une kyrielle de riffs tous plus dégobillants les uns que les autres, par exemple celui joint à l’accélération de tempo sur « Cum In Your Wound ». Sexuellement pulvérisé, Arizmenda est aussi instable que les vomissures musicales et jouissives qu'il propose. Si certains groupes sont connus pour leurs paroles explicites (Woods Of Infinity, Diapsiquir...), Murdunbad et son projet solo s'inscrivent dans une saleté tenace, dans une scatophilie dissimulée, dans un inceste constant, mu par un mélange d'excitation déviante et d'inculture sociale. En ce sens, « Stillbirth in the Temple of Venus » serait presque une sorte de « Cent Ans de Solitude » Black Metal, où l'on suivrait les errances générationnelles de paumés, d'ignares si attachants qu'ils en deviennent beaux, malgré la laideur de leurs actes. L'hypersexualité en quelque sorte, le satyriasis des Grecs qui donne même son nom à l'avant-dernier morceau de l'opus.
C'est d'ailleurs quand « l 'innocence » apparaît thématiquement que le propos du groupe change, que la tristesse prend le pas sur l'excitation et la folie. « Innoncence And Illness » est incontestablement le plus beau titre du disque, même si tous les morceaux ont de quoi faire de l'ombre à ce dernier par des salves mélodiques tordues mais étrangement touchantes. Chercher l'émotion dans les recoins les plus sombres de l'humanité. Chercher la lumière de Lucifer dans les méandres d'un primitivisme assumé et caricaturé. Les ralentissements si poisseux soient-ils (l'entame de « Rotten Seed... Poisonned Egg » est fantastique) sont pourtant tous le théâtre d'une tragi-comédie, surjouée jusqu'à l'absurde, jusqu'au dégoût, jusqu'à violer les trois tabous théâtraux sur scène. Jusqu'à la mise à mort de l'art lui-même pour mieux le reconstruire dans des phrases musicales opaques, distordues mais qui prennent tout leur sens quand elles sont mises dans leur contexte particulier.
La folie dégénérative, la folie qui infuse dans le crâne aussi longtemps que possible jusqu'à progressivement le dépouillé de toute conscience, lui rendre sa bestialité impulsive, sa violence, ses doutes, ses peurs. Paradoxalement dégoûtant et attirant, « Stillbirth in the Temple of Venus » est un album qui repousse ses propres limites, qui s'approche dangereusement des frontières qu'on ne peut pas traverser. Borderline des orteils aux cheveux, chancelant, bancal aussi bien dans sa musique pétrie dans tous les sens comme de la pâte à pain que dans ses thématiques est un vibrant hommage à la déviance primaire et au retour à la Terre comme seule maîtresse spirituelle, ce dernier opus d'Arizmenda plonge la tête dans la boue, l'avale et la recrache sur son corps comme un enduit de protection destiné à repousser toute tentative d'humanité.
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