Charger - Confessions of a Man
Chronique
Charger Confessions of a Man
(Mad Enough to Live Amongst Beasts)
Le sludge anglais, ce n'est pas tout à fait la même chose que de l'autre côté de l'Atlantique : on n'y trouve pas de rednecks gentiment pouilleux, pas de décors sauvages et âpres où faire rimer alcoolisme et mysticisme, pas de bagout du bayou. Non, le sludge anglais est plutôt une histoire ouvrière, faite de béton quotidien des trottoirs à un ciel opaque et lourd, de lutte cynique façon « syndicat de la bière et de la baston », la gueule tellement en vrac qu'elle se retrouve dans les poings.
Charger est Anglais. Anglais comme Amebix, Crass, Killing Joke, Rudimentary Peni, Iron Monkey (évidemment) et autres formations de même nationalité qu'on n'a pas tant envie de mettre dans des cases et genres musicaux qu'une maison psychiatrique bien capitonnée où leur rendre visite de loin en loin, sachant pertinemment que le retour chez soi se fera avec des ecchymoses à l'humeur. Dès « Ultraviolet Flyer », la messe est dite : tu ne passeras pas ton dimanche à l'église mais au milieu des ordures avec d'autres white trash, où les prêches diront que « Dieu nous a fait à l'image de son cul » avec le rituel adapté. Chier tout ce qu'on peut, de ses membres à la bouche par des riffs en ciment, une production signée Billy Anderson qui fait cracher des cailloux aux amplis et une voix de sans-dents, stridente, étranglée, véhémente, au câble pété bien avant la prise de son, appuyant chaque mot pour faire mal aux autres et à soi.
Une puissance qui n'a rien perdu de sa force treize ans plus tard, période à laquelle Peaceville décida de sortir... ça. Charger ne sait jouer que chargé à bloc et le fait durant cinquante-neuf minutes éprouvantes, pleines de moments jubilatoires (raaaah, la doublette « Carbon Wings » / « Airtank Face Pincers » !) et dont pourtant tu ressors vidé de toute vie à part tes nerfs jouant au trampoline sous ta peau. Jouissifs au point d'en devenir fou-à-lier comme dans la compilation de Toadliquor The Hortator's Lament (saine année que 2003, qui a vu paraître Confessions of a Man et elle), les Anglais pratiquent leur sludge moderne comme il se doit à l'ère du travail à la chaîne poussée jusqu'à l'absurde, où les rêves des années 2000 futuristes, paradisiaques, sont morts dans les étaux des usines, où la connexion au virtuel se fait majoritairement pour épanouir ses vices, où la colère s'étouffe elle-même dans un monde trop complexe, mondialisé, globalisé, écrasant, obligeant à naviguer à vue de ses yeux striés de rouge, bougeant son corps façonné par les machines au point de devenir comme elles : gris, éteint, simple force mécanique ne sachant que plier.
« Imagine l'économie comme un immense tube digestif. Et nous on est là, devant le trou du cul du libéralisme, à nettoyer » paraît une citation tout à fait adaptée pour ces tarés-ci, lucides jusqu'à la folie, prolétaires jusqu'au raffinement, masochistes dans les coups qu'ils veulent mettre à tout le monde, comme cette fois où tu as frappé le mur et frappé encore, te détruisant les mains. Inutile d'en dire davantage à propos d'un disque simplement destructeur et pourtant obsédant, rappelant que le sludge est du blues urbain avant toutes autres formules, et devenant rapidement un accompagnateur de premier choix quand ta vie se fait trop pesante. Comme le coup dans les couilles, un classique pas très fair-play mais dont on n'a pas fini d'éprouver l'efficacité.
| lkea 23 Février 2016 - 715 lectures |
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